صور الصفحة
PDF
النشر الإلكتروني

cite & Leibnitz? Il refpire leur ame, il s'attendrit ou il s'indigne avec eux. Les différentes générations d'hommes, & leurs opinions diverfes, paffent fous fes yeux, avec leurs villes, leurs moeurs, leur culte & leurs loix. Un fpectacle fuccede à un autre; dans les champs antiques s'élevent de nouvelles cités; elles tombent, & d'autres s'affeyent fur leurs débris. Où eft l'inftant où fon efprit actif a pu retomber fur lui-même ? Il a parcouru l'univers, & a déposé dans fa mémoire une fuite magnifique de tableaux, qui fe reproduiront à fon imagination, lorfque l'homme oifif & importun venant le tyrannifer, prendra fon filence méditatif pour la preuve non équivoque d'une attention qu'il ne mérite point.

Il eft un autre piege qu'il évite auffi habilement, ce font les grands, qui, par vanité, daignent quelquefois lui fourire. Semblables à ces magiciens qu'on nous peint évoquant les paifibles habitans des tombeaux, ils font fiers d'arracher l'homme de génie à fa retraite, & de le tranfporter dans des murs étonnés de le voir; ils femblent vouloir jouir de fa défaite, ou tirer de lui quelque aveu favorable à leur puiffance. Mais fi cet homme opulent n'eft qu'un protecteur, ou un être ennuyé qui veut tenter le dernier remede à fes maux, l'homme de génie n'eft pas long-temps à fe délier, & il le laiffe avec fes flatues, fon parc immenfe, & les cordons qui

le chamarrent.

Il eft des hommes qui veulent paroître avoir tous les avantages, tous les talens, qui s'eftiment capables de tout connoître, de tout apprécier; c'est le ridicule de certains grands qui ont une idée fublime d'eux-mêmes; témoin ce fatrape de Perfe, qui alla vifiter Appelle dans fon atelier. Le peintre connoiffoit le faftueux perfonnage, & ne voulut pas perdre un coup de pinceau. Le fatrape, errant avec toute fa fuite, la robe de pourpre déployée, faifoit tout haut fes obfervations, & fe permettoit de differter fur les tableaux & fur la peinture. Appelle qui l'entendoit de loin lui dit: » Mégabife, tu te découvres mal adroitement. Il falloit refter muet sous » ta robe de pourpre tes bracelets, tes pierreries, ton turban t'auroient fait paffer pour un connoiffeur; mais vois-tu ces enfans qui broyent mes > couleurs & qui rient fous cape de tes difcours? J'en fuis faché ;'ils n'au»ront plus le même refpect pour toi. a

Mais n'outrons rien; ceux qui ont le malheur d'être grands, peuvent être juftes, modérés, fenfibles, & indépendamment de leur nom, l'homme de Lettres fe lie avec ceux qu'un même goût pour les arts enflamme, & qui dépofant l'appareil faftueux de leurs dignités, ne le reprennent qu'au moment où ils font forcés d'aller jouer leur rôle fur la fcene du monde. Tel Horace vivoit familiérement avec Mécene, en homme libre, & non en homme protégé. Tel, en France, Condé honoroit Corneille; c'étoit la gloire qui faifoit fa cour au génie. Ainfi, dans tous les temps, les grands, dignes de ce nom, ont fait les premiers pas vers les écrivains qui arrêtoient les regards de leur fiecle; ces grands fentoient bien que leurs noms

devant paffer ensemble à la postérité, elle auroit lieu de s'étonner si elle ne les trouvoit pas unis.

L'homme de Lettres ne fe refufera donc pas à la fociété, lorfqu'elle ne pourra point efféminer fon génie; que dis-je? c'eft lui qui doit y porter le plus d'agrémens. Cette aimable gaîté, compagne de l'innocence & de la liberté, animera fes difcours, leur prêtera cette fleur naturelle qui annonce je ne fais quoi d'ingénieux & de folide, & qui unit une clarté pure à une profondeur heureufe; ce fera lui qui étendra les idées des autres hommes, qui, fous la forme du fentiment, développera les pensées qui repofoient au fond de leurs cœurs, & qui placera fur leurs levres cette expreffion jufte & facile dont il leur aura donné l'exemple. Cet aliment de la malignité humaine, cette vile reffource des efprits bornés, ce petit orgueil vain & puérile qu'on nomme médifance, lui fera inconnu. Trop grand pour s'occuper férieufement d'objets frivoles, il n'exercera fa cenfure que fur ceux dont la puiffance influe fur la deftinée des Etats, afin de rendre cette influence douce & bénigne.

Quand on a jugé l'homme de Lettres, on veut juger fa perfonne, on veut traiter l'auteur comme fon livre, le prendre, le laiffer là, le reprendre, l'interroger on lui demande des affiduités, qu'on exigeroit à peine d'un défœuvré; le militaire, le magiftrat, l'homme du monde, veulent qu'il réponde à leurs idées différentes; il ne lui eft plus permis d'avoir les fiennes. Il faut qu'il rende compte de tout ce qu'il a écrit, & ce devant les intéreffés. On veut defcendre dans le fond de fon ame, pour lui donner des leçons; chacun veut lui faire fubir une modification particuliere. Enfin, nul homme ne voit mieux que l'homme de Lettres les détours de l'amourpropre, parce que la préfence des talens de l'efprit donne à cette paffion un jeu fubit. S'il eft modefte, on le prend au mot s'il fait fentir fa fupériorité, il révolte & bleffe: s'il a de la jufteffe dans fes raifonnemens, il donne des vapeurs à certaines femmes, s'il place la faillie, on trouve qu'il va au-delà de fes privileges. Point de conduite plus difficile à tenir que celle de l'homme de Lettres. Comptez enfuite les fots propos, les faux bruits, les portraits manqués dont il eft l'objet, & vous verrez que s'il n'a pas la tranquille affurance que donne la fermeté du caractere, il paye un peu cher la renommée qui accompagne fon nom.

Inhabile à flatter, incapable d'offrir à la fortune le facrifice de fes pensées, il renonce à ces places où il faut adopter un efprit de corps, c'est-à-dire, de cupidité; & c'eft ici le vrai triomphe de l'homme de Lettres. La plupart des hommes ne penfent que d'après l'habit qu'ils portent leur profeffion crée leurs idées. Celui qui a rompu ces liens fi nuifibles au progrès de la raison, paroît feul pofféder un jugement libre que rien ne tyrannife: accoutumé à renfermer fes défirs dans le cercle de fes befoins réels, il n'en aura point d'illimités: il fent que les dons de la nature, les feuls biens véritables, font la fanté, la joie, la tendreffe, la tranquillité de l'ame; &

il foutiendra fans douleur toute autre privation, parce que fa raifon aura réglé cette intempérance d'imagination qui fait l'inquiétude des autres hommes. Avouons-le cependant, l'indigence eft affreufe; un ancien poëte nous la représente fous l'image d'une femme échevelée, abandonnée fur un rocher défert, qui tantôt lutte contre le défespoir, tantôt mefure l'abîme effroyable où elle va fe précipiter. Socrate indigent n'eut pas honte de dire publiquement. » Si j'avois de l'argent, j'aurois acheté un manteau. «< A fon exemple, un homme irréprochable dans fes mœurs ne doit point rougir de déclarer l'état trifte où il peut fe trouver, parce qu'il eft encore des ames généreufes qui fe plaifent à relever le mérite abattu. L'orgueil le plus faux & le plus dangereux feroit celui qui nous apprendroit à déguiser nos befoins, comme s'ils étoient des vices; c'eft comme fi l'on cachoit une plaie qui peut fe guérir, elle s'enflammeroit & donneroit la mort. Il faut que l'homme de Lettres aille trouver l'homme bienfaifant & lui dife, » Tends-moi » la main, cœur généreux que je forte du précipice où je fuis tombé; » afin qu'à mon tour je puiffe offrir la main à un autre. Je ne te demande » que ce que je me promets bien de rendre un jour en ton nom à d'autres >> infortunés. »

Mais l'indigence n'a jamais furpris l'homme de Lettres laborieux : il pourra être pauvre, & ce fera là les gages de fes vertus & de la noble fierté de fon ame. A ce mot je vois frémir les ames foibles qui redoutent la vie; ames infortunées! qui n'exiftent plus dès que les molles voluptés les abandonnent; triftes victimes de leur lâcheté, dévouées à la crainte, & nées pour l'impuiffance fans doute elles ne font point faites pour connoître ce courage mâle, qui émouffe la pointe de l'infortune, réfifte aux revers, triomphe des événemens, & met au rang de plus précieux tréfors l'indépendance & l'honneur.

Tel eft le partage de celui qui a médité fur l'art de changer les maux en biens, d'oppofer la patience aux coups du fort, & de le dompter par la force & l'étendue de fon efprit. En vain la fortune veut fe venger des dons qu'il a reçus de la nature, en vain elle l'accable de ces traits qui flétriffent l'ame; il refufera conftamment de plier un genou fervile devant fes idoles ou fes favoris. Donnerai-je ici la lifte de ces beaux génies perfécutés par elle, & qui contens dans leur noble indépendance ont rejeté tout efclavage & ont oppofé une ame inébranlable aux coups de l'adversité ? je les entends; ils s'écrient d'une voix unanime: » Nous dédaignons les ri

cheffes; elles font les ôtages de la foibleffe, elles amoliffent l'ame, en » l'enchaînant à de nouveaux befoins: elles fe font avilies à nos yeux, » à force d'être l'inftrument du crime, & d'appartenir à des hommes méprifables. Que l'or, germe de tous les maux, foit pour eux; la médio» crité & la gloire feront pour nous! <<

Quelle foule d'écrivains fublimes & pauvres, depuis Socrate jufqu'à Defcartes, & depuis Homere jufqu'à Milton! Socrate répondit au roi Achélaüs

qui vouloit l'attirer à fa cour, par l'appât des grandes richeffes: Je vous remercie, Seigneur; la mesure de farine ne fe vend qu'un double dans la ville d'Athenes, & l'eau n'y coûte rien.

L'héroïsme a été le partage des plus vaftes génies : jamais l'intérêt n'a fouillé leur plume; jamais la crainte n'a fait pâlir leur front; jamais le remords n'a fuccédé aux accens de leur voix libre. Ici Lucrece fonde la nature, analyse l'homme & le raffure contre de vaines chimeres; heureux, fi l'erreur ne fe plaçoit pas à côté des plus utiles vérités! Là Juvenal arme fa main de la verge de la fatyre, porte le flambeau dans les ténebres épaiffes où fe cache le crime, & fert l'humanité en démasquant le vice: je te vois, fier Lucain; c'eft fous un Néron que tu compofes ton poëme : c'eft à fon orgueil barbare que tu ofas difputer la palme de la poéfie; c'est toi qui péris à vingt-fept ans pour la liberté; les flots de ton fang rougiffent ton bain; tu fouris, tu abandonnes un monde où ne pouvoit plus refpirer un homme. Qui ne fent frémir la partie la plus fenfible de lui-même, à la touche énergique d'un Tacite ! il peint, & il écrafe les tyrans; fans l'amour facré de la liberté & d'une noble vengeance, où auroit-il trouvé le courage d'écrire l'hiftoire des monftres pétris de fang & de boue? Que vois-je fur ce vaiffeau malheureux, ouvert de toutes parts aux coups de la tempête, qui fe précipite dans cette mer profonde? C'eft le Virgile des Portugais, qui, fier & intrépide, lutte d'une main contre les flots, de l'autre fouleve fon poëme fon plus cher tréfor; il le protege, le fauve, & s'écrie, tranfporté de joie : Je n'ai rien perdu, j'ai préfervé du naufrage le gage de mon immortalité.

A ces grands traits la froide dérifion eft prête à naître fur les levres de l'homme vulgaire. S'il lui faut de plus grands exemples, faits pour lui, je citerai des rois qui, fur le trône, ont eu la paffion dominante des arts, & d'autres qui en font defcendus pour fe débarraffer de leurs chaînes & contenter la foif d'apprendre qui les dévoroit. Titus, Marc-Aurele & Julien, furent des empereurs philofophes : l'antique vœu de Platon fut rempli; & fous leur regne paifible, les hommes fentirent le bonheur d'être gouvernés par des chefs éclairés, & par conféquent, échauffés de l'amour de l'humanité. Héraclite cede à fon frere le trône d'Ephese : absorbé dans une méditation profonde, il s'enferme dans les tombeaux de fes ancêtres ; c'eft dans l'horreur d'un lugubre & majeftueux filence qu'il entreprend de percer le voile qui couvre les fciences profondes. Le créateur des Ruffies, jaloux de transporter les arts dans le fol ingrat de fa patrie, va les chercher à travers les dangers & les travaux; il faifit la hache du matelot, pour porter, plus dignement, le poids du fceptre, & dans l'étendue de l'Europe rien n'échappe à fes avides regards. Elifabeth de Bohême, princeffe Palatine refuse la main de Ladiflas IV, roi de Pologne, pour cultiver la philofophie & les mathématiques, & s'honorer du nom de difciple & amie de Defcartes: Chriftine dépofe le diadême, quitte de vils flatteurs, pour s'entre

tenir avec des êtres penfans; & tandis que les autres fouverains demeurent comme emprisonnés dans leurs vaftes royaumes, elle parcourt l'Italie, théâtre fuperbe d'antiques monumens, dont les débris portent encore dans l'ame un fentiment involontaire d'admiration & de respect; fur les ruines magnifiques de la dominatrice de l'univers, elle oublie ce trône qu'elle occupoit. Je fais que la philofophie oblige les rois de porter pendant toute leur vie le trifte fardeau qu'un deftin fatal leur a impofé; je fais qu'elle leur défend d'ofer s'élever à un état plus heureux; mais n'eft-elle pas trop févere? Retenir l'empire par un effort de raison eft un héroïfme trop grand pour qu'il ne foit pas auffi rare; & qui peut blâmer Chriftine, parce que, à fa place, il auroit eu le courage de ne point abandonner l'autorité fuprême? Le philofophe feroit-il toujours orgueilleux de la trempe heureuse de fon ame, & exigera-t-il fans ceffe des fouverains cette même fermeté qu'il auroit pu avoir?

Je ne veux point que vous renonciez à l'empire des graces, vous, fexe aimable, qui pouvez partager le bonheur qu'enfante la culture des Lettres; jouiffez toujours du don flatteur de la beauté, qui adoucit l'homme le plus fauvage, & qui eft en même temps le plus heureux lien de la fociété; mais connoiffez auffi vos autres avantages. Dignes compagnes de l'homme, ofez penfer avec lui la nature vous a donné le même efprit, vos lumieres dirigées par le fentiment apporteront à l'homme une félicité nouvelle, & peut-être ajouteront à l'éclat de vos charmes. Nous ne redouterons pas vos talens, lorfqu'ils contribueront à embellir ce qui nous environne. Je m'éleverai contre cette coutume barbare qui étouffe dans les jeunes perfonnes de votre fexe les germes précieux des plus rares talens. Pourquoi ne pas donner une égale éducation à des efprits également doués de raifon? Celles qui doivent adoucir les amertumes de notre vie, peuvent-elles fe paffer d'être inftruites? L'ignorance leur prêteroit-elle de nouveaux attraits? Moliere, dans les Femmes favantes, a chargé les portraits comme dans toutes les autres pieces; mais on ne voit pas trop bien le but moral de cette comédie. On voit qu'il a voulu fe venger de certaines cotteries, où, probablement, il n'étoit pas bien traité, & que n'ayant pu captiver le fuffrage de certaines femmes qui dominoient alors à Paris, il a pris le parti de les immoler au ridicule. Mais s'il a bien fait de vouloir corriger ces femmes qui font confifter tout leur mince favoir à former un bizarre affemblage de mots précieux, il a nui aux progrès de celles qui voudroient réellement s'inftruire & qui font retenues par la crainte de paffer pour fingulieres. Ainfi les effets qui réfultent de cette piece font plus nuifibles qu'utiles. Il y a déjà fi peu de femmes pour un homme qui pense, (a fi bien dit M. Diderot) qu'il étoit inutile d'en vouloir augmenter le nombre. Plufieurs ont renoncé à l'envie qu'elles avoient d'orner & de cultiver leur efprit, lorfqu'elles ont vu applaudir ces vers qui difent que la fcience d'une femme ne doit point paffer le livre de fon ménage. Cela n'a fait que for

« السابقةمتابعة »