d'Espagne; mais le plus approuvé fut celui du 17823 Chevalier d'Arçon, Ingénieur Français d'une grande réputation. Dès l'année 1781, on avoit déjà commencé à faire de vaftes préparatifs qui avoient coûté des fommes immenfes. M. d'Arçon propofa de faire des batteries flottantes, à l'épreuve des bombes & du canon, qu'il feroit impoffible de couler à fond ou d'incendier. On coupa, pour remplir cet objet, dix gros vaiffeaux, depuis cinquante jufqu'à foixante canons. Depuis long-tems on travailloit à ces batteries, lorfque l'arrivée du Général, vers le milieu de Juin donna une nouvelle vigueur à toutes les opérations c'étoit le fieur d'Arçon qui étoit chargé de l'exécution du plan dont il étoit l'auteur. : Des confeils tenus deux fois la femaine, où préfidoit le Général en chef, & compofés des Officiers de la marine deftinés à commander ces batteries, éclairoient cet Ingénieur fur les détails de la construction, & difcutoient les moyens les plus avantageux pour en faciliter l'emboffement, Les avis furent long-tems partagés là-deffus : les uns vouloient qu'on les embossât à la remorque; les autres, qu'on portât des ancres en avant fur lefquelles elles fe toueroient; d'autres opinèrent qu'il valoit mieux les emboffer fous voile, & ce dernier avis prévalut. Il y eut auffi diverfité de fentimens au fujet du point d'attaque; mais la 1782. crainte que l'ennemi n'envoyât une flotte au fecours de la Place, fut caufe qu'on fe réfolut finalement à attaquer le vieux mole, afin de fe rapprocher des batteries de terre, & d'être difpofé à pouvoir, en cas de befoin, agir fur la défenfive. Le Comte d'Artois, frère du Roi de France, & le Duc de Bourbon, Prince du Sang Royal, curieux de voir un fiège qui faifoit tant de bruit, fé rendirent, le 14 Août, devant la Place. Ces deux jeunes Princes vifitèrent ce jourlà même les travaux, & leur préfence & leur áffabilité inspirèrent une nouvelle ardeur aux troupes. Le Duc de Crillon mit à profit ces bonnes difpofitions. Le lendemain on traça, à l'entrée de la nuit, les nouvelles batteries avec leurs communications fur une étendue de près de neuf cens toifes. Il n'y a point d'exemple d'un ouvrage plus hardi, ni exécuté avec plus de courage, d'intelligence & de fuccès. Le 16, au point du jour, on fe trouva par-tout couvert par un épaulement de près de huit pieds de haut, fur dix d'épaiffeur. Il fallut auffi réparer les anciens travaux de Don Alvarez, y former de nouvelles batteries, & conftruire de nouvelles traverfes, pour fe garantir des enfilades. Cela fut fait avec une grande diligence, de forte que tout fe trouva perfectionné, & les batteries en état de tirer le 7 Septembre. Le 8, au matin, le Général Elliot effaya les 1782. effets d'une canonnade à boulets rouges, & mit le feu à plufieurs ouvrages des affiégeans; mais le Comte de Crillon, qui commandoit la tranchée, ayant à fes ordres le Baron de Wimpfen, dirigea la valeur & l'activité des troupes avec tant de jugement, qu'elles vinrent à bout d'éteindre les flammes. M. de Bouzols s'étoit fait honneur, le 24 Août, dans une pareille occafion. La nuit du 8 au 9, au point du jour, les affiégeans ayant démafqué leurs batteries, développèrenr contre la porte de terre & le vieux mole cent quatre-vingt-fix bouches à feu; mais ils ne furent pas long-tems à s'appercevoir du peu d'effet qu'ils pouvoient s'en promettre, contre des batteries dont les moins élevées les commandoient de plus de cent pieds : les bombes feules pouvoient les offenfer, mais non les détruire. Cette circonftance locale, jointe à plufieurs autres, laiffant toujours aux affiégés la faculté d'y revenir avec du canon, à l'inftant où l'affiégeant tenteroit de pouffer en avant, rendront toujours Gibraltar inexpugnable par terre. Les prames fe trouvèrent enfin achevées, & furent raffemblées le 11 au foir au mouillage de Punta-Mallorqua; elles étoient au nombre de dix, & portoient enfemble cent cinquante-quatre pièces de canon de bronze, de vingt-quatre livres 1782. de balles, outre plufieurs pièces de rechange: Le 12, le Duc de Crillon fe rendit à bord de Don Moreno, Chef d'Efcadre, où il convoqua tous les Commandans des batteries flottantes, ainfi que M. d'Arçon, pour prendre les derniers arrangemens, & fixer définitivement les points où chacune de ces prames devoit fe placer. Il fut convenu que les cinq plus grandes, formant une ligne à un cable de diftance l'une de l'autre embrafferoient la partie de l'enceinte qui s'étend depuis l'angle flanqué du baftion du Nord, jufqu'à celui du Boulevard neuf; que les cinq plus petites fe mettroient un peu en arrière, & dans les intervalles des premières, afin de réunir le plus grand développement de feu qu'il feroit poffible contre cette partie des ouvrages, & d'y ouvrir rapidement une ou plufieurs brèches acceffibles. On fe propofoit fpécialement la deftruction du bastion du Nord, dans la vue de faciliter l'entrée d'une colonne, qui, débouchant de la parallèle, pénétreroit de ce côté-là en longeant la mer, projet dont l'exécution exigeroit auparavant l'extinction du triple étage des feux de la montagne qui flanque tout cet efpace, & dont quelques batteries, taillées dans le roc, ne pouvoient guère être démontées. Il fut décidé en même tems que, chaque prame ayant pris fon pofte en partant du mouillage, la ligne entière fe porteroit dans l'ordre convenu, & en échiquier 178 2. droit fur la Place, en se réglant fur la batterie flottante qui devoit prendre la tête du vieux mole, pour se mettre à la diftance prefcrite l'une de l'autre. Une connoiffance plus exacte de la côte auroit fait fentir l'impoffibilité de l'exécution de ce plan, puifqu'il règne dans cette partie un banc où le peu de profondeur d'eau ne permet pas l'approche des batteries; plufieurs des prames y touchèrent, & ne purent jamais s'en tirer, ce qui les rendit abfolument inutiles dans cette journée, & fut une des caufes majeures du manque de fuccès. Il fut auffi arrêté d'attirer l'attention des affiégés, par une diverfion à la pointe d'Europe & de faire appareiller huit ou dix vaiffeaux de ligne, pour canonner la muraille qui couronne les deux efcarpemens qui la défendent, tandis que d'autres bâtimens, du côté de l'Eft, battroient, par élévation, le camp retranché établi fur le plateau le plus élevé, & inquiéteroient par des ricochets, celui du Quartier neuf & de l'Hôpital de plus, quarante chaloupes canonnières, formant dix divifions de quatre, devoient joindre les prames, fe mettre fous leur abri, à couvert du feu de la Place, & pouvoient ainfi augmenter de quarante canons le feu des affiégeans: les vingt bombardes devoient en |