'ADRESSE du Général Washington à son Armée, en quittant le Commandement.

Les Etats-Unis affemblés en Congrès ont rendu le témoignage le plus honorable aux mérites de l'armée fédérale, &, en lui offrant les remercîmens de la Patrie pour fes longs, éminens & fidèles fervices, ils ont jugé à propos, par une proclamation du 18 Octobre dernier, de licencier les troupes qui étoient engagées pour le tems de la guerre, & de permettre aux Officiers de fe retirer. Il refte feulement au Commandant en chef de s'adreffer encore, & pour la dernière fois, aux armées des Etats-Unis, pour leur faire fes adieux.

Mais, avant que de prendre un congé final de ceux qui lui font fi chers, il leur demande de porter avec lui leurs regards fur le passé; il prendra la liberté d'examiner avec ses compagnons d'armes la perspective que l'avenir offre à leurs regards, de leur indiquer la ligne générale de conduite qu'il croit convenable de fuivre; il ter minera cette Adreffe par l'expreffion de fa fenf bilité pour le courage & les talens avec lesquels ils l'ont fecondé dans l'exercice d'un poste dif ficile.

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Notre fatisfaction d'avoir atteint complettement, & plutôt que nous devions nous y attendre, l'objet pour lequel nous avons combattu contre une Puiffance formidable, ne peut qu'être accompagnée d'étonnement & de gratitude. Nous ne pourrons jamais oublier les circonftances défavantageufes fous lefquelles la guerre a été entreprise de notre part; l'interpofition fingulière de la Providence, dans l'état de foibleffe où nous nous trouvions, n'a pu échapper à l'œil le moins attentif; la persévérance fans exemple des armées des Etats-Unis, au milieu de toutes les fouffrances & de tous les découragemens poffibles, pendant le long efpace de fept années, peut être ellemême confidérée comme un miracle permanent,

Il n'entre point dans l'objet ni dans le plan de cette adresse de détailler toutes les difficultés par ticulières, ni les détreffes que nous avons éprouvées, de décrire les extrémités où nous ont réduit Jen plufieurs occasions le manque d'alimens & de vêtemens, les rigueurs d'une rude faifon; il n'eft pas nécelfaire d'arrêter nos regards fur le côté défagréable des évènemens paffés. Tout Officier, tout Soldat Américain doit fe confoler des peines qu'il a reffenties, en fe rappellant les fcènes peu communes dans lefquelles il a eu une part glorieufe, & les évènemens étonnans dont il a été le témoin; évènemens que le théâtre des

actions humaines a rarement offerts, s'il s'en trouve même des exemples, & qui probablement ne fe renouvelleront point. Qui a vu, avant cette óccafion, une armée difciplinée, formée tout d'un coup d'hommes entièrement neufs aux exercices militaires? A moins d'en avoir été le témoin, qui imaginera que les préjugés locaux les plus forts aient pu ceffer fi promptement, & des hommes venans des différentes parties du Continent, difpofés par des habitudes fondées fur l'éducation, à fe méprifer & fe quereller mutuellement, foient devenus en un inftant une fociété de frères unis par le patriotisme ? Qui pourra, fans y avoir pris part, tracer la marche par laquelle une fi étonnante révolution eft venue à fon terme, & a couronné nos travaux militaires ?

que

Il est universellement reconnu que la fource féconde de profpérité que nous ouvre la confirmation de notre fouveraineté & de notre indépendance, eft au-deffus de toute description: & ces braves gens, qui ont contribué si essentiellement à procurer ces biens ineftimables, en fe retirant victorieux du champ de bataille pour retourner aux travaux de l'agriculture, ne participeroient-ils pas à toutes les bénédictions qui ont été obtenues? Dans une République comme la nôtre, qui les excluroit des droits de citoyens,

& de la jouiffance des fruits de leurs travaux? Dans un pays dont les circonstances font fi favorables, les fpéculations de commerce & la culture du fol ouvrent un champ vafte à l'induftrie; les pêches offriront une occupation. avantageufe aux foldats entreprenans & endurcis à la fatigue; ceux qui préfèrent les plaisirs domeftiques, & qui cherchent à jouir de l'indépendance perfonnelle, trouveront un afyle propice dans les vastes & fertiles régions de l'Occident. Il n'eft, au refte, pas poffible d'imaginer, qu'aucun des Etats-Unis préfère une banqueroute nationale, & la diffolution de l'union, à une juste déférence aux demandes du Congrès, & au paiement des dettes légitimes. Ainfi les Officiers & les Soldats peuvent, en fe livrant de nouveau à leurs occupations civiles, attendre un fecours confidé. rable des fommes qui leur font dues par le public, qui leur doivent être, & qui leur feront infailliblement payées.

Afin de parvenir à ce but defirable, & de dé truire les préjugés qui peuvent s'être emparés des efprits d'une partie du bon peuple de ces Etats, il est particulièrement recommandé à toutes les troupes de porter dans la fociété civile, avec des fentimens inaltérables d'attachement envers l'union, les difpofitions les plus conciliantes, & de fe montrer moins vertueux & moins utiles,

ne pas

comme citoyens, que conftans & victorieux comme foldats. Si quelque individu envieux refuse de payer la dette que le Public a contractée, & de rendre au mérite le tribut qui lui est dû, cette indigne conduite ne doit point exciter d'invectives, & ne peut autorifer aucun excès. Rappellez feulement au fouvenir de vos concitoyens, que la voix impartiale des citoyens libres des EtatsUnis vous a promis une jufte récompenfe, & donné les applaudiffemens mérités; faites-leur connoître, que la réputation des armées fédérales eft elevée au-deffus des atteintes de la malveillance, & que la conviction de leurs exploits & de leur renommée, excite fans ceffe à des actions honorables les hommes qui les compofoient, dans la perfuafion que les vertus privées d'économie, de prudence & d'induftrie, ne font pas moins estimables dans la vie civile, que les qualités les plus brillantes, la valeur, la perfévérance & l'audace le font dans les champs de Bellone. Chacun peut être affuré que le bonheur des Officiers & Soldats dépend en grande partie, pour l'avenir, de la conduite mâle & fage qu'ils adopteront en fe mêlant à la maffe des citoyens; & quoique le Général ait fouvent fait connoître, de la manière la plus publique & la plus explicite, que, fuivant fon opinion, l'honneur, la dignité & la justice de la Nation feroient perdus pour