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On sait par quelle industrieuse patience les Jésuites firent des hommes et des Chrétiens de toutes les tribus dispersées sur le bord des fleuves ou errant dans les montagues de l'Amérique. Ils y fondèrent d'innombrables Missions; les empires les plus florissants, les continents les plus déserts, les îles les plus éloignées, tout est devenu par eux la conquête de la Croix. Il reste à examiner si, lans l'administration de tant de peuples que le dévouement catholique civilisa, le miracle s'est perpétué, et si les Jésuites ont maintenu et consolidé l'œuvre de leurs prédécesseurs.

Ceux du Paraguay avaient enfin ménagé une trêve de six ans entre les indigènes et les Espagnols; cette trêve leur permettait de se reconnaître au milieu des événements. Le Père André de Rada, provincial du Pérou, nommé visiteur des Réductions, devait rechercher les causes des dissentiments entre Don Bernardin de Cardenas, évêque de l'Assomption, et la Compagnie de Jésus. Le nom de ce Missionnaire avait traversé les mers, et quand la mort le surprit quelques années après au Collége impérial de Madrid, dont il était recteur, l'Espagne entière s'associa au deuil de l'Institut. Rada avait épuisé ses forces dans les Missions; il consacra ses derniers jours à servir les malades dans les hospices, où une fièvre contagieuse s'était déclarée. Il succomba; le respect que ses vertus inspiraient fut si grand, que le cardinal d'Aragon, archevêque de Tolède, le Conseil royal des Indes et les officiers supérieurs de l'armée, se disputèrent le dangereux honneur de le porter au tombeau. Rada parcourut en détail cette république chrétienne; le nouvel évêque de l'Assomption, Gabriel de Guillestigui, en fit autant de son côté; tous deux, mus par le même sentiment d'équité, rendirent au roi d'Es

pagne et au Général de l'Ordre un compte favorable de la situation des choses.

Peu de temps après, en 1668, le Père Juan Pastor faisait une nouvelle tentative sur le Chaco. A deux reprises différentes, il avait essayé d'y répandre la Foi; les sauvages le repoussèrent; mais ces échecs ne servirent qu'à le fortifier dans son projet. Avec deux Jésuites pour toute escorte, il pénètre chez les Mataguayos. Il est accueilli sans colère; bientôt les sauvages conspirent contre ses jours. Afin de ne pas les charger d'un crime qui rendrait impossible l'introduction de l'Evangile dans leur pays, les Missionnaires se dérobent à une mort qu'ils envient. En 1671, une réduction fut commencée près d'Esteco. Les Pères Altamirano et Barthélemy Diaz la gouvernèrent; mais, ce n'était pas assez d'avoir créé la réduction, il fallait la peupler, et les Sauvages s'opiniâtraient à vivre de cette vie nomade à laquelle on les appelait à renoncer. Les néophytes des Réductions étaient ouvriers et soldats. Ils élevaient des villes, ils marchaient à l'avant-garde de l'armée; ils construisaient des citadelles et des ports; ils défendaient le drapeau que l'Espagne confiait à leur fidélité éprouvée. De ces travaux et de ces périls, les néophytes ne retiraient aucun salaire. Les Jésuites n'avaient pas voulu les habituer à vendre leur sang ou leurs bras à la patrie qui les adop tait, et au Roi qui les protégeait. Le commerce, l'industrie, l'agriculture, fournissaient au delà de leurs besoins et de ceux de leurs familles; dans la pensée des Missionnaires, il ne fallait pas donner aux Chrétiens des idées de cupidité.

Vingt années s'écoulèrent dans ces alternatives de bons et de mauvais succès; mais, en 1683, sous le provincialat de Thomas de Baeza, les Pères Diégo Ruiz et

Antoine Solinas risquèrent encore une incursion dans le Chaco. Cette terre semblait se fermer à l'Évangile; les Jésuites s'obstinaient à la féconder de leurs sueurs; ils avaient fini par faire comprendre aux gouverneurs de Rio de la Plata et aux rois d'Espagne que la porte du Chaco ne s'ouvrirait jamais par la force ou par la crainte, et que ses habitants ne se soumettraient qu'après avoir appris à obéir par la connaissance de Dieu. Ce n'était donc pas des soldats qu'il importait de lancer dans le Chaco, mais des apôtres. Fernand de Luna et Nicolas Ulloa, l'un gouverneur et l'autre évêque de Tucuman, cédèrent à ces observations; les deux Jésuites furent chargés de la Mission. Le 20 avril 1683, ils partent de Jujuy, accompagnés de Pédro Ortiz de Zaraté, pieux ecclésiastique aspirant à la couronne du martyre. Ils franchissent la montagne du Chaco; puis, dans les plaines de Ledesma, ils voient accourir à leur rencontre le Cacique des Oyatas, qui, avec sa tribu et une partie de celles de Tobas et de Tanos, s'offre pour entrer en réduction. On en établit une sous le titre de Saint-Raphaël. Quatre cents familles la composèrent; l'hiver approchait, il allait intercepter les communications avec le Tucuman. Le Père Ruiz se décide à s'y rendre pour ne pas laisser sa nouvelle colonie en proie à la famine. Il part, son retour est annoncé. Les Missionnaires et les Catéchumènes s'avancent à quelques lieues de Saint-Raphaël, afin de saluer son arrivée, lorsque, le 17 mars 1686, ils sont assaillis par une multitude de Sauvages campés dans une forêt voisine. Solinas et don Zaraté périssent sous les flèches ou sous le macanas; leurs Néophytes partagent le même sort.

La trahison des Tobas et des Mocobis n'intimida point les Jésuites. Ils se savaient destinés à toutes les perfi

dies et à tous les supplices; ils n'en continuaient pas moins leur apostolat. Pour les préserver de ces embûches, le roi d'Espagne veut en vain les faire escorter par ses troupes; les Missionnaires sentent que la force est inutile. Elle exaspérera les Sauvages, que le Christianisme effraie encore moins que la servitude. Ceux qui ont apprécié le dévouement des Pères ne sont pas éloignés d'embrasser leur croyance; mais, comme les plus opiniâtres, ils ne veulent pas que le prêtre catholique vienne à eux sous la protection des Espagnols..

Une cité a été fondée dans la vallée de Tarija, dont elle prend le nom; par la province des Charcas et par celle des Chiriguanes, elle fournit un moyen d'entrer dans le Chaco. En 1690, le Père Ruiz institue un collége à Tarija; cette maison doit être le point de départ, le centre et la retraite des Jésuites qui entreprendront de porter la Foi dans le Chaco. Le marquis del Valle Toxo et dona Clémentia Bermudez, son épouse, consacrent leur fortune à cet établissement, dont le Père Joseph de Arcé est nommé supérieur. De Arcé crée une réduction sur le Guapay; mais les progrès de la Compagnie renouvelaient les craintes des marchands d'esclaves. L'avidité des uns s'efforçait de nuire au zèle des autres. Chaque jour elle élevait des conflits; elle cherchait par de sourdes manoeuvres à calomnier, même auprès des Indiens, la Religion et les Jésuites qui les affranchissaient.

A travers ces difficultés renaissantes, les Pères de Arcé, Centeno, Hervas, de Zéa, Philippe Suarez, Fideli et Denis d'Avila maintiennent leur ceuvre. Les Chiquites sont attaqués par les Mamelus; de Arcé est éloigné de la réduction, et les Néophytes ne combattront que soùs ses yeux. Pour qu'ils puissent triompher de leurs enne

que

mis, ils implorent la bénédiction de celui qui les a faits chrétiens; Arcé accourt, et les Chiquites sont vainqueurs. Ce succès, qui date de l'année 1694, donna un rapide développement aux réductions. De 1695 à 1707, il s'en forma quatre qui prospérèrent et qui bientôt n'eurent rien à envier à celles des Guaranis. Les Chiquites habitaient les rives du Guapay et du Parapiti, qui, sous le nom de Rio de la Madera, se jettent dans le fleuve des Amazones. Sur cette terre peu féconde, et où les variations de la température enfantent chaque année des maladies pestilentielles, il n'existe pour tout remède qu'un fanatisme déplorable. Ces Indiens se persuadent la femme est la cause de tous leurs maux. Au premier signe de douleur, ils peuvent faire mourir leur mère, leur épouse, leur fille ou toute autre femme qu'ils indiquent au Cacique. En dehors de cette croyance, les Chiquites ne sont ni cruels, ni sanguinaires; mais ils n'ont aucune idée de la famille, aucune trace de la loi naturelle. Quand la lune, qu'ils appellent leur mère, s'éclipsait ou se couvrait de nuages rouges, ils s'imaginaient que des cochons, à force de la mordre, la mettaient tout en sang. Pour la délivrer, ils lançaient des flèches en l'air jusqu'au moment où elle reprenait son éclat. Les Jésuites triomphèrent peu à peu de ces instincts mauvais ou superstitieux; ils assouplirent ces caractères de sauvages, qu'une · ivresse presque continue abrutissait.

La guerre de la succession s'était ouverte en Espagne. La France d'un côté, l'Allemagne et l'Angleterre de l'autre, se disputaient le trône de la Péninsule. Les Jésuites avaient pris parti pour le petit-fils de Louis XIV; comme le grand Roi, ils désiraient qu'il n'y eût plus de Pyrénées. La colonie du Paraguay fournissait au roi catholique des soldats dont le courage et la subordination

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