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n'étaient pas encore sujets de la Prusse, avaient été hostiles à ses armes, c'est-à-dire fidèles à leur gouvernement.

Le 7 janvier 1774, Frédéric répondit : « Vous pouvez être sans crainte pour ma personne; je n'ai rien à craindre des Jésuites le cordelier Ganganelli leur a rogné les griffes, il vient de leur arracher les dents måehelières et les a mis dans un état où ils ne peuvent ni égratigner ni mordre, mais bien instruire la jeunesse, de quoi ils sont plus capables que toute la masse. Ces gens, il est vrai, ont tergiversé dans la dernière guerre ; mais réfléchissez à la nature de la clémence. On ne peut exercer cette admirable vertu à moins que d'avoir été offensé; et vous, philosophe, vous ne me reprochez pas que je traite les hommes avec bonté, et que j'exerce l'humanité indifféremment envers tous ceux de mon espèce, de quelque religion et de quelque société qu'ils soient. Croyez-moi, pratiquez la philosophie et métaphysiquons moins. Les bonnes actions sont plus avantageuses au public que les systèmes les plus subtils et les plus déliés de découvertes dans lesquelles, pour l'ordinaire, notre esprit s'égare sans saisir la vérité. Je ne suis cependant pas le scul qui ait conservé les Jésuites : les Anglais et l'impératrice de Russie en ont fait autant. »

Dans cette correspondance si pleine de curieux enseignements, le Roi conservateur l'emporte toujours sur le philosophe destructeur. Frédéric veut que les Prussiens reçoivent une bonne, une libérale instruction; d'Alembert sacrifie l'avenir du peuple à l'égoïsme d'une haine dont les puérilités ont quelque chose de profondément calculé. Quand Frédéric l'a rassuré sur son existence, que les Jésuites sougent peu à compromettre, l'Encyclopédiste fait valoir d'autres terreurs. Il redoute

OEuvres philosophiques de d'Alembert, 1, xvi.

que les princes, encouragés par le roi de Prusse, ne se déterminent à solliciter de lui quelques Jésuites; et, le 15 mai 1774, le monarque écrit1: « Tant de fiel entret-il dans l'âme d'un vrai sage? diraient les pauvres Jésuites, s'ils apprenaient comment, dans votre lettre, vous vous exprimez sur leur sujet. Je ne les ai point protégés tant qu'ils ont été puissants; dans leur malheur, je ne vois en eux que des gens de lettres qu'on aurait bien de la peine à remplacer pour l'éducation de la jeunesse. C'est cet objet précieux qui me les rend nécessaires, puisque, de tout le Clergé catholique du pays, il n'y a qu'eux qui s'appliquent aux lettres. Ainsi n'aura pas de moi un Jésuite qui voudra, étant très-intéressé à les conserver. »

Deux mois et demi plus tard, le 28 juillet, Frédéric mande encore à d'Alembert : « Ils n'ont point usẻ du coutelet dans ces provinces où je les protége; ils se sont bornés, dans leurs colléges, aux humanités qu'ils ont enseignées; serait-ce une raison pour les persécuter? M'accusera-t-on pour n'avoir pas exterminé une société de gens de lettres, parce que quelques individus (en supposant le fait vrai) de cette Compagnie ont commis des attentats à deux cents lieues de mon pays? Les lois établissent la punition des coupables, mais elles condamnent en même temps cet acharnement atroce et aveugle qui confond dans ses vengeances les criminels et les innocents. Accusez-moi de trop de tolérance, je me glorifierai de ce défaut; il serait à souhaiter qu'on ne pût reprocher que de telles fautes aux souverains. »

A quelques années d'intervalle, le 18 novembre 1777, le Salomon du Nord, ainsi que les Philosophes l'avaient surnommé, donne à Voltaire une leçon de recounais

▸ OEuvres philosophiques de d'Alembert, Correspondance, t. xvii.

sance. A ce vieillard qui va mourir et qui, un pied dans le tombeau, blasphème encore, Frédéric rappelle des pensées de jeunesse et le collége de Louis-le-Grand où il fut élevé.« Souvenez-vous, lui mande-t-il, du Père Tournemine, votre nourrice (vous avez sucé chez lui le doux lait des Muses), et réconciliez-vous avec un Ordre qui a porté et qui, le siècle passé, a fourni à la France des hommes du plus grand mérite.»

Les agents de Clément XIV, les ambassadeurs des Bourbons, ne réussissaient pas mieux auprès de Frédéric que les Philosophes eux-mêmes; le Pape espéra qu'il serait plus heureux en intimidant les Évêques de Prusse. I enjoignit par son chargé d'affaires à Varsovie de suspendre tous les Jésuites des fonctions sacerdotales et de leur interdire jusqu'à l'enseignement. Le Nonce apostolique informa en même temps le Roi que cette mesure cesserait aussitôt que la publication du Bref aurait donné force de chose jugée à la suppression de l'Institut. La même demande était faite à Catherine elle obtint la même réponse des deux Souverains. Ils virent dans cette proposition un moyen détourné pour dissoudre les colléges placés sous leurs auspices; ils refusèrent nettement de favoriser un pareil projet. Les Évêques se retranchèrent derrière l'immuable volonté de Frédéric ; et celui de Culm, encore plus hardi que les autres, se mit en rapport direct avec le Père Orloski, supérieur des Jésuites prussiens. Ce prélat, qui se nommait Bayer, leur confia la direction de son séminaire, puis, sur ces entrefaites, Frédéric et le Père Orloski prirent une grave détermination. Le Roi fit un appel public à tous les Jésuites. Le Pape les avait dispersés; lui, prince hérétique, les invite à se réunir

OEuvres complètes de Voltaire, t. XLVII, p. 302.

et à vivre dans ses États selon la règle de saint Ignace. Une pension de 700 florins est allouée à chaque Père. Le nouveau Pontife, Pie VI, voyait avec une joie secrète les événements préparer, sans le concours du Saint-Siége, une réhabilitation qui était dans son cœur. A cette même époque, le 27 septembre 1775, le Roi, pour vaincre les irrésolutions de quelques-uns voulant toujours se soumettre sans condition au Bref de Clément XIV, adresse le rescrit suivant au recteur du collége de Breslaw: « Vénérable, cher et fidèle Père, le nouveau Por.tife ayant déclaré qu'il me laissait le choix des moyens que je croirais être les plus convenables pour la conservation des Jésuites dans mes États, et qu'il n'y mettrait aucun obstacle par déclaration d'irrégularité; en conséquence, j'ai enjoint à mes Evêques de laisser votre Institut in statu quo, et de ne point gêner dans leurs fonctions aucun de ses individus, ni de refuser à l'ordination ceux qui s'y présenteraient. Vous vous conformerez donc à cet avis, et vous en informerez vos confrères.

Frédéric bravait publiquement l'autorité de Pie VI; mais cet outrage, convenu d'avance entre eux, laissait le Pape tout à fait insensible. Il fallait endormir la cour d'Espagne, ou lui prouver que le Saint-Siége n'avait aucun moyen coercitif contre le roi de Prusse. FloridaBlanca était alors premier ministre à Madrid; il se plaint avec amertume d'une résurrection qui désole son maître. Le Pape communique ces doléances au roi de Prusse. Celui-ci déclare qu'il permet aux Jésuites de changer d'habit pour mieux conserver leur Institut, mais que sa volonté souveraine est de sauvegarder l'intégrité de l'Ordre.

Pie VI s'avouait impuissant à mieux faire. Florida

Blanca et Tanucci rongeaient leur frein, quand la mort de Bayer, évêque de Culm, mit un terme aux espérances de la Compagnie de Jésus. Hohenzotten, qui lui succédait sur ce siége, était issu de la maison de Brandebourg. Il avait pendant long-temps soutenu les Jésuites; néanmoins à peine est-il installé qu'il conseille au Roi de garder les Pères, mais en les sécularisant. C'était leur accorder une existence limitée; car sans noviciat il devenait impossible de se recruter. Cependant, jusqu'à la mort de Frédéric II, en 1786, ils continuerent à vivre en communauté. Le nouveau roi leur ayant retiré les revenus des colléges et des maisons, ils furent forcés de se séparer. Les uns, en attendant des jours plus heureux, se sécularisèrent; les autres prirent la route de Russie.

Frédéric II ne les avait pas constitués d'une manière stable; l'impératrice de Russie organisa mieux ses plans. Ce fut véritablement sous son égide que les Jésuites purent se rallier et se propager à l'abri des tempêtes. Le 14 octobre 1772 Catherine prenait possession de la partie polonaise située à l'est de la Dwina et du Dniéper. Ce pays se nomme la Russie-Blanche. La Compagnie de Jésus tenait depuis long-temps quatre colléges à Polotsk, à Vitepsk, à Orcha et à Dunabourg; deux rési– dences à Mohilow et à Mierziacza, et quatorze Missions. Deux cents Jésuites, répandus dans ces provinces, y formaient l'enfance aux belles-lettres et à la piété, l'âge mûr à tous les devoirs sociaux. L'alliance entre la Pologne et l'Institut de Loyola avait duré autant que leur vie: la République des Jagellons et la Compagnie suc combaient à la même heure. Mais Catherine, en souveraine prévoyante et juste, ne voulut pas laisser un droit de plainte aux nouveaux sujets que le traité de partage

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