صور الصفحة
PDF
النشر الإلكتروني

l'inhuma à côté des chefs qui l'avaient précédé dans la Compagnie.

Tandis que la mort enlevait à quelques mois d'intervalle Laurent Ganganelli et Laurent Ricci, le Pape qui anéantit la Société de Jésus et le dernier chef de cette Société, le Bref d'extinction traversait les mers; il portait le deuil et le désespoir au sein de toutes les Chrétientés nouvelles. Les Pères Castiglione et Goggiels, héritiers de la savante génération des Verbiest, des Parennin et des Gaubil, avaient échappé à ce dernier malheur. Joseph Castiglione expirait à soixante-dix ans, comblé des témoignages de l'affection impériale, et, faveur inouïe! ce Jésuite vit même l'Empereur composer et écrire son éloge, que le prince lui adressait accompagné de riches présents. Goggiels, moins bien traité, fut plus utile aux Chinois. Avant de mourir, il fit dresser une sorte de cadran qui simplifiait les observations astronomiques. En 1773, deux jeunes P'ères partaient d'Europe pour les remplacer; cinq autres arrivaient en même temps au Tonquin. Au mois de novembre 1773, un vaisseau français déposait au rivage de Canton quatre Jésuites, un peintre, un médecin et deux mathématiciens. Sur le point de quitter Paris, l'archevêque Christophe de Beaumont leur annonça le coup de foudre qui allait frapper la Compagnie. Ils ne crurent pas que ces craintes, quoique fondées, fussent un motif suffisant pour enfreindre le commandement de leur Général, et ils se mirent en route, afin de glorifier jusqu'au bout l'obéissance volontaire. Ces Jésuites étaient étrangers à la France; mais déjà le gouvernement de Louis XV lui-même, sentant le poids du reproche que l'Europe savante était en droit de lui adresser, cherchait par tous les moyens possibles à ménager aux

sciences et aux lettres de dignes correspondants en Asie. Il avait proscrit les Jésuites; depuis neuf ans il sollicitait du Saint-Siége leur anéantissement, et, par une inconséquence au moins singulière, il honorait ces Missionnaires en se chargeant de les transporter à ses frais sur le territoire de la Chine. Les officiers du roi de Portugal s'offraient à Canton pour les présenter au chef du Céleste Empire. Quatre navires impériaux arrivent au port; ils doivent conduire les Jésuites à la cour; mais alors le Bref leur est notifié par l'évêque de Macao. C'était la créature de Pombal; une pitié dérisoire se joignit à la calomnie. Dans l'alternative où les plongeaient le décret du Pape supprimant la Société de Jésus et l'appel de l'Empereur de la Chine qui leur ouvrait ses États, les Jésuites hésitèrent. Christophe de Murr, dans son Journal', a conservé des preuves authentiques de cette hésitation. Un Missionnaire, Tyrolien d'origine, écrivait :

[ocr errors]

Après trois jours passés au milieu des angoisses et des larmes, nous balancions les inconvénients contradictoires de toute détermination possible. L'Empereur nous commandait de nous rendre à Péking, et refuser une grâce impériale, c'est en Chine un crime de lèsemajesté. D'autre part, le Bref du Souverain Pontife nous défendait d'y entrer comme Religieux. Le moindre atermoiement dans l'accomplissement de ses volontés eût été condamné en Europe. Nous prîmes la résolution de mourir plutôt que de souiller la Compagnie par une opposition au Pape en des circonstances aussi critiques. Permettez-moi de vous rappeler ici cette calomnie depuis long-temps répandue, que les Jésuites se font ouvrir les portes de la Chine plutôt pour y devenir manJournal de Christophe de Murr, t. iv, p. 231 et suivantes.

darins que pour y être apôtres. Nous, les derniers de tous, nous étions désignés pour le mandarinat aussitôt après notre arrivée à Péking, mais il ne nous était pas possible d'y prêcher en même temps l'Evangile : nous avons pris le parti de regagner l'Europe. »

Ces quatre Jésuites obéissaient au delà des mers avec le respect que montrèrent leurs frères d'Europe; mais cette obéissance compromettait aux yeux de l'empereur de la Chine l'évêque et le gouverneur de Macao. Ces derniers songent à se débarrasser des Jésuites en les envoyant à Pombal, qui avait toujours pour eux des chaînes et des souffrances. Les Chinois furent plus humains que ces Catholiques; ils obtinrent la liberté des quatre Missionnaires, et ils les abandonnèrent dans l'île de Vam-Lu. « Nous n'eûmes qu'une nuit, ajoute la lettre déjà citée du Jésuite tyrolien, pour profiter d'une dernière ressource; c'était la générosité de quelques capitaines de vaisseau français qui faisaient voile pour l'Europe. Ils furent sensibles à nos prières; ils ne voulurent pas nous laisser exposés sans aucun secours humain au fond des Indes. Que n'ai-je des paroles assez éloquentes pour louer dignement la nation française! Elle s'est acquis des droits à l'éternelle reconnaissance de quatre pauvres Missionnaires; par le plus grand des bienfaits, elle les a tirés de la plus profonde des misères. Distribués dans quatre bâtiments, nous commençâmes un exil de trois mois sur mer, et nous dont les yeux étaient restés secs en quittant l'Europe, nous versions des larmes amères en disant un dernier adieu à ce rivage où nous avions eru trouver une autre patrie. »

L'histoire de ces quatre Jésuites, recueillie par un Protestant, c'est l'histoire de tous leurs frères dans l'apostolat. La même plainte, aussi touchante mais aussi

résignée, retentit au fond de l'Amérique et sur les continents indiens. Clément XIV a d'un trait de plume brisé leur passé et leur avenir; ils se soumettent sans murmure. Le Bref Dominus ac Redemptor les réduit à l'indigence? cette indigence n'altère pas leur foi, elle n'amortit point leur charité. Quand la première nouvelle de la destruction de l'Ordre parvint en Chine, le Père de Hallerstein, président du tribunal des mathématiques, et deux autres Jésuites, expirèrent de douleur sous le coup même '. C'était le vieux soldat qui ne veut pas se séparer de son drapeau. D'autres eurent le courage de leur position, et ce courage apparaissait pour nous dans tout son éclat lorsque, d'un œil avide, nous parcourions les lettres autographes et inédites adressées en Europe par les Missionnaires de la Compagnie de Jésus. Il y a d'admirables de pensées et de style; toutes sont aussi pleines d'éloquente émotion que celle du Père Bourgeois, Supérieur des Jésuites français à Péking. Le 15 mai 1775, il mandait au Père Duprez : « Cher ami, je n'ose aujourd'hui vous épancher mon cœur. Je crains d'augmenter la sensibilité du vôtre. Je me contente de gémir devant Dieu. Ce tendre Père ne s'offensera pas de mes larmes, il sait qu'elles coulent de mes yeux malgré moi; la résignation la plus entière ne peut en tarir la source. Ah! si le monde savait ce que nous perdons, ce que la Religion perd en perdant la Compagnie, luimême partagerait notre douleur. Je ne veux, cher ami, ni me plaindre ni être plaint. Que la terre fasse ce qu'elle voudra. J'attends l'Éternité, je l'appelle, elle n'est pas loin. Ces climats et la douleur abrègent des jours qui n'ont déjà que trop duré. Heureux ceux des nôtres qui se sont réunis aux Ignace, aux Xavier, aux Louis de Gon'Histoire des mathématiques, par Montucla, tie part., liv. 1v, p. 471.

zague et à cette troupe innombrable de saints qui marchent avec eux à la suite de l'Agneau, sous l'étendard du glorieux nom de Jésus.

» Votre très-humble serviteur et ami,

[ocr errors][merged small]

A cette lettre est joint le post-scriptum suivant :

« Cher ami, c'est pour la dernière fois qu'il m'est permis de signer ainsi; le Bref est en chemin, il arrivera bientôt; Dominus est. C'est quelque chose d'avoir été Jésuite une ou deux années de plus.

A Péking, le 25 mai 1775. »

Dix-huit mois après, lorsque tout est consommé, une lettre du Frère coadjuteur, Joseph Pauzi, révèle les résolutions que les Jésuites ont prises et le genre de vie qu'ils ont adopté. Ce Frère, qui est peintre, écrit les 6 et 11 novembre 1776:

"

Nous sommes encore réunis dans cette mission : la Bulle de suppression a été notifiée aux Missionnaires, qui néanmoins n'ont qu'une seule maison, un même toit et une table commune. Ils préchent, ils confessent, ils baptisent; ils ont l'administration de leurs biens et ils remplissent tous les devoirs comme auparavant, aucun d'eux n'ayant été interdit, parce qu'on ne pouvait faire autrement dans un pays tel que celui-ci; et cependant il ne s'est rien fait sans la permission de monseigneur notre Évêque, qui est celui de Nankin. Si on se fût conduit comme dans quelques endroits de Europe, c'en était fait de notre Mission, de notre Religion, et c'eût été un grand scandale pour les Chrétiens de la Chine, aux besoins desquels on n'avait pas pourvu, et qui auraient peut-être abandonné la Foi catholique.

« السابقةمتابعة »