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sation, couvraient les Indes de néophytes. De Pondichéry, dont ils faisaient le chef-lieu de leurs missions, ils s'élançaient sur les points les plus éloignés. Ils n'étaient pas venus les premiers moissonner dans le champ du père de famille, la onzième heure avait sonné pour eux; mais, ouvriers actifs, ils réparaient le temps perdu en se multipliant. Ce fut dans l'Indostan et à la Chine qu'ils déployèrent le plus d'ardeur; le Maduré surtout devint leur terre de prédilection. Ilsy avaient été précédés par Robert de' Nobili et Juan de Britto. Le Père Constant Beschi fut leur modèle; c'est le troisième type du Jésuite brahme; mais ce dernier efface les deux autres par l'empire qu'il exerça sur les indigènes et par l'auréole poétique dont il s'enveloppa à leurs yeux. Le Père Beschi arrive dans l'Inde en 1700; son premier soin est de surpasser en austérités les Saniassis les plus pénitents. Il s'astreint dans sa case et au dehors à ne toucher à aucune chair qui a eu vie; il porte au front le potou de Sandanam, sur sa tête la coulla, espèce de toque en velours, à forme cylindrique; le somen serre ses reins; ses pieds sont enchâssés dans des socques à chevilles de bois, et des perles chargent ses oreilles. Il ne voyage jamais qu'en palanquin, jamais qu'assis sur des peaux de tigre, tandis que deux hommes agitent autour de lui de riches éventails, formés de plumes de paon, et qu'un autre élève un parasol de soie surmonté d'un globe

d'or.

Afin de dompter l'orgueil de ces peuples, le Père Beschi, qu'ils surnommaient respectueusement le grand Viramamouni, avait contraint son humilité à emprunter ces dehors de luxe. Il avait renoncé aux moeurs, au langage de l'Italie, sa patrie ; il n'était même Jésuite que le moins possible, c'est-à-dire il cachait sous la science du Saniassi

toute la charité dont son cœur débordait. Beschi connaissait déjà les langues mortes et vivantes : il approfondit le sanscrit, le telenga et le tamoul; il étudia les poètes de l'Indostan, il le devint même dans leur idiome; puis, sur les bords du Gange, il composa des chants dont les Brahmes font encore leurs délices. Ces vers, pleins d'élégance indienne, célébraient les douleurs du Christ, la virginité de Marie et les mystères du Catholicisme. C'était la prédication de l'Evangile mise à la portée de ces esprits orgueilleux, qu'il fallait capter par l'attrait du langage. Beschi soutint ce rôle pendant près de quarante ans. Il eut tous les honneurs publics de l'Ismat Saniassi, c'est-à-dire du pénitent sans tache; mais par des moyens aussi extraordinaires il fit pénétrer dans ces nations la connaissance du Christianisme. Il leur enseigna l'existence d'un Dieu unique, il leur apprit à dédaigner leurs vieilles superstitions, à pratiquer les devoirs de la famille, à suivre les lois de la chasteté;

et, honoré par les grands ainsi que par les peuples, il vécut parmi eux comme un homme dont chacun vénérait les talents et la vertu. Beschi ne s'en tint pas là. Le Nabab de Trichirapalli, enthousiasmé par ses discours, lui accorde le titre et la charge de son premier ministre. Le Jésuite accepte ce rang suprême: il ne marche plus qu'accompagné de trente cavaliers, de douze portedrapeaux et d'une musique militaire, que suivaient de nombreux chameaux. Ainsi escorté, il s'avançait dans les campagnes et dans les villes. Ses magnificences orientales ne lui avaient rien fait perdre de son zèle. Ce luxe, auquel il se soumettait, n'avait pour but que de sauver les âmes, que d'inspirer aux savants du Maduré des pensées chrétiennes. Il l'atteignit avec tant de bonheur que plus d'une fois il força les Brahmes à recevoir

le baptême ou à lui offrir en dépouilles opimes leurs chevelures, longues de cinq à six pieds, et qui, tressées et liées comme des bottes de paille, restaient suspendues dans le vestibule de son église de Tiroucavalour. Ce furent les trophées de ses victoires.

Le Jésuite saniassi était comblé d'honneurs; mais là, comme partout, le Capitole avait sa roche Tarpéienne, et un contemporain de Beschi, le Père Bouchet, nous révèle, dans une de ses lettres, que toutes ces dignités ne préservaient pas de la persécution. Il écrit : « Quand le Missionnaire se lève le matin, il n'oserait assurer qu'il ne couchera pas le soir dans quelque cachot. Il est rare qu'il s'en trouve un seul qui échappe aux horreurs de la prison, et j'en ai connu qui ont été emprisonnés deux fois en moins d'une année. »

Quarante-deux ans avant la mort de Beschi, ce même Bouchet, l'un des Brahmes les plus célèbres de la Compagnie de Jésus, écrivait au Père Charles Le Gobien, le 1er décembre 1700:

« Notre Mission de Maduré est plus florissante que jamais. Nous avons eu quatre grandes persécutions cette année. On a fait sauter les dents à coups de bâton à un de nos missionnaires, et actuellement je suis à la cour du prince de ces terres pour faire délivrer le Père Borghèse, qui a déjà demeuré quarante jours dans les prisons de Trichirapalli, avec quatre de ses catéchistes qu'on a mis aux fers; mais le sang de nos chrétiens, répandu pour Jésus-Christ, est comme autrefois la semence d'une infinité de prosélytes.

» Dans mon particulier, ces cinq dernières années, j'ai baptisé plus d'onze mille personnes, et près de vingt mille depuis que je suis dans cette Mission. J'ai soin de trente petites églises, et d'environ trente mille Chré

tiens; je ne saurais vous dire le nombre des confessions": je crois en avoir ouï plus de cent mille.

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Vous avez souvent entendu dire que les Missionnaires de Maduré ne mangent ni viande, ni poisson, ni œufs; qu'ils ne boivent jamais de vin ni d'autres liqueurs semblables; qu'ils vivent dans de méchantes cabanes couvertes de paille, sans lit, sans siége, sans meubles ; qu'ils sont obligés de manger sans table, sans serviette, sans couteau, sans fourchette, sans cuiller. Cela paraît étonnant; mais, croyez-moi, mon cher Père, ce n'est pas là ce qui nous coûte le plus. Je vous avoue franchement que, depuis douze ans que je mène cette vie, je n'y pense seulement pas. »

Les Pères avaient déjà les Missions du Maduré, du Tanjaour et de Marawar; les Français y ajoutèrent celle de Carnate, qui, s'étendant au nord, depuis Pondichéry jusqu'à Bouccapouram, à la hauteur de Masulipatan, renfermait seize Chrétientés florissantes dans un rayon de deux cents lieues. D'autres propageaient le Christianisme dans le Bengale et au Mogol. Du cap de Comorin aux frontières de la Chine, de la côte de Coromandel aux sources du Gange, il se trouvait partout des Jésuites et des Chrétiens. Les Pères portugais avaient fondé un collége non loin de Chandernagor; ils étaient à Bakka dans la province d'Arcate et sur le territoire d'Aoude. Les côtes du Malabar, de la Pêcherie et de Travancor, où avait retenti la voix de saint François-Xavier, se soumettaient à l'action des Missionnaires; ils bâtissaient des églises et formaient des familles ; ils instruisaient les peuples et se faisaient les amis des monarques. Beschi et Bouchet avaient adopté le costume et le genre d'exis tence des Brahmes saniassis; ils vivaient parmi eux sur le pied de la plus complète égalité; mais ils ne pou

vaient communiquer avec la caste des pariahs, sous peine de devenir pariahs eux-mêmes. Les Pères Emmanuel Lopez, Antoine Acosta et plusieurs autres ne consentirent pas à laisser sans secours cette population avilie. Ils s'habillèrent comme les rayas; ils se placèrent en intermédiaires, afin de pouvoir offrir à tous les soins de leur charité. « N'était-ce pas un spectacle tout-à-fait comique, raconte un voyageur', de voir deux confrères, deux membres du même Institut, deux amis, qui, quelque part qu'ils se rencontrassent, ne pouvaient ni manger ensemble, ni loger dans la même maison, ni même se parler? L'un était vêtu d'un angui éclatant comme un grand seigneur; il montait un cheval de prix ou se faisait porter fastueusement en palanquin, pendant que l'autre voyageait demi-nu et couvert de haillons, marchant à pied, entouré de quelques gueux, dont l'accoutrement était encore plus misérable que le sien. Le Missionnaire des nobles allait tête levée, et ne saluait personne. Le pauvre Kourou des pariahs saluait de loin son confrère, se prosternait à son passage, et mettait la main sur sa bouche, comme s'il eût craint d'infecter de son haleine le docteur des grands. Celui-ci ne mangeait que du riz préparé par des Brahmes,et l'autre se nourrissait de quelque morceau de viande corrompue dont ses malheureux disciples le régalaient. Rien sans doute n'honore plus la religion que ces ressources du zèle, rien ne fait plus l'éloge d'un prêtre que de pareils sacrifices faits au désir qu'il a d'attacher les hommes à la vérité; mais enfin ces sacrifices sont trop pénibles pour durer long-temps. Aussi cette méthode était déjà abolie à mon

arrivée dans l'Indostan.

Benoît XIV l'avait approuvée dans la bulle de 1744,

Voyage dans l'Indostan, par Perrin, t. 11, p. 106 et 107.

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