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pleurait encore, lorsque cet homme d'État adressait à Bernis l'inconcevable lettre dont nous venons de citer deux fragments.

Cette dépêche troublait la quiétude de Clément XIV, elle inquiétait Bernis. Elle lui laissait entrevoir la possibilité d'abandonner son ambassade de Rome, où il s'arrangeait une vie de faste, de plaisirs décents et de bienfaisance artistique. Le Cardinal n'hésita plus. Louis XV sollicitait un ajournement à la haine toujours active de Charles III, il l'obtint; mais Bernis, Azpuru, Orsini et les quelques Cardinaux ou Prélats marchant sous leur bannière comprirent que les efforts seraient toujours stériles auprès du Pape tant qu'ils ne l'auraient pas entraîné au delà de ses intentions les plus secrètes. Il fallait le prendre par ses idées de justice. On fit surgir procès sur procès contre les Jésuites; on les attaqua en détail afin de les perdre dans l'esprit du Pontife qui devait les juger. Clément XIV voyait enfin que sa mansuétude n'était pour lui qu'une décevante illusion, et qu'elle l'exposait aux reproches des cours. Bernis le consolait dans ses amertumes; il avait de douces paroles à verser sur ce coeur ulcéré. Il le conduisait à l'abime en essayant de couvrir de fleurs le chemin qui y aboutissait. Tandis que Pombal et Choiseul, d'un côté, Monino, Roda, Grimaldi et le duc d'Albe, de l'autre, ne cessaient de presser l'extinction de la Compagnie, l'ambassadeur de France, qui peut-être ne cherchait que des expédients pour la retarder, engagea le Pape dans une démarche qui allait l'accélérer. Charles III avait dénoncé au cabinet de Ver

roles: « Je puis être condamné au malheur d'être votre sujet, mais je ne serai jamais » votre serviteur. »

Après une telle insolence, il est difficile de s'expliquer l'étrange passage de la lettre où Choiseul déclare qu'il serait honteux de voir le Père Ricci l'antagoniste de son maître.

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sailles les lenteurs du Cardinal diplomate. Il accusait sa bonne foi, il exigeait son rappel, il menaçait Rome. Bernis ne trouva qu'un moyen de conjurer cet orage: il supplia le Souverain Pontife d'écrire au roi d'Espagne. Clément XIV, harcelé, vaincu par tant d'obsessions et espérant y échapper encore, se résigne à demander du temps pour opérer la suppression de l'Institut; mais, en la reconnaissant indispensable, il ajoute que « les membres de cette Compagnie avaient mérité leur ruine par l'inquiétude de leur esprit et l'audace de leurs menées. »

Le 29 avril 1770 le Cardinal de Bernis se glorifie du coup de maître qu'il a exécuté. Pour rentrer en grâce auprès de Choiseul et des Philosophes, il dit : « La question n'est pas de savoir si le Pape ne désirerait pas d'éviter la suppression des Jésuites, mais si, d'après les promesses formelles qu'il a faites par écrit au roi d'Espagne, Sa Sainteté peut se dispenser de les exécuter. Cette lettre que je lui ai fait écrire au Roi catholique le lie d'une manière si forte que, à moins que la cour d'Espagne ne changeât de sentiment, le Pape est forcé malgré lui d'achever l'ouvrage. Il n'y a que sur le temps qu'il puisse gagner quelque chose; mais les retardements sont eux-mêmes limités. Sa Sainteté est trop éclairée pour ne pas sentir que, si le roi d'Espagne faisait imprimer la lettre qu'elle lui avait écrite, elle serait déshonorée si elle refusait de tenir sa parole et de supprimer une Société de la destruction de laquelle elle a promis de communiquer le plan, et dont elle regarde les membres comme dangereux, inquiets et brouillons. »

Clément XIV était lié. Avec son caractère qui fuyait le bruit, et qui se serait si heureusement contenté d'une digne oisiveté sur le trône, on savait qu'un peu plus tôt ou qu'un peu plus tard on le contraindrait à tenir cet

engagement solennel. La France et l'Espagne le laissérent respirer pendant quelques mois; néanmoins, comme si la persécution devait toujours s'acharner sur ce vieillard couronné, Pombal et Tanucci reprirent en sous-œuvre les intrigues de Choiseul et d'Aranda. Ils n'avaient pas l'insolente élégance de leurs maîtres : ils furent grossiers dans leurs procédés. Ces derniers outrages irritèrent le peuple romain. Le Pape détestait le prestige des cérémonies religieuses, il ne gouvernait qu'à contre-coeur. Le dégoût des hommes lui faisait prendre les affaires en mépris. Il n'avait pour confidents que deux Religieux de son couvent des SaintsApôtres, Buontempi et Francesco. Il écartait de son trône les Cardinaux et les Princes. A ces sujets de mécontentement intérieur se joignit la disette', suite inévitable d'une mauvaise administration. Le Pape vit s'évanouir cette popularité dont les premiers transports avaient été si doux à son âme. Les Pères de l'Institut pensèrent que cette situation ramènerait le Pontife à des idées plus justes, et que tous ensemble ils pourraient encore travailler à la gloire de l'Église. Ils étaient si complétement en dehors du mouvement des affaires que le Père Garnier, ancien Provincial de Lyon et alors Assistant de France par intérim, écrivait de Rome le 6 mars 1770: « Les Jésuites savent qu'on sollicite leur abolition; mais le Pape garde un secret impénétrable sur cette affaire. Il ne voit que leurs ennemis. Ni Cardinaux ni Prélats ne sont appelés au Palais, et n'en approchent que pour les fonctions publiques. » Et le 20 juin de la même année le Père Garnier mandait encore à ses frères : « Les Jésuites ne s'aident point; ils ne savent, ils ne peuvent même s'aider, et les mesures sont bien prises contre eux. On répand ici, comme à

Paris, le bruit que l'affaire est finie, que le coup est

porté.

Ce fut dans ce moment que la chute du duc de Choiseul vint ranimer toutes les espérances des amis de la Compagnie. Après avoir été, jusqu'à la mort de madame de Pompadour, le plus obséquieux courtisan de cette femme, il ne voulait plus saluer en madame du Barry les déplorables caprices de Louis XV. L'orgueil de cet homme d'État le précipita du faîte des honneurs. Le 25 décembre 1770 Choiseul prit la route de l'exil, et le duc d'Aiguillon fut appelé à lui succéder. Le nouveau ministre avait toujours aimé, toujours défendu les Jésuites. Il arrivait dans un moment opportun; car le peuple, las des prodigalités de Choiseul, applaudissait à sa disgrâce, tandis que les courtisans, les traitants, les parlementaires et les philosophes regrettaient avec fracas leur protecteur. D'Aiguillon avait des vengeances à exercer contre la cour judiciaire : il la punit en la dissolvant, comme elle-même avait dissous la Société de Jésus. Il fut sans pitié pour les magistrats qui s'étaient moutrés inexorables pour les Jésuites: il proscrivit les proscripteurs. Mais, dans cette rapide révolution, la main des Pères, depuis long-temps bannis du royaume, ne se fit pas plus sentir de près que de loin. D'Aiguillon et le chancelier Maupeou avaient d'autres vues. Madame du Barry, et c'est un hommage indirect qu'elle rendit à la vertu des Jésuites, madame du Barry ne songeait nullement à reconstruire l'oeuvre que sa devancière avait brisée. Cependant, à la nouvelle des changements qui s'opèrent dans le ministère et à la cour, le Pape juge que quelques mois de répit lui seront accordés. Louis XV ne voyait plus l'impérieux Choiseul lui dicter des ordres, d'Aiguillon ne devait lui faire aucune violence sur ce

point. Le Roi et le ministre ne demandaient pas mieux que de laisser au Pape sa liberté d'action; mais il fallait ménager Charles d'Espagne. Afin de le consoler de la disgrâce de Choiseul, d'Aiguillon consent à faire cause commune avec les ennemis des Jésuites. Le pouvoir l'avait tenté. Pour désarmer les méfiances du cabinet de Madrid, il veut lui donner des gages. Charles III soupçonnait depuis long-temps le Cardinal de Bernis de tiédeur dans ses poursuites. D'Aiguillon lui en fournit la preuve en livrant à Pignatelli, comte de Fuentès, ambassadeur d'Espagne à Paris, les dépêches de l'ambassadeur de France à Rome. Quand cette lâcheté fut consommée, Charles III et le duc d'Aiguillon concertèrent un nouveau plan de campagne.

Sur ces entrefaites, Azpuru étant mort, Charles III nomme François Monino pour le remplacer dans ses fonctions diplomatiques près le Saint-Siége. Monino, qui a rendu célèbre dans l'histoire d'Espagne le nom du comte de Florida-Blanca, ne savait pas encore par expérience les funestes résultats des révolutions: il les secondait sans prévoir qu'un jour il deviendrait l'un de leurs plus constants adversaires. Dans toute la force de l'âge et des passions ambitieuses, il se dévouait au prince qui l'avait tiré de l'obscurité pour mettre ses talents en lumière. Il épousait sa querelle comme un moyen de fortune. Il arriva à Rome bien décidé à faire fléchir devant sa téméraire opiniâtreté les dernières résistances du Pontife. Clément XIV le savait intraitable; il n'ignorait pas que le duc d'Aiguillon avait enjoint au Cardinal de Bernis de seconder en tout et partout les mesures que Florida-Blanca croirait utile de prescrire. La venue de ce négociateur entreprenant paralysait les temporisations du Cardinal, elle frappait de stupeur le Souverain

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