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d'achever la chute des Jésuites dans les autres pays, il s'occupa surtout d'obtenir leur bannissement complet du territoire espagnol. Choiseul n'épargna à cet effet aucun moyen ni aucune intrigue pour répandre l'alarme sur leurs principes et leur caractère. Il leur attribuait toutes les fautes qui paraissaient devoir entraîner la disgrâce de leur Ordre. Il ne se fit pas le moindre scrupule de faire circuler des lettres apocryphes sous le nom de leur Général et autres supérieurs, et de répandre d'odieuses calomnies contre quelques individus de la Société. » Coxe va plus loin, et il ajoute : « Des rumeurs ' circulaient partout relativement à leurs complots supposés, et à leurs conspirations contre le gouvernement espagnol. Pour rendre l'accusation vraisemblable, on fabriqua une lettre, qu'on supposait avoir été écrite par le Général de l'Ordre à Rome, et adressée au Provincial en Espagne. Cette lettre lui ordonnait d'exciter des insurrections; elle avait été envoyée de manière à être interceptée. On parlait des richesses immenses et des propriétés de l'Ordre; c'était une amorce pour obtenir son abolition. Les Jésuites eux-mêmes perdaient beaucoup de leur influence sur l'esprit de Charles, en s'opposant à la canonisation qu'il désirait si ardemment de

Les apologistes du duc de Choiseul, le comte de Saint-Priest entre autres, ont senti la nécessité de démentir les assertions de l'écrivain auglais, au moins désintéressé dans la question. Leur seul motif pour croire que Choiseul est resté étranger à toute cette intrigue, c'est qu'on n'en découvre aucune trace dans la correspondance officielle ou privée du ministre avec le marquis d'Ossun, son parent, ambassadeur de France à Madrid. Cette raison nous semble peu concluante, car au tome v, page 430, de l'Histoire de la diplomatie, par de Flassan, nous lisons, à propos des négociations relatives aux Jésuites:

Le temps n'a pas encore suffisamment dévoilé ces négociations, et ne les dévoilera peut-être jamais, parce que beaucoup de démarches qui les accompagnèrent furent confiées à des sous-ordres, ou opérées par des voies détournées. Ainsi, le duc de Choiseul ne correspondait pas pour cet objet avec l'ambassadeur du roi à Madrid, mais avec l'abbé Beliardy, chargé d'affaires de la marine et du commerce de France à Madrid. »

2

L'Espagne sous les rois de la maison de Bourbon, t. v, p. 9.

don Juan de Palafox. Mais la cause principale qui occasionna leur expulsion, fut le succès des moyens employés pour faire croire au Roi que c'était par leurs intrigues que l'émeute qui venait d'avoir lieu à Madrid avait été excitée, et qu'ils formaient encore de nouvelles machinations contre sa propre famille et contre sa personne. Influencé par cette opinion, Charles, de protecteur zélé, devint leur implacable ennemi; il s'empressa de suivre l'exemple du gouvernement français, en chassant de ses États une Société qui lui semblait si dange

reuse. »

Léopold Ranke adopte, lui aussi, l'idée de Coxe. « On persuada, dit-il', à Charles III d'Espagne, que les Jésuites avaient conçu le plan de mettre sur le trône, à sa place, son frère don Louis. » Christophe de Murr suit la même version; Sismondi la développe. « Charles III, dit-il', conservait un profond ressentiment de l'insurrection de Madrid; il la croyait l'ouvrage de quelque intrigue étrangère; on réussit à lui persuader qu'elle était l'œuvre des Jésuites, et ce fut le commencement de leur ruine en Espagne. Des bruits de complots, des accusations calomnieuses, des lettres apocryphes destinées à être interceptées, et qui le furent en effet, achevèrent de décider le Roi. »

Un autre Protestant, Schoell, corrobore cette unanimité, qui sera, aux yeux des lecteurs même partiaux, un singulier témoignage en faveur des Pères : « Depuis 1764, raconte le diplomate prussien, le duc de Choiseul avait expulsé les Jésuites de France; il persécutait cet Ordre jusqu'en Espagne. On employa tous les

1 Histoire de la Papauté, t. IV, p. 494.

2 Histoire des Français, t. XXIX, p. 370,

3 Cours d'histoire des Etats européens, t. xxxix, p. 163.

moyens d'en faire un objet de terreur pour le Roi, et l'on y réussit enfin par une calomnie atroce. On assure qu'on mit sous ses yeux une prétendue lettre du Père Ricci, Général des Jésuites, que le duc de Choiseul est accusé d'avoir fait fabriquer; lettre par laquelle le Général aurait annoncé à son correspondant qu'il avait réussi à rassembler des documents qui prouvaient incontestablement que Charles III était un enfant de l'adultère. Cette absurde invention fit une telle impression sur le Roi, qu'il se laissa arracher l'ordre d'expulser les Jésuites. »

L'historien anglican Adam donne la même version, et il ajoute': « On peut, sans blesser les convenances, révoquer en doute les crimes et les mauvaises intentions attribuées aux Jésuites, et il est plus naturel de croire qu'un parti ennemi, non-seulement de leur rétablissement comme corps, mais même de la Religion chrétienne en général, suscita une ruine à laquelle les gouvernements se prêtèrent d'autant mieux qu'ils y trouvaient leurs intérêts. »

Le texte des écrivains protestants est identique; nous ne l'acceptons pas, nous ne le rejetons pas, nous le donnons dans son intégrité. Il explique naturellement ce qui, sans lui, serait inexplicable', car un homme de la

Histoire d'Espagne, t. iv, p. 271.

2 On trouve dans un ouvrage qui parut en 1800 sous ce titre : Du rétablissement des Jésuites et de l'éducation publique (Emmerick, Lambert Romen), un fait curieux à l'appui de ces dires protestants. Le fait est connu de tous ceux qui ont séjourné à Rome, c'est une tradition de catholiques; mais elle confirme pleinement les récits de Schoell, de Ranke, de Coxe, d'Adam et de Sismondi.

Il est bon d'ajouter ici une particularité intéressante à l'histoire des moyens employés pour perdre la Compagnie de Jésus tout entière dans l'esprit de Charles III. Outre la prétendue lettre du Père Ricci, il y eut d'autres pièces supposées, et, parmi ces pièces mensongères, une lettre où l'on avait parfaitement imité l'écriture d'un Jésuite italien, qui contenait des invectives sanglantes contre le gouvernement espagnol. Sur les instances que faisait Clément XIII pour avoir quelques pièces de conviction qui pussent l'éclairer, cette lettre lui fut envoyée. Parmi ceux qui furent char

trempe de Charles III ne modifie pas en un seul jour les opinions de toute sa vie. Restant chrétien plein de ferveur, il ne va pas briser un Institut qui, répandu dans chaque province de son empire, avait conquis plus de peuples à la monarchie espagnole que Christophe Colomb, Cortez et Pizarre. Pour décider Charles III à cet acte de sévérité inouïe, il a fallu des motifs extraordinaires. Le plus plausible, le seul qui pût allumer son courroux, c'était de jeter sur son royal écusson le stigmate de la bâtardise. On avait étudié à fond son caractère, on le croyait incapable de céder à des suggestions philosophiques, on le saisit par le point vulnérable. Dans l'impossibilité d'évoquer un autre fait révélateur offrant quelque vraisemblance, il faut bien s'attacher à celui que les écrivains protestants racontent. Ce fait est avéré par d'autres témoignages contemporains, et par les documents de la Compagnie de Jésus.

'Blessé dans son orgueil et dans sa piété filiale, le Roi, entre les mains de qui les ministres avaient fait tomber les prétendues lettres écrites par Ricci, n'avait plus de conseils à demander qu'à sa vengeance. Dévoué au Souverain Pontife, enfant respectueux de l'Église, il ne songea même pas à recourir à leur sagesse. Il se croyait outragé, il punissait l'injure tout en l'ensevelissant au plus profond de son cœur.

De ténébreuses enquêtes furent ordonnées pour épier les démarches des Jésuites et pour encourager les délagés de l'examiner, se trouvait Pie VI, alors simple prélat. En y jetant les yeux, il remarqua d'abord que le papier était de fabrique espagnole, et il lui parut extraordinaire que, pour écrire de Rome, on eût été chercher du papier en Espagne. Regardant de plus près et au grand jour, il aperçut que le papier portait non-seulement le nom d'une manufacture espagnole, mais encore la date de l'année où il avait été fabriqué. Or, cette date était de deux ans postérieure à celle de la lettre, d'où il suivait que la lettre aurait été écrite sur ce papier deux ans avant qu'il existât. L'imposture, la falsification devenait manifeste; mais le coup était porté en Espagne, et Charles III n'était pas homme à reconnaître et à réparer un tort, »

tions. On prit des mesures que la discrétion espagnole pouvait seule couvrir des ombres du mystère. On interrogea la vie publique et privée de chaque membre de la Société. De tous ces dires, salariés par d'Aranda, on forma un faisceau d'accusations sans unité, et on présenta l'affaire au Conseil extraordinaire assemblé. Le 29 janvier 1767 le fiscal de Castille, don Ruys de Campomanès, plaida contre eux, raconte le Protestant Jean de Muller'. « Il leur fit un crime de l'humilité de leur extérieur, des aumônes qu'ils répandaient, des soins qu'ils donnaient aux malades et aux prisonniers, il les accusa de se servir de ces moyens pour séduire le peuple et le mettre dans leurs intérêts. » La sentence du tribunal commence ainsi :

Supposé ce qui a été dit, le Conseil extraordinaire passe à exposer son sentiment sur l'exécution du bannissement des Jésuites et sur les autres mesures qui en sont la conséquence, afin qu'il obtienne, dans l'ordre convenable, son entier et plein accomplissement. »

Si ce premier considérant a quelque chose d'étrange, les autres ne paraissent pas moins insolites. On ne touche à aucun point de l'Institut, on n'incrimine jamais la discipline ou les mœurs des Jésuites. Il y est dit « qu'il sera également très à propos de faire entendre aux Évêques, aux Municipalités, aux Chapitres et aux autres assemblées ou corps politiques du Royaume, que Sa Majesté se réserve, à elle seule, la connaissance des graves motifs qui ont déterminé sa royale volonté à adopter cette juste mesure administrative en usant de l'autorité tutélaire qui lui appartient." On y lit encore: «Sa Majesté doit imposer de plus à ses sujets le silence sur cette affaire, afin que personne n'écrive, ne publie

Histoire universelle, par Jean de Muller, t. tv.

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