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abandonnaient leur fortune à la merci des ennemis de la Société. Ils ne voulurent jamais les laisser arbitres de leur honneur et de leur conscience. Le Roi était irrésolu, eux demeurèrent inébranlables dans leur foi de Jésuites, et, devant cette prostration morale, ils eurent néanmoins la force de résister à la tentation.

Dans son réquisitoire Lepelletier de Saint-Fargeau les accusait de révolte permanente contre le souverain, il ressuscitait même les vieilles théories de régicide qu'à trente-deux ans d'intervalle son fils, le Conventionnel, devait appliquer sur Louis XVI. « Le duc de Choiseul et la marquise de Pompadour, selon Lacretelle', fomentaient la haine contre les Jésuites. La marquise, qui, en combattant le roi de Prusse, n'avait pu justifier ses prétentions à l'énergie du caractère, était impatiente de montrer, en détruisant les Jésuites, qu'elle savait frapper un coup d'Etat. Le duc de Choiseul n'était pas moins jaloux du même honneur. Les biens des moines pouvaient couvrir les dépenses de la guerre et dispenser de recourir à des réformes qui attristeraient le Roi et révolteraient la cour. Flatter à la fois deux partis puissants, celui des Philosophes et celui des Jansénistes, était un grand moyen de popularité. »

L'abbé de Chauvelin, esprit hardi, nature judiciaire et pour ainsi dire malfaisante dans sa difformité, servait les projets de tout le monde. Un pied dans chaque camp, Janséniste par conviction, courtisan par calcul, ami des Encyclopédistes par besoin de célébrité, il s'était chargé de concilier les intérêts divers qui se groupaient pour assaillir la Compagnie de Jésus. Chauvelin, Terray et Laverdy remplissaient une mission hostile. Simples commissaires, ils arrivaient sans transition au rôle d'accuHistoire de France pendant le dix-huitième siècle, t. IV, p. 30.

sateurs; mais ils savaient que Choiseul et la marquise, que Berryer, le ministre de la marine, et toutes les sectes préparaient l'opinion publique à une réaction contre les Jésuites. On persuadait aux masses qu'ils étaient les seuls auteurs des désastres pesant alors sur le royaume. La gloire et la paix, l'abondance et la fraternité, tout devait sourire à la nation lorsqu'elle n'aurait plus dans son sein ces agitateurs, qui réveillaient le remords au cœur de Louis XV, et qui s'obstinaient à ne pas amnistier les scandales dont madame de Pompadour ne se repentait que par ambition. Chauvelin avait entendu les cris de joie qui accueillirent le réquisitoire de Saint-Fargeau, il avait été témoin de l'enthousiasme avec lequel les adversaires des Jésuites reçurent l'arrêt du 8 mai 1761: il désira de mêler son nom à ces ovations de parti. Le 8 juillet de la même année il lut au Parlement son rapport sur l'Institut. Ce fut une dénonciation en règle. Au milieu des corruptions de ce siècle où le Parlement lui-même avait abdiqué sa gravité traditionnelle pour courir après le bruit de la rue et pour livrer sa toge à chaque vent de débauche, Chauvelin incriminait les opinions pernicieuses, tant dans le dogme que dans la morale, de plusieurs Jésuites anciens et modernes. Il ajoutait que tel était l'enseignement constant et non interrompu de la Société. Il fallait tenir en haleine la curiosité publique, la passionner à un débat dont elle ne pouvait apprécier la portée. Le Parlement grandissait sur les ruines de la Compagnie de Jésus, il

Un oubli singulier eut lieu à cette époque. Le Parlement, qui avait mémoire de tous les arrêts, passa sous silence un acte consigné dans ses registres de 1580. Par cet acte, les Jésuites, de leur propre mouvement, renonçaient aux legs ou aumônes qu'on pourrait leur offrir en reconnaissance des soins qu'ils allaient donner aux pestiférés, et ils protestaient ne vouloir servir les moribonds qu'à cette condition. En 1720, au moment où d'autres Pères de l'Institut se préparaient à mourir en se dévouant pour les pestiférés de Marseille, ils renouvelèrent la même déclaration.

devenait populaire, il battait en brèche le pouvoir royal; il saisit avidement le prétexte d'immoralité si audacieusement invoqué par Chauvelin. Il ordonna de nouvelles enquêtes.

Ces démarches précipitées, ces arrêts se succédant les uns aux autres sans interruption, tirèrent Louis XV de sa voluptueuse apathie. Il avait l'instinct du vrai, le Dauphin en possédait l'intelligence, la reine Marie Leczinska fermait les yeux sur les outrages de l'époux pour rendre au Roi la force d'être juste. En face de tant d'agressions, Louis XV pensa qu'il ne devait pas laisser ainsi empiéter sur les prérogatives de la Couronne. Il se défait de l'esprit remuant de la magistrature; il craignait de la voir se décerner un triomphe. Le prince ne déguisait guère ses répugnances pour les idées philosophiques. Le 2 août 1761 il enjoignit au Parlement de surseoir pendant un an, et aux Jésuites de remettre au Conseil les titres d'établissement de leurs maisons. Quatre jours après, selon le témoignage de Sismondi, « le Parlement, secrètement encouragé par le duc de Choiseul, refusa d'enregistrer cet édit. » La cour judiciaire feignit ensuite d'obéir; mais elle connaissait Louis XV; elle savait qu'à Versailles, au ministère ainsi que dans le monde, elle trouverait des appuis contre la volonté royale. On éluda l'ordre du monarque par un subterfuge et on déclara, « Il sera sursis pendant un an à statuer sur ledit Institut par arrêts définitifs ou provisoires autres que ceux à l'égard desquels le serment de la cour, sa fidélité, son amour pour la personne sacrée du seigneur Roi et son attention au repos public ne lui permettroient pas d'user de demeure et de dilation, suivant l'exigence des

eas. »

Histoire des Français, t. xxix, p. 234.

Le même jour, 6 août, l'exigence se faisait sentir. Sur le rapport de l'abbé Terray, le Parlement, chambres assemblées, reçut le procureur-général appelant comme d'abus de toutes les bulles, brefs, lettres apostoliques concernant les prêtres et écoliers de la Société se disant de Jésus. Le Roi demandait à la magistrature d'ajourner ses attaques contre l'autorité souveraine. La magistrature condescendit à cette injonction en forme de prière; mais le Parlement se rabattit sur le Saint-Siége. Le Parlement ne pouvait plus s'abriter derrière la question politique et protéger les monarchies ébranlées par la Société de Jésus. Il se prit à défendre l'Église contre l'Église elle-même. Il y a deux cent quarante ans que les Jésuites existent au centre de la Catholicité. Ils ont couvert le monde entier de leurs travaux évangéliques et vu dix-neuf Souverains Pontifes applaudir hautement à leurs efforts ainsi qu'à leurs doctrines. Le Parlement ne tient aucun compte de cette longue suite de combats, de revers et de triomphes en faveur du principe chrétien. Il veut condamner la Société de Jésus; il la proclame, malgré l'Église, ennemie de l'Église, ennemie des Conciles généraux et particuliers, ennemie du Saint-Siége, des libertés gallicanes et de tous les supérieurs. Ce jugement se minutait au moment même où la Cour donnait acte au procureur-général de son appel comme d'abus de tous les décrets apostoliques en faveur de la Compagnie.

Il importait de ne pas laisser reposer l'impatience des adversaires de l'Institut. On avait mis l'existence des Jésuites en cause, on se passionna pour les anéantir. Une année de sursis était accordée pour juger en dernier ressort, le Parlement la consacra tout entière à ses hostilités. Il dédaigna les intérêts privés des justiciables

pour ne s'occuper que de la Société de Jésus. Il exhuma, il condamna des in-folios que personne n'avait lus, il les fit lacérer et brûler en la cour du Palais, au pied du grand escalier. Par provision, il inhiba et défendit trèsexpressément à tous sujets du Roi: 1° d'entrer dans ladite Société ; 2° de continuer aucunes leçons publiques ou particulières de théologie. Louis XV avait suspendu le coup que la magistrature aurait désiré frapper; elle l'infligeait en détail. Elle ordonnait le dépôt au greffe de l'État des biens appartenant à la Compagnie, elle la mutilait, elle la démembrait, afin qu'au jour donné à ses vengeances légales elle n'eût plus à briser qu'un cadavre. Attentif à ce spectacle, le Calviniste Sismondi ne peut s'empêcher de faire cet aveu: « Le concert d'accusations et le plus souvent de calomnies que nous trouvons contre les Jésuites dans les écrits du temps a quelque chose d'effrayant. »

Jusqu'à ce moment, les Pères avaient adopté la même marche qu'en Portugal. On eût dit que, surpris à l'improviste par une tempête si habilement dirigée, ils n'avaient ni la conscience de leur force ni l'énergie de leur innocence. En face de tant d'inimitiés qui, par la chanson on par le pamphlet, par la calomnie ou par le raisonnement, se ruaient sur leur vie, sur leur liberté, sur leur honneur, ils restèrent aussi calmes si cet orage ne devait pas les atteindre. Cette incompréhensible longanimité aurait dû prouver qu'ils n'étaient ni dangereux ni coupables; ils n'agissaient pas, ils ne parlaient pas; ils se contentaient d'écouter'. On tourna contre eux

1 Histoire des Français, t. xxix, p. 231.

que

2 Le Père Balbani, aux pages 1 et 2 de l'avant-propos du Premier appel à la raison, déduit les motifs qui ont empêché les disciples de Loyo'a de soutenir leur cause. « Tandis que les Jésuites, écrit-il, étaient accablés de libelles et poursuivis par des arrêts, les supérieurs des trois maisons de Paris, trop confiants dans leur inno

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