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philosophique; tous ensemble ils s'acharnèrent sur la Compagnie. Elle avait en face d'elle de redoutables athlètes, il n'était cependant pas impossible de leur résister; mais, au moment du combat, les Jésuites se virent trahis par le gouvernement. Alors, saisis de ce vertige qui s'emparait de toutes les têtes, ils s'abandonnèrent eux-mêmes. Le pouvoir et l'autorité morale ne résidaient plus dans la royauté; ils ne se concentraient pas dans les grands corps de l'État.

Au milieu de ses insouciants plaisirs et du profond ennui qui l'accablait, Louis XV prenait à tâche d'avilir la majesté du trône. Il la déconsidérait par ses faiblesses, il la déshonorait par ses moeurs. Comme à Louis XIV, son aïeul, il lui avait été donné de voir surgir autour de lui d'illustres capitaines, de savants et vertueux prélats, des hommes de génie qui, en étendant le cercle des idées, pouvaient produire dans les intelligences un mouvement pacifique vers le bien. L'incurie du prince fit tourner ces avantages contre la Religion et contre la monarchie. Louis XV n'osa pas être le roi de son siècle, Voltaire usurpa ce glorieux titre; il fut en réalité le maître de ses contemporains.

C'était l'esprit français élevé à sa dernière puissance, et, dans son éternelle mobilité, ébranlant, plutôt par saillie que par conviction, tout ce qui jusqu'à ce jour avait été saint et honoré. Voltaire s'était imposé une mission qu'il remplissait en faisant servir à ses fins le théâtre et l'histoire, la poésie et le roman, le pamphlet et la plus active de toutes les correspondances. Réformateur sans cruauté, bienfaisant par nature, sophiste par entraînement, adulateur du pouvoir par caractère et par calcul, hypocrite sans nécessité, mais par cynisme, cœur ardent qui se laissait aussi vite emporter par un sentiment d'humanité

la

que par un blasphème, intelligence sceptique qui aurait pu avoir l'orgueil du génie, et qui se contenta de la vanité de l'esprit, Voltaire réunissait tous les contrastes. Avec un art merveilleux il savait les approprier à toutes les classes. Il corrompait parce qu'il devinait que corruption était l'élément de cette société du dix-huitième siècle, encore si élégante à la surface, et néanmoins si gangrenée à l'intérieur. Il la résume dans ses ouvrages, il la reflète dans sa vie, il plane sur elle dans les annales du monde. Les rois et les ministres, les généraux d'armée et les magistrats, tout se rapetisse à son contact. Depuis la régence de Philippe d'Orléans jusqu'aux premiers jours de la révolution française, tout se donne la main pour former cortége à cet homme, qui entassa tant de ruines autour de lui, et qui règne encore par sa moqueuse incrédulité. Voltaire avait fait les hommes de son temps à l'image de ses passions: il se créa le distributeur de la célébrité. La science, le talent, les services rendus au pays furent de chose tant qu'il ne vint pas les consacrer par son suffrage. La France et l'Europe se prirent d'un fol enthousiasme pour un homme qui immolait sous une raillerie la vieille Foi et les gloires nationales. Puis, quand le rire ou l'indifférence eurent légitimé cette souveraineté, Voltaire laissa à ses adeptes le soin d'achever l'oeuvre de destruction.

peu

L'ascendant que le patriarche de Ferney exerçait sur son siècle eut quelque chose de si prodigieux qu'il fit accepter comme intelligences d'élite cette cohue de médiocrités vivant de l'esprit des autres et exagérant leurs haines. Voltaire, élève des Jésuites, se plaisait à honorer ses anciens maîtres. Il les savait tolérants et amis des lettres: il n'aurait jamais songé à les sacrifier aux Parlements et aux Jansénistes, dont la morgue re

vêche et le rigorisme d'apparat n'allaient point à son caractère. Cependant, pour arriver au cœur de l'unité catholique, il fallait passer sur le corps des grenadiers de l'Église. Voltaire immola son affection pour les Jésuites au vaste plan que lui et les siens avaient conçu. Ils voulaient écraser l'infâme, mot d'ordre épouvantable qui retentit si souvent au dix-huitième siècle. Les Jésuites seuls s'opposaient à la réalisation de leur pensée : les Jésuites se virent en butte à toutes les attaques. D'Alembert les poursuivit avec le raisonnement, Voltaire avec l'artillerie de ses sarcasmes, les Jansénistes avec leur infatigable inimitié. On mina le terrain sous leurs pieds, on les représenta sous les traits les plus disparates: ici on leur accorda une fabuleuse omnipotence, là on les fit plus faibles qu'ils n'étaient en réalité. Les ennemis de l'Église se portèrent les avocats des priviléges épiscopaux. On enrégimenta dans cette croisade contre la Société toutes les passions et tous les intérêts. Buffon dédaignait de s'y associer. Montesquieu, en 1755, mourait chrétien entre les bras du Père Bernard Routh; mais ces deux écrivains, isolés dans leur gloire, ne se mêlaient que de loin au tumulte des idées. On respecta leur neutralité. Il n'en fut pas de même pour JeanJacques Rousseau. Le philosophe de Genève était à l'apogée de son génie. Du fond de sa solitude, cet homme, pour qui la pauvreté fut un luxe et un besoin, s'était créé une immense réputation. Les adversaires de la Société cherchèrent à l'attirer sous leur bannière. JeanJacques, comme beaucoup d'esprits éclairés, se prononçait toujours en faveur des opprimés. « On a sévi contre moi, dit-il dans sa lettre à Christophe de Beaumont, pour avoir refusé d'embrasser le parti des Jansénistes et pour n'avoir pas voulu prendre la plume contre les Jé

suites, que je n'aime pas, mais dont je n'ai pas à me plaindre, et que je vois persécutés. »

Ces exceptions ne modifiaient pas le plan tracé, elles n'empêchaient point d'Alembert de mander à Voltaire': « Je ne sais ce que deviendra la Religion de Jésus; mais, en attendant, sa Compagnie est dans de mauvais draps. >> Et, lorsque la coalition a triomphé, d'Alembert laisse échapper le cri de la philosophie, le dernier vœu qu'il a contenu jusqu'au jour de la chute de l'Ordre de saint Ignace. Les Encyclopédistes ont terrassé le plus ferme appui de l'Église, voilà le plan qui se déroule sous leur plume. D'Alembert écrit au patriarche : « Pour moi, qui vois tout en ce moment couleur de rose, je vois d'ici les Jansenistes mourant l'année prochaine de leur belle mort', après avoir fait périr cette année-ci les Jésuites de mort violente, la tolérance s'établir, les Protestants rappelés, les prêtres mariés, la confession abolie et le fanatisme écrasé sans qu'on s'en aperçoive. »

S'il eût été donné à l'homme de prévaloir ainsi contre la Religion catholique, jamais il n'aurait pu trouver de circonstances plus favorables à ses desseins, et cependant l'Église a survécu à cette longue tourmente qui, née au souffle de Voltaire, tombera d'épuisement sur l'échafaud de la Révolution.

En 1757 l'on n'apercevait que le beau côté du rêve anti-chrétien. Les Encyclopédistes le poursuivaient en tuant la Société de Jésus; les cours judiciaires, en sapant l'autorité royale. Les questions religieuses se confondaient avec les questions politiques. Le Parlement de Paris s'était vu exilé en 1753; et, pour offrir à sa vengeance une victime que personne ne lui disputerait, il

OEuvres complètes de Voltaire, t. xtvm, p. 200. Lettre du 4 mai 1762.

accusa les Jésuites de ce coup de vigueur. Les Jésuites inspiraient à la Reine et au Dauphin des sentiments de répulsion contre la magistrature; ils gouvernaient l'Archevêque de Paris, ce Christophe de Beaumont qui poussa la vertu jusqu'à l'audace; ils disposaient de Boyer, ancien évêque de Mirepoix, chargé de la feuille des bénéfices'. Ils nourrissaient chez le comte d'Argenson des préventions que les Parlements ne songeaient pas à justifier; ils régentaient le maréchal de Belle-Isle, vaillant capitaine, habile diplomate et ministre qui ne transigea jamais avec son devoir; ils dominaient Machault et Paulmy; ils inquiétaient la conscience du Roi; ils tenaient la marquise de Pompadour en échec au pied de leur confessionnal. Tout-puissants à la cour et dans les provinces, ils enrayaient le mouvement que, par des motifs divers, les tribunaux, les Jansénistes et les Philosophes cherchaient à imprimer. Quelques-unes de ces allégations n'étaient pas sans fondement. Louis XV, vieux avant l'âge, dégoûté de tout, aspirant au repos, et,

Le Père Pérusseau, confesseur du Roi, étant mort en 1753, on forma une ligue pour enlever ces fonctions aux Jésuites. L'ancien évêque de Mirepoix s'y opposa; et, dans les archives du Gésu, à Rome, il existe une lettre de ce prélat au Général de l'Institut, dans laquelle on lit : « Je n'ai pas grand mérite dans ce que je viens de faire pour votre Compagnie, écrit Boyer le 16 juillet 1753. Il fallait ou abandonner la Religion, déjà trop ébraulée dans ces temps fâcheux, ou placer un Jésuite dans le poste en question. J'ai suivi mes inclinations, je l'avoue; mais ici le devoir parlait bien aussi haut que l'inclination. C'est votre gloire et en même temps votre consolation qu'au moins, dans les circonstances présentes, l'apparence seule d'une disgrace pour la Compagnie en eût été pour ainsi dire une véritable pour la Religion, Les Jésuites exclus de la place, le Jansénisme triomphait, et avec le Jansénisme une troupe de mécréants, qui n'est aujourd'hui que trop nombreuse, »

Le Père Onuphre Desmaréts succéda au Père Pérusseau. D'après ces dates, relevées sur les archives de la Compagnie de Jésus, d'après cette lettre de l'évêque de Mirepoix, qui les confirmerait au besoin, il devient bien difficile d'expliquer le mot qu'au tome iv, page 32 de son Histoire de France pendant le dix-huitième siècle, M, Lacretelle attribue à Louis XV. En parlant de la sécularisation des Jésuites, ordonnée par le Parlement, i! raconte : « On croyait le roi fort agité; il affecta de montrer l'indifférence la plus apathique. « Il sera plaisant, disait-il, de voir en abbé le Père Perusseau. » Or l'arrêt du Parlement est de 1762, neuf ans après la mort de ce Jésuite. Le comte de Saint-Priest, qui, à la page 52 de sa Chute des Jésuites, reproduit le même mot, tombe dans la même erreur.

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