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pris un éclat qu'il n'avait pas pendant sa vie, en sorte que les soldats et les autres qui le contemplaient ne pouvaient s'empêcher de dire : « Voilà le visage d'un bienheureux. » Témoins de ces choses, et fortifiés par le ciel en d'autres manières, nous nous réjouissons avec ceux d'entre nous qui meurent, et nous envions en quelque sorte leur destin, non parce qu'ils sont au bout de leurs travaux, mais parce qu'ils ont remporté la palme. Les vœux de la plupart sont de mourir sur le champ de bataille. Les trois Français qui ont été mis en liberté, en ont été tristes, regardant notre position plus heureuse que la leur. Nous sommes dans l'affliction, et cependant presque toujours dans la joie, quoique n'ayant pas un moment sans quelque souffrance et presque nus: il y en a peu d'entre nous qui conservent quelques lambeaux de leurs soutanes. A peine pouvons-nous obtenir de quoi nous couvrir autant que la modestie l'exige. Un tissu de je ne sais quel poil à pointes aiguës nous sert de couverture, un peu de paille est tout notre lit; elle pourrit en peu de temps, ainsi que la couverture, et nous avons bien de la peine à en obtenir d'autre ; ce n'est souvent qu'après en avoir manqué long-temps.

» Il ne nous est permis de parler à personne, et personne ne peut parler et demander pour nous. Le geôlier est d'une dureté extrême et s'étudie à nous faire souffrir; il nous dit rarement un mot de douceur et paraît ne nous donner qu'avec répugnance les choses dont nous avons besoin. On offre la liberté et toutes sortes de bons traitements à ceux qui voudront abjurer l'Institut. Nos Pères qui étaient à Macao, et dont quelques-uns ont déjà enduré avec courage, parmi les iufidèles, les pri- ́ sons, les fers et des tourments souvent réitérés, ont été aussi amenés ici, et il a été, ce semble, plus agréable à

Dieu de les voir souffrir en ce pays, sans l'avoir mérité, que de mourir pour la Foi chez les idolâtres. Nous avons été dans ces cachots vingt-sept de la province de Goa, un de la province de Malabar, dix de celle de Portugal, neuf de celle du Brésil, vingt-trois de celle de Maragnon, dix de celle du Japon, douze de la province de Chine. Dans ce nombre, il y avait un Italien, treize Allemands, trois Chinois, cinquante-quatre Portugais, trois Français et deux Espagnols. De ce nombre, trois sont morts et trois ont été mis en liberté.

» Nous restons encore soixante-seize; il y en a d'autres enfermés dans les tours, mais je n'ai pu savoir qui ils sont, ni en quel nombre, ni de quel pays. Nous demandons aux Pères de votre province des prières pour nous, non pas comme des hommes à plaindre, puisque nous nous estimons heureux. Pour moi, quoique je souhaite la délivrance de mes compagnons de souffrances, je ne changerais pas mon état avec le vôtre. Nous souhaitons à nos Pères une bonne santé et le bonheur de travailler courageusement pour Dieu dans votre pays, afin que sa gloire reçoive autant d'accroissement qu'elle reçoit ici de diminution.

» De la prison de Saint-Julien, sur le bord du Tage, le 12 octobre 1766.

» De Votre Révérence le très-humble et

très-obéissant serviteur,

» LAURENT KAULEN, captif de Jésus-Christ. » D'autres lettres sont aussi éloquentes de douleur, aussi magnifiques de courage chrétien. Ces Jésuites, dont le nombre décroissait chaque année, étaient pour Pombal une satisfaction de tous les instants. Il se délectait à les voir souffrir comme il aimait à réaliser des

projets auxquels le sang versé paraissait être un insurmontable obstacle. Il avait rêvé, dans les premiers jours de sa puissance, le mariage de son fils avec une Tavora Un refus entraîna peut-être les malheurs que nous venons de raconter. Pombal avait brisé cette illustre famille, il voulut que son fils réalisât le plan formé dans sa tête. L'enfant du bourreau épousa la fille des victimes. Pombal avait tout fait pour rendre impossible aux Jésuites leur réintégration dans le royaume. En 1829, lorsqu'on les y rappela, le marquis de Pombal et la comtesse d'Oliveira, les deux héritiers du ministre portugais, les reçurent à leur arrivée. Ils les comblèrent de témoignages d'affectueux regrets, et les trois premiers pensionnaires que le collége restauré de Coïmbre vit entrer dans ses murs avec les Pères furent les arrière-petitsfils de l'homme qui travailla le plus activement à la destruction des Jésuites'.

Quelque chose manquerait à ce récit, si nous ne donnions pas un fragment d'une lettre écrite de la ville de Pombal par le Père Delvaux, qui, en 1829, fut chargé de réinstaller les Jésuites en Portugal. Les restes mortels du grand marquis n'avaient pas encore été déposés dans le tombeau que, suivant ses dernières volontés, sa famille lui fit ériger à Oeyras. Le cercueil, couvert d'un drap funèbre, était confié à la garde des Franciscains. Le Père Delvaux raconte les tristes vicissitudes qu'éprouva ce cercueil pendant les guerres de la Péninsule, puis il ajoute :

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Il faut remarquer que Pombal est la première population du diocèse de Coïmbre, du côté de Lisbonue. Or, l'évêque de Coïmbre avait envoyé l'ordre à toutes les paroisses que nous devions traverser de nous recevoir en triomphe. C'est donc à la lettre qu'il avait fallu me dérober au triomphe pour courir à Saint-François ; mais c'était un besoin du cœur. Je ne saurais rendre ce que j'éprouvai en offrant la victime de propitiation, l'Agneau qui pria sur la croix pour ses bourreaux, en l'offrant pour le repos de l'âme de don Sébastien Carvalho, marquis de Pombal, corpore præsente! Il y avait donc cinquante ans qu'il attendait là, au passage, cette Compagnie revenant de l'exil auquel il l'avait si durement condamnée, et dont, au reste, lui-même avait prédit le retour.

Pendant que je satisfaisais à ce devoir religieux, le triomphe qu'on nous forçait d'accepter, je voulais dire endurer, ébranlait toute la ville et ses environs; toutes les cloches sonnaient; le prieur, archi-prêtre, venait processionnellement chercher nos Pères pour les conduire à l'église, où tout était illuminé. C'était comme un songe.. La vengeance des Jésuites ne pouvait pas, en effet, être plus complète. Ils se dé robaient à l'enthousiasme dont ils devenaient l'objet à Pombal, pour se recueillir et prier en silence sur le tombeau non encore fermé du ministre, leur ennemi.

La facilité avec laquelle il avait pu tromper son Roi, éluder les prières ou les décrets du Saint-Siége, et arriver presque sans opposition au renversement de la Société de Jésus, fut un encouragement pour les adversaires qu'elle comptait en Europe. Pombal avait réussi par des moyens coupables: les Philosophes, les Jansénistes et les Parlementaires blâmaient sa froide cruauté, sen despotisme inintelligent; mais, forts de l'expérience tentée, ils commençaient à espérer qu'avec des mesures moins acerbes ils pourraient parvenir au même but. La chute des Jésuites dans le royaume très-fidèle réveilla les haines. On ne songea pas à les tuer; on crut que la calomnie suffirait pour s'en débarrasser. On attisa contre eux cette guerre de sarcasmes ou d'invraisemblances qui avait eu ses intermittences, mais qui alors se développa dans toute son extension. Depuis 'origine de la Société, il y avait tradition, chaîne non interrompue de libelles et de mensonges. On exhuma ce vieux passé d'impostures. Les Protestants avaient commencé, les Jansénistes enchérirent encore. Il est impossible de ramasser toutes ces hontes de la pensée; mais l'histoire se voit condamnée à enregistrer celles qui sont pour ainsi dire légales. Avant d'entrer dans le récit des événements relatifs à la France, à l'Espagne et à l'Italie, il faut donc s'arrêter à quelques faits qui portent leur enseignement avec eux.

Les Jésuites étaient les infatigables tenants contre le Protestantisme. En 1602, au moment où Henri IV se disposait à les rétablir, le Synode calviniste assemblé à Grenoble prend la résolution d'employer tous les moyens de s'opposer à leur retour. L'Histoire du P. Henry, Jésuite brûlé à Anvers le 12 août 1601, sort des presses hérétiques. Elle est bientôt répandue en

France. Le Père Henry avait commis tous les crimes, et le titre du livre annonçait que « cette histoire était tournée de flamand en français. » Le Roi et les Jésuites établissent une enquête dans toutes les Flandres. Il n'a jamais été question ni de cet auto-da-fé ni du Jésuite. Guillaume de Berghes, évêque d'Anvers, constate le mensonge. Il en fait retomber la confusion sur les Sectaires, « gens accoutumés, selon lui, à promouvoir leur Évangile par telles feintes. » Les magistrats de la ville où le Père Henry était né, où il avait péché, où il venait d'être brûlé, déclarent que ces événements ne sont qu'un tissu de fables. Ce Père était un être de raison. Les Hérétiques proclamaient qu'il se nommait Henri Mangot, fils de Jean Mangot, fourbisseur; les magistrats attestent que, « de mémoire d'homme, il ne s'est fait à Anvers punition du crime abominable dont on accusait le prétendu Père Henry, qu'il n'y a jamais eu à Anvers de Jésuite du nom de Henry Mangot, et qu'entre les bourgeois d'Anvers il n'y a jamais eu de nommé Jean Mangot, même du métier des fourbisseurs. "

L'imposture était confondue : elle fit la morte pour se réveiller quand les animosités seraient plus vivaces. Elle reparut en 1758, comme si un siècle et demi auparavant elle n'avait pas été écrasée sous le poids des preuves juridiques. Le fait du Père Henri était notoire. Au moment de la suppression, on l'évoqua contre les Jésuites. Il en fut de même pour la mort et pour l'héritage d'Ambroise Guis.

En 1716 un artisan de Marseille, nommé Esprit Bérengier, et Honoré Guérin, prêtre interdit par son évêque, arrivent à Brest. Ils annoncent qu'ils viennent réclamer une fortune de plus de deux millions qu'a dû laisser un de leurs parents, Ambroise Guis, mort, selon

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