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Clément XIII de venger la Compagnie de Jésus. La voix de la Catholicité fut entendue, et le Père commun remplit le vœu de l'Église.

Pombal ne se laissait pas arrêter par des prières ou par des menaces ecclésiastiques. Son despotisme ne trouvait aucune résistance en Portugal; il pensa qu'il serait toujours temps de l'expliquer, lorsqu'il aurait consommé l'œuvre de destruction. Il tuait la Société de Jésus, mais c'était dans un but catholique, afin de la réformer et de la rendre plus parfaite. Le ministre portugais ne sortait pas de ce thème convenu. Il accusait les Jésuites de tous les crimes que l'imagination de ses pamphlétaires à gages pouvait inventer; en même temps il déclarait que sa pensée ne tendait qu'à ramener les disciples de saint Ignace à la pureté primitive de leurs rè– gles. En présence des contradictions qu'offre ce grand procès, l'un des événements les moins connus et les plus curieux du dix-huitième siècle, Voltaire a donc raison de dire « Ce qu'il y eut d'assez étrange dans leur désastre presque universel, c'est qu'ils furent proscrits dans le Portugal pour avoir dégénéré de leur Institut, et en France, pour s'y être trop conformés. »

Les biens et les colléges de l'Ordre étaient sous le séquestre; il fallait se les approprier, afin de payer les complaisances épiscopales, de distraire le peuple par des fêtes et d'acheter l'armée. Le ministre tenait captifs plus de quinze cents Jésuites, qu'il avait dépouillés de tout, même du droit de pleurer sur les ruines de leurs maisons. La pitié en leur faveur était un crime, il la punissait de mort ou de bannissement. Au Brésil et au Maragnon, ses agents les poursuivaient avec un acharnement inouï; ils les enlevaient à leurs Sauvages; ils les

■ OEuvres de Voltaire, Siècle de Louis XV, t. xx11, page 354.

entassaient, sans provisions, sans secours, sur le premier vaisseau qui faisait voile vers la métropole. Tous ces Jésuites, qui ne savaient de quelle accusation il allait plaire au gouvernement de les charger, arrivaient à Lisbonne ; on les agglomérait dans les prisons ou dans les lieux publics; puis on les oubliait entre deux haies de soldats, qui, souvent moins cruels que l'autorité, partageaient leur pain avec eux.

Cette étrange situation ne pouvait durer. Le 20 avril 1759, Pombal fit remettre au Pape une lettre de Joseph I", qui annonçait l'intention d'expulser de ses États les membres de la Société de Jésus. Clément XIII ne répondant pas assez vite aux désirs impatients du ministre, le ministre le prévint. Clément XIII ne prêtait pas les mains aux iniquités de Pombal; Pombal, afin de tromper le Roi, fait fabriquer à Rome, par Almada, son ambassadeur, un bref qui approuve ses projets, qui détermine à quel usage seront employés les biens de la Société de Jésus et qui autorise à punir de mort les coupables. Ce bref, si audacieusement supposé, entretenait l'Europe dans des dispositions malveillantes contre les Pères portugais; il plaçait les Jésuites des autres contrées dans l'impossibilité de les défendre. Pombal se hâta de mettre à profit ces impressions. Il savait que le Souverain Pontife s'effrayait de ses menaces de schisme, et que, pour maintenir la paix de l'Église, il ferait toutes les concessions compatibles avec la dignité du Saint-Siége. Le véritable bref n'était pas aussi explicite celui dont Pombal s'était forgé une arme; le Pape descendait jusqu'à la prière pour vaincre l'injuste obstination du Roi et de son ministre. Pombal s'indigna de voir le Vicaire de Jésus-Christ disputer à ses convoitises la proie qu'il leur promettait. Un conflit diplo

que

matique entre les deux cours lui parut nécessaire à susciter. Acciajuoli, nonce en Portugal, croyant d'abord que les choses ne seraient pas poussées si loin, avait favorisé les plans officiels; mais, lorsqu'il en eut saisi la portée, il refusa de s'y associer. Il devint obstacle; Pombal mit tout en œuvre pour lui rendre impossible le séjour de Lisbonne. Clément XIII et le cardinal Torregiani, son secrétaire d'État, ne voulaient pas proscrire les Jésuites, par l'éternel principe d'équité qui ne ermet pas de confondre les innocents avec les coupables: Pombal s'imagine que ces refus équivalent à une déclaration de guerre; il la fait à sa manière. Les Jésuites Malagrida, Henriquez, Mattos, Moreira et Alexandre sont condamnés à être rompus vifs, comme instigateurs du duc d'Aveiro et des marquis de Tavora. Le 31 juillet est le jour de la fête de Saint Ignace de Loyola; Pombal choisit cet anniversaire, si cher au cœur des disciples de l'Institut, pour rendre une sentence qui ne reçut ni publicité ni exécution, mais qui devait les exaspérer ou les consterner.

Il y a ici une appréciation que l'histoire ne doit pas oublier. Les Jésuites ont, pour se défaire de leurs ennemis, des moyens secrets; ils ne reculent devant aucun crime. Ils conseillent le régicide, ils l'absolvent, et, quand ils ne savent plus de quelle manière amener le triomphe de leurs ambitieux projets, le fer ou le poison leur viennent en aide. Jusqu'au jour où Pombal s'acharna contre leur Institut, les Jésuites, si souvent accusés de légitimer les moyens par la fin, n'ont jamais eu recours à l'assassinat. Cette espèce de tribunal véhémique, dont des imposteurs révélèrent l'existence, n'a été qu'une fable jetée en pâture à quelques crédulités imbéciles. Les Jésuites n'avaient jamais trouvé de séides

dans leurs partisans ou dans leurs novices; mais si, comme l'affirmait le ministre portugais, la vie des hommes était si peu de chose à leurs yeux quand l'intérêt de l'Ordre périclitait, il faut bien convenir qu'en 1759, les Jésuites laissèrent échapper l'occasion la plus urgente d'appliquer leur principe meurtrier. Un homme seul brisait le passé et l'avenir de la Société. Dans la situation des esprits, son exemple menaçait de devenir contagieux. Pombal ne se laissait arrêter par aucun scrupule: il abusait de la faiblesse de son Roi; il défiait le Saint-Siége; il portait une main sacrilége sur l'arche de l'Institut. Il dépouillait les Jésuites; il savait même trouver des magistrats pour les flétrir sans discussion, pour les condamner sans examen. On les arrachait à leur patrie; on leur annonçait qu'ils périraient tous dans un auto-da-fé ou qu'on les parquerait comme des pestiférés sur quelque côte déserte. Ils étaient réunis, dans l'attente prochaine de la mort ou de la proscription. Ils n'avaient pas tout perdu, il leur restait des amis; ils auraient évoqué des vengcurs. En désespoir de cause, ces hommes si habilement vindicatifs, si bien préparés aux excès du fanatisme, pouvaient frapper Pombal dans l'ombre. Rien ne leur était plus facile. Des quinze cents prêtres qu'on disait liés les uns aux autres par de terribles serments, pas un seul ne conçut l'idée de cette expiation. Le ministre leur imputait de porter en germe la pensée de tous les forfaits, et le ministre vivait comme la démonstration la plus évidente de ses impostures. Si ja

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1 L'emphase de Pombal, sa cruauté, ses injustices, que plus tard le duc de Choiseul devait renouveler en partie, inspiraient à ce dernier un sentiment de froide moquerie. On entendait souvent le ministre français dire au prince de Kaunitz, en parlant du ministre portugais : « Ce monsieur a donc toujours un Jésuite à cheval sur le nez! » Cette plaisanterie, qui peut s'adresser à tous les Pombal du monde, ne le corrigea pas de sa manie de voir, de mettre partout des Jésuites. Il les avait chassés des possessions du Roi Très-Fidèle; ils étaient proscrits de France et d'Espagne; tont le

mais trépas a été nécessaire pour préserver l'Ordre de Jésus de quelques désastres, ce fut à coup sûr celui de Pombal; et cet homme, dans les combinaisons de son audace, ne songea pas que ses jours couraient quelque danger. Il connaissait beaucoup mieux les Pères qu'il ne le donnait à entendre. Il les calomniait tout haut, mais tout bas il ne daignait même point prendre les précautions dont la tyrannie s'enveloppe plutôt pour le vulgaire que pour sa propre sécurité. Pombal survécut vingt-trois ans à la destruction de l'Ordre, et il ne rencontra jamais ni de Châtel ni de Barrière pour prévenir ses desseins, ou pour lui faire expier le succès de son complot. Cet argument en action doit peser davantage dans la balance de l'histoire que toutes les théories de régicide qu'aucun fait n'a justifiées. Les Jésuites ne tuèrent pas l'homme qui leur fit le plus de mal, et dont l'existence était à leur merci. Faut-il les supposer assez inconséquents pour créer, contre des Rois qui les protégeaient en les aimant, un système de meurtre qu'ils

monde parlementaire, janséniste et philosophique se liguait contre eux. Du fond de son palais de Notre-Dame-d'Ajuda, Pombal rêve qu'ils sont plus puissants que jamais, et, le 20 juin 1767, il adresse au comte d'A Cunha, ministre des affaires étrangères à Lisbonne, la lettre officielle dont nous extrairons ce passage : « Plusieurs faits aussi certains que notoires ont prouvé à Sa Majesté que les Jésuites sont tout à fait d'intelligence avec les Anglais, auxquels on sait qu'ils ont promis de les introduire dans tous les domaines que le Portugal et l'Espagne possèdent en deçà du sud de la ligne, et de contribuer à ce projet de toutes leurs forces, en employant toutes leurs trames, qui consistent toujours à semer le fanatisme pour tromper les peuples par les dehors de leur hypocrisie, et les soulever contre leurs souverains légitimes sous de faux prétextes de religion, et en affectant des motifs purement spirituels. Ce que les Anglais peuvent entreprendre de commun accord avec les Jésuites se réduit aux trois cas suivants : en premier lieu, les Anglais fourniraient aux Jésuites des troupes, des armes et des munitions, cacheraient les bras qui porteraient ces coups en couvrant les militaires de frocs jésuitiques, comme on l'a déjà fait plusieurs fois, et la cour de Londres dirait que tout cela n'est que l'effet de l'immense pouvoir des Jésuites, »

C'est au ridicule seul qu'il appartient de faire justice de pareilles inepties. Nous ne citons cette lettre de Pombal, qui se conserve précieusement à Lisbonne dans le quinzième registre des Ordres, de 1766 à 1768, que pour montrer jusqu'à quel point la passion contre le Jésuite peut troubler quelques intelligences qui veulent avoir le mal de la peur.

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