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sur des faits particuliers, contestables et mal exposés. Pombal tenait beaucoup plus à sa vengeance qu'à l'opinion publique. Sa vengeance se trouvait d'accord avec des projets anti-catholiques; il fit de tout cela un horrible mélange, et en confondant les notions de justice et d'humanité, il enveloppa dans cette catastrophe tous les Jésuites résidant en Portugal. Aveiro, les Tavora, Atonguia et la plupart des accusés auraient dû être jugés par leurs pairs; le ministre créa un tribunal d'inconfidence. Par un oubli des règles les plus sacrées, il présida lui-même cette commission exceptionnelle, dans laquelle siégèrent d'Acunha et Corte-Réal, ses deux collègues. La torture fut appliquée à chaque inculpé; ils la subirent avec fermeté. Le duc d'Aveiro seul, vaincu par les tourments, avoua tout ce qu'on exigeait de sa douleur. Il se déclara coupable; il accusa ses amis et les Jésuites; mais à peine fut-il délivré de la question, qu'il se hâta de nier ce que la violence lui avait arraché. Les juges refusèrent d'entendre sa rétractation. Il n'y avait eu ni témoins, ni interrogatoires, ni débats; on ignore même si les prisonniers furent défendus. Tout ce que l'on sait, c'est que le fiscal Costa Freïre, le premier jurisconsulte du royaume, proclama l'innocence des accusés, et que sa probité le fit charger de chaînes; c'est que le sénateur Juan Bucallao se plaignit de la violation des formes judiciaires et de l'iniquité de la procédure; c'est que Pombal lui-même rédigea la sentence de mort, et qu'elle est écrite de sa main. Elle fut rendue le 12 janvier 1759, on l'exécuta le lendemain.

Le peuple et l'armée murmuraient; les grands s'agitaient; Pombal ordonna de dresser l'échafaud dans le village de Belem, à une demi-lieue de Lisbonne. Portant la barbarie jusque dans les moindres détails, il avait

voulu que la marquise de Tavora et que toutes les victimes parussent sur l'échafaud la corde au cou et presque nues. C'était une dernière humiliation qu'il réservait à ceux qui l'avaient accablé de leurs dédains. Dona Éléonor, encore plus fière en ce moment qu'aux jours de ses prospérités, arriva la première sur cette immense estrade, où le billot, la roue, le bûcher et le poteau s'élevaient, comme pour réunir les différents supplices sous les yeux des condamnés. Elle s'avança, le crucifix à la main, pleine de calme et de dignité. L'exécuteur veut lui lier les pieds: « Arrête! s'écrie-t-elle, et ne me touche que pour me tuer. » Le bourreau intimidé s'agenouille devant cette martyre de la justice humaine, il lui demande pardon. « Tiens, continue-t-elle plus doucement en tirant une bague de son doigt", il ne me reste que cela; prends et fais ton devoir. » La tête de dona Eléonor tomba sous la hache. De demi-heure en demiheure, son mari, ses fils, ses gendres, ses domestiques et le duc d'Aveiro vinrent successivement, en face de ce cadavre palpitant, mourir dans les horreurs de la strangulation, sur la roue ou dans les flammes. Quand le massacre fut consommé, on mit le feu à l'échafaud, et le Tage roula dans ses eaux les cendres des immolés, confondues avec les sanglants débris de la torture'.

Mémoires du marquis de Pombal.

1 Pombal fut jugé à son tour; mais il rencontra dans la reine dona Maria, héritière de Joseph I", plus de pitié qu'il n'en devait inspirer. Le 7 avri! 1781, cet homme, âgé de quatre-vingt-deux ans, fut à son tour frappé d'une condamnation que l'histoire trouvera peu sévère. Le conseil d'État et les magistrats déclarèrent, à la majorité de quinze voix contre trois, « que les personnes tant vivantes que mortes qui furent justiciées, ou exilées, ou emprisonnées en vertu de la sentence de 1759, étaient toutes innocentes du crime dont on les avait accusées, » Ce jugement de réhabilitation est longuement et sagement motivé. Il tire une grande force de la première sentence, qui abonde en contradictions et en faits se détruisant les uns par les autres. Ainsi on lit, dans l'arrêt rendu par Pombal, que « le coup glissa et ne fit que percer le derrière du carrosse; puis, que six coups pénétrèrent à la poitrine du roi; puis encore, que coup, tiré par derrière, passa entre les bras et les côtes et ne fit qu'effleurer légère

le

Le 27 mars 1759, La Condamine écrivait à Maupertuis : « On ne me persuadera jamais que les Jésuites aient en effet commis l'horrible attentat dont on les accuse,» et le sceptique Maupertuis lui répondait : « Je pense comme vous sur les Jésuites; il faut qu'ils soient bien innocents, puisqu'on ne les a pas encore punis; je ne les croirais pas même coupables quand j'apprendrais qu'ils ont été brûlés vifs. » Le Père Malagrida fut réservé à ce supplice, et un cri de réprobation universelle répondit à cette dernière lâcheté de la force. Pombal s'était attribué ou il avait partagé entre ses créatures les biens de ses victimes. Il les tuait dans le présent, il les déshonorait dans l'avenir de leurs familles; mais il convoitait encore une autre proie. Il venait de terrasser la noblesse, il voulut écraser les Pères de l'Ordre de Jésus. La fermeté de Clément XIII lui était connue, ses intrigues allaient être déjouées à Rome; par un de ces coups d'audace qui, au premier moment, font douter même de l'innocence de toute une vie, le ministre ne recula pas devant la plus absurde des accusations. Il en avait tant fait, que personne n'osait plus prendre au sérieux un homme que la fureur poussait jusqu'aux limites de la déraison. La veille de l'exécution des Tavora, les Jésuites du Portugal, soumis depuis quatre mois à la plus

ment l'épaule droite, par devant; » un peu plus bas, la sentence ajoute que « le roi eut des blessures considérables et mortelles. »

Il est à peu près avéré maintenant que deux ou trois pistolets furent déchargés sur la voiture de Joseph ler. La version la plus accréditée est que deux hommes attachés à la maison de Tavora se portèrent à ce crime; mais Pombal a mis tant de confusion et d'acharnement dans la procédure, qu'il est parvenu même à faire douter de la réalité de l'attentat, et que plusieurs historiens n'ont pas craint de le lui attribuer. Ce qui lui appartient d'une manière incontestable, c'est l'iniquité, et on doit dire avec l'anglais Shirley, dans son Magasin de Londres, mars 1759: « L'arrêt du tribunal d'Inconfidence ne peut être regardé ni comme concluant pour le public, ni comme juste à l'égard des accusés... De quel poids peut être un jugement qui n'est d'un bout à l'autre qu'une vague déclamation, où l'on cache au public les dépositions et les témoins, où toutes les formes légales ne sont pas moins violées que l'équité naturelle ? »

ombrageuse des inquisitions, sont déclarés en masse les instigateurs et les complices du régicide présumé. On emprisonne le provincial Henriquez, les Pères Malagrida, Perdigano, Suarez, Juan de Mattos, Oliviera, François Édouard et Costa. Ce dernier est l'ami de l'infant don Pedro, frère du Roi. On l'applique à la question lui arracher dans les tourments un aveu ou une pour réticence qu'on essaiera de tourner contre le prince. Costa, tenaillé et déchiré, reste inébranlable.

Pombal avait tout disposé pour consommer son mystère d'iniquité. Les Pères Malagrida, Mattos et Jean Alexandre, vieux Missionnaires blauchis dans les travaux de l'apostolat et de la charité, avaient passé leur jeunesse et leur âge mûr au milieu des Sauvages du Maragnon et du Brésil. La marquise de Tavora suivait les exercices spirituels de Malagrida; le Père de Mattos était lié avec la famille Ribeira; Jean Alexandre, revenant des Indes, avait fait la traversée sur le même vaisseau que les Tavora. Tels furent les seuls griefs que Pombal allégua; ils suffirent pour faire condamner à mort les trois Jésuites. On ignore par quel motif le ministre leur épargna l'échafaud du 13 janvier.

La consternation régnait dans les maisons de la Compagnie; les traitements les plus acerbes, les insinuations les plus perfides, tout était mis en jeu pour désoler leur patience ou pour les compromettre; les Jésuites, qui n'avaient pas su dissiper cette tempête d'injustices, eurent le courage du martyre. Ils étaient séparés les uns des autres, sans communication avec leurs frères ou avec leurs supérieurs, livrés à un homme qui ne cessait d'accuser sans jamais prouver la moindre de ses allégations; ils attendirent dans la dignité de leur silence le sort qu'on leur réservait. Le ministre s'avoua que ses paroles

perdaient de leur autorité; le 19 janvier 1759, il réduisit le souverain au rôle de pamphlétaire à sa suite. Chaque marche du trône se couvrait de sang; la captivité, l'exil ou la ruine était le partage de ses plus fidèles sujets; on lui apprenait à se défier de ses amis et de sa famille. Pombal, afin de l'engager encore plus avant, plaça sous la sauvegarde de son nom les mensonges dont il sentait que tant de crimes auraient besoin pour être justifiés. Il prit à bail le contre-seing de ce monarque esclave, et il força la royauté à calomnier sciemment les hécatombes de son arbitraire ministériel. Il avait, au nom de Joseph I", rédigé une lettre adressée à tous les évêques portugais; elle fut répandue à profusion. Ce manifeste était la glorification de Pombal et une honte jetée aux Rois prédécesseurs de Joseph.

Quelques évêques s'en emparèrent pour créer un piédestal à leur fortune ecclésiastique; d'autres s'épouvantèrent à l'idée seule d'affronter les colères du ministre omnipotent, et l'évêque qui recule en face d'un devoir est bien près d'immoler sa conscience pastorale à de fausses nécessités de position. Ils se prêtèrent aux exigences de Pombal, il y en eut même qui les outrèrent. Les Jésuites, frappés de stupeur, environnés des ennemis inattendus que le malheur agglomérait autour de ses victimes, n'élevaient pas la voix même pour protester contre tant de fureurs calculées. Ils n'agissaient pas; Pombal imagina de les faire écrire. De virulentes satires contre le Roi parurent sous le nom de plusieurs Pères. La mesure était comblée. Deux cents évêques de toutes les parties du monde chrétien, des cardinaux, les trois électeurs ecclésiastiques n'osèrent pas rester spectateurs muets de cet opprobre, qui constituait un prince en flagrant délit d'imposture. Ils supplièrent

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