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Il en eft des hommes qui difputent comme des voyageurs celui qui a pris une fauffe route, à chaque pas qu'il fait, s'écarte davantage du terme où il veut aller.

On commence par difcuter la queftion; on finit par ne plus difcuter que les opinions & fes phraLes.

C'est ce qui m'arriveroit fi je voulois répondre à tous les points de la Lettre de M. Marmontel. Je n'y aurois même point répondu, fi je n'avois eu que mes opinions & mon goût à défendre. Mais on me fait des reproches que je dois repouffer, parce que ce feroit les autorifer que de garder le filence.

J'aime la mufique. Je fuis, puifqu'on le veut enthoufiafte des Opéras de M. Gluck; je le regarde comme le créateur du véritable fyftême de mufique dramatique ; je lui dois les plus grands plaifirs & les plus douces émotions que j'aye éprouvés au Théâtre; je ne crois pas que l'amour fincère des arts puiffe aller faus un vif fentiment d'affection & de reconnoiffance pour ceux qui enrichiffent & perfectionnent ces arts; j'ai vu M. Gluck attaqué fans modération & fans juftice, dans un moment où, même avec moins de génie & de célébrité, il ne méritoit que d'être encouragé & applaudi; j'ai pris la plume pour le défendre. Il n'en avoit pas befoin; le public le vengeoit mieux que mes éloges ne pouvoient le faire; mais je fatisfaifois un fentiment qui m'étoit doux & qui me paroiffoit un devoir.

Depuis long-temps M. Gluck jouifloit en paix de fes triomphes conftans & multipliés, lorfque M. Marmontel, en rendant compte d'une brochure fur la mufique, a jugé à-propos de renouveller une attaque un peu gratuite contre le mérite de ce Compofiteur. Pour prouver que M. Gluck n'avoit pas une grande réputation en Italie, il a cité une Lettre du P. Martini, qui cependant louoit beaucoup M.

Gluck, quoiqu'avec des reftrictions. J'ai cru devoir citer une Lettre plus ancienne, dans laquelle le Père Martini louoit d'une manière encore plus forte & plus abfolue M. Gluck, en lui accordant le mérite d'avoir réuni tout ce que la mufique Italienne a de plus beau, avec ce que la mufique Françoife & Allemande a de meilleur; ce qu'il n'a jamais dit & ne peut jamais dire d'aucun Compofiteur Italien.

Ce n'étoit-là qu'une queftion de fait. J'ai tâché de la relever un peu par quelques obfervations générales fur la mufique, propres à faire naître, je ne dis pas des idées nouvelles, mais du moins des réflexions intéreffantes fur l'art. C'eft, à ce qu'il me femble, ie feul moyen de rendre les difputes Littéraires plus utiles & plus piquantes.

Je ne me fuis pas permis dans ma réponse un feul mot qui, directement ni indirectement, puiffe défobliger M. Marmontel. Il n'a pas cru me devoir les mêmes ménagemens. Il s'eft un peu moqué de quelques-unes de mes phrafes. Je n'en fuis point bleffé: fi j'ai eu tort, c'eft fort bien fait; fi j'ai eu raifon, je n'en aurai pas moins raison.

En citant l'Effai de M. le Prince Belofelski, j'ai parlé de fon ouvrage avec eftime, & de fa perfonne avec les plus grands égards. J'ai observé feulement qu'il employoit trop fouvent des expreffions va gues & générales, des figures & des comparaifons empruntées des autres arts, peu propres à donner des idées précises fur les Artiftes & fur les pro ductions qu'il vouloit caractériser ; j'ai cru l'obfervation d'autant plus utile, que cet abus d'expreffions figurées ou abftraites eft devenu familier à des beauxefprits, qui fachant arranger des phrafes & ne fachant pas l'alphabet des Arts, fe croyent faits pour juger de tout, parce qu'il leur plaît de parler de tour, & écrivent fur ces -Arts, qu'ils n'ont pas étudiés, avec un ton de confiance qu'il ne faudroit pas pren

dre en écrivant fur ce qu'on fait le mieux. M. le Prince Belofelski n'avoit pas befoin de cette petite reffource de l'ignorance capable pour écrire d'une manière intéreffante fur la mufique, qu'il avoit étudiée dans la patrie de la mufique.

En rapportant pour exemples quelques phrafes de fon Effai, j'en ai tranfcrit les paroles avec la plus grande fidélité, fans en tirer aucune induction, fans y voir autre chofe que ce qui y eft; M. Marmontel m'accufe cependant d'avoir mutilé cet effai mais il ne cite & ne peut citer aucune de ces phrases mutilées.

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J'ai trouvé peu jufte ce qu'a dit M. le Prince Belofelski, que Vinci fut créateur comme Corneille; l'Auteur ajoute, il eft vrai, que le Muficien fit le premier bon Opéra - Comique, comme le Poëte compofa la première bonne Tragédie, & que tous deux ont àpeu-près la même élévation dans les idées tragiques, la même chaleur & la même rapidité dans le ftyle. Mais fi j'avois rapporté ces raisons, j'aurois été obligé d'ajouter que jamais Corneille n'a été regardé comme créateur de la Comédie; que le Menteur n'eft point une création, mais un Ĉomédie imitée de l'Espagnol; qu'on peut avoir de l'élévation dans les idées, & de la rapidité dans le ftyle, fans avoir rien créé, &c. Je n'ai pas infifté là-deffus, parce que je ne voulois pas faire la critique de l'Efai. Er aujourd'hui qu'on m'oppofe ces phrases, ne pourroisje pas prier ceux qui les citent de me dire en quoi confiftent l'élévation des idées & la rapidité du ftyle dans les Ariettes de Vinci? Tous ces mots-là font bien aifés à écrire & à lire, & tout le monde croit les entendre; mais il feroit peut-être bien embarralfant d'en faire une application claire à un air de l'Artaxerce ou de la Didon.

Encore une fois, quand on parle d'un art, on ne fe fait bien entendre qu'en parlant la langue de

cet art; les comparaisons & les métaphores ne font faites que pour rendre les idées plus fenfibles & plus frappantes; mais elles doivent venir à l'appui du terme propre, & non pas en tenir lieu.

C'eft par le même principe que j'avois pensé que ce n'étoit pas s'exprimer avec affez de précision, que d'appeler Pergolèle le plus éloquent des Compofiteurs. Je trouve le premier couplet du Stabat sublime & pathétique ; mais, avois-je ajouté, le pathétique n'est pas de l'éloquence, & il n'y a rien de fi rare que de Péloquence en Mufique.

M. M. m'objecte que le premier couplet du Stabat n'eft pas le feul qui foit fublime & pathétique; ce que je n'ai pas envie de contefter. Il ajoute, où fera donc l'éloquence, fi elle n'eft pas dans le pathétique? Ne peut-on pas répondre, dans Démosthène qui n'eft point pathétique, dans Boffuet qui ne l'eft guère, dans plufieurs autres Ecrivains qui ne fongent pas à l'être? D'un autre côté les cris de Philoctete dans fa caverne, ne font-ils pas pathétiques fans être éloquents; le mot naïf d'un enfant affligé, le difcours incohérent d'un maniaque peuvent toucher jufqu'aux larmes, & ne font point de l'éloquence. Mais enfin

, comme le fait entendre M. Marmontel, pathétique & éloquent font fynonymes, pourquoi n'avoir pas dit que Pergolèle étoit le plus pathétique des Compofiteurs? Cela auroit été aufli élégant, & en tendu de tout le monde.

Je n'ai pas cru, comme M. le P. B.que M. Picinni fut admirable fur-tout à exprimer le fens des paroles. M. Marmontel dit que, jufqu'à préfent, toute l'Europe a été de ce fentiment, & ajoute, pour me rendre bien ridi→ cule, que je veux faire voir que toute l'Europe n'y ntend rien. Je pourrois demander où & quand toute l'Europe a dit cela. En attendant qu'on produife au public ce Certificat de toute l'Europe, je dois juftifier la critique que j'ai faite de trois morceaux de

Roland, où j'ai prétendu que le fens de la mufique étoit peu d'accord avec celui des paroles. C'eft le feul point de toute cette difcuffion qui me tienne au cœur, & le feul qui m'ait déterminé à répondre, parce que je ne veux pas être foupçonné d'avoir attaqué légè rement un Compofiteur auffi célèbre que M. Piccini, dont j'admire & j'aime les beaux ouvrages auffi fineèrement qu'aucun de fes plus zélés Prôneurs, quoique ce ne foit pas au même degré.

J'ai dit que M. Piccini, ainfi que les plus grands Maîtres d'Italie, facrifioit quelquefois le fens & la ponctuation de la phrafe verbale à la fymétrie & aux développemens de la phrafe musicale. J'en ai cité pour exemple l'air, je la verrai, & j'ai dit que dans ce vers, ponctué ainfi par le Poëte:

Efclave, heureux de fervir tant d'appas.

Le Muficien avoit ponctué ainfi

Efclave heureux; de fervir tant d'appas.

ce qui ne fait plus aucun fens.

M. Marmontel me répond que je me trompes que le Compofiteur n'a point détaché ces mots, de ferwir tant d'appas; qu'il a écrit, heureux de fervir tant d'appas, de fuite & fans aucun repos.

Comme je n'avois cité que de fouvenir, j'ai craint, en lifant un affertion fi pofitive, que ma moire ou mon oreille ne m'euffent trompé. Je me fuis procuré la partition, & j'y ai trouvé écrit ce que j'avois entendu chanter. Efclave heureux c répété trois fois dans l'air. Dans ces trois endroits efclave eft toujours lié avec heureux par des doubles croches; heureux tombe fur une noire qui forme le premier temps de la mefure, & donne avec la basse une cadence parfaite ; ce qui conftitue un repos trèsfenfible: de fer vir tant d'appas eft donc détaché & n'eft pas écrit de fuite.

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