ee qui eft justement le mal qu'il voudroit éviter.

Quelle eft l'origine de tous ces paradoxes infoutenables? L'oubli d'une vérité trèsfimple, à laquelle ne peuvent pas s'accoutumer les imaginations ardentes, entêtées de la chimère d'un optimifme poffible, mais à laquelle pourtant la réflexion ramène toujours : c'est que l'homme étant à la fois effentiellement perfectible & effentiellement imparfait, doit également être porté à acquérir, & néceffité à abufer. S'il lui étoit donné d'avoir quelque chofe d'incor ruptible, ce ne feroit plus une qualité hu maine, ce feroit un attribut de la divinité. Il réfulte que, bien loin de vouloir remé dier à l'abus en détruifant l'ufage, il faut au contraire effayer de réformer l'abus par un ufage mieux entendu ; & c'est l'ouvrage de la vraie Philofophie, non celle qui éga roit Rouffeau, lorfqu'il employoit tant d'art & d'efprit à foutenir fes hypothèses brillantes & erronnées; mais celle qui l'en Hammoit de l'amour du genre humain, lorfqu'il compofoit fon chef d'œuvre d'Emile.

Le monde est bien vieux, difent les Phyficiens cela peut-être; mais à confidérer les révolutions que le globe a dû éprouver, l'homme eft peut-être encore bien neuf, A voir combien il y a peu de

temps qu'une partie des Nations connues, eft fortie de la barbarie, combien croupiffent encore dans l'ignorance; combien parini celles mêmes qui ont fait le plus de progrès, on s'eft peu occupé jufqu'ici des moyens de rendre l'homme meilleur & plus heureux? On peut croire que la Philofophie a beaucoup à efpérer, parce qu'il lui refte beaucoup à faire.

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Au furplus, le Difcours fur l'inégalité, quoique fondé fur un fyftême d'erreurs, comme le Difcours fur les Sciences, étoit bien fupérieur à ce premier effai de l'Auteur. Ici fe faifoit fentir une bien plus grande force d'idées & de ftyle. Le moreeau fur la formation des Sociétés étoit d'une tête penfante & l'on appercevoit déjà ce mêlange d'une philofophie vigoureufe & d'une éloquence entraînante, qui depuis ont caractérisé les ouvrages de Rouffeau. A la fuite d'un faux principe, il amène une foule de vérités particulières, dont il porte le fentiment dans l'âme de fes Lecteurs. En le lifant il faut s'embar#affer peu du fond de la queftion, & faifir toutes les beautés qui fe préfentent à l'en& ce feroit le lire comme il a écrit s'il étoit vrai, comme on le lui a reproché d'après fes premiers paradoxes, qu'en effet il fe jouât de la vérité, & qu'il ne fongeât qu'à faire briller fon efprit; mais

tour;

Fai peine à fuppofer dans un fi grand Ecrivain ce défaut de bonne-foi qui duninueroit trop le plaifir que j'ai à le lire Il fe peut qu'en effet l'amour de la fingularité ait influé fur le choix de fes premières opinions; mais il eft très-poffible qu'en les foutenant, il s'y foit fincèrement attaché, & que la contradiction même n'ait fervi qu'à l'y affermir. Pour les têtes auffi vives que la fienne, s'échauffer, c'est se 'con

vaincre. N'oublions pás que ce Difcours fur l'inégalité, quoique fort au-deffus du Dif cours fur les fciences, ne fut point couronné. Ce fut M. l'Abbé Talbert qui eur le Prix. Je ne connois point fon ouvrage ; mais, fans vouloir lui rien difputer de fon mérite, en lifant les Difcours qui lui ont valu des couronnes dans les Académies de Provin+ ce, il eft difficile de croire qu'il ait fait un meilleur ouvrage que celui de Rouffeau.

La Lettre fur la Mufique avoit encore pour bafe un paradoxe. Il y foutenoit que les François ne pouvoient pas avoir de Mufique. Il donnoit en même-temps le Devin de Village, petit Drame plein de grâce & de mélodie, qui eut un fuccès prodigieux.. On a remarqué que le charme de cet ou vrage naiffoit furtout de l'accord le plus par fait entre les paroles & la mufique, accord qui fembleroit ne pouvoir fe trouver au

même degré que dans un Auteur qui, comme Rouffeau, auroit conçu à la fois les vers & le chant; mais ceux qui favent que le fameux duo de Sylvain, l'un des beaux mor-ceaux d'expreffion dont notre Mufique Théâtrale puiffe fe glorifier, n'eft pourtant qu'une parodie, & que le Poëte travailla fur des notes,ceux-là concevront qu'il eft possible que le Poëte & le Muficien n'aient qu'une même âme, fans être réunis dans la même perfonne.

Quoique la Lettre fur la Mufique eut le défaut de porter tout à l'extrême; quoique les compofitions de Duni, de Philidor, de Monfigni, les chef-d'œuvres de Grétti chantés dans toute l'Europe, & admirés en Italie, & en dernier lieu les Opéras de M. Gluk, aient réfuté le fyftême de Rouffeau; cependant cette lettre que produifit la querelle des Bouffons, contribua, ainsi qu'eux, à faire connoître, en France, les principes de la bonne Mufique, & les défauts de la nôtre. Elle excita un grand foulèvement parmi les partifans de l'Opéra François; & l'animofité fut pouffée jufqu'à ôter les entrées de ce Spectacle à l'Auteur du Devin de Village, quoiqu'on n'en eût pas le droit. On fut fur le point d'intéreffer le Gouvernement dans la querelle; & ne pouvant faire trai ter Rousseau en criminel d'Etat, on le brûla

du moins en effigie fur le Théâtre de l'Opé-: ra, & la haine applaudiffoit à ces farces, auffi indécentes. que ridicules.

On fait qu'il compofa depuis un Diction naire de Mufique, dans lequel il tefondit les articles qu'il avoit inférés fur cette Science, dans le grand ouvrage de l'Encyclopédie. Il y prouve en plus d'un endroit que lorf qu'on a du génie, on en peut mettre même. dans un livre élémentaire. A l'égard de fa doctrine fur la Mufique Théâtrale, elle eft précisément l'oppofé de celle que veulent introduire aujourd'hui de nouveaux Légiflateurs, qui n'ont pas tout-à-fait les mêmes droits ni la même autorité que lui Il veut abfolument faire régner fur le Théâtre ce genre de Mufique qu'ils veulent reléguer dans, les Concerts. Il foutient d'un bout à l'autre de fon livre, avec toute la cha leur de la perfuafion intime, que la puiffance de la Mufique réfide principalement dans le chant régulier, dans la mélodie des airs dramatiques. On a prétendu qu'il s'étoit rétracté depuis; mais ce qu'il a imprimé eft un peu plus für que ce qu'on lui fait dire.

Après ces différentes excurfions, Rouf feau parut vouloir raffembler fa Philofo phie, fes querelles & fes amours dans. l'efpèce d'Ouvrage qu'on lit le plus, dans ua Roman; car en effet la Nouvelle Héloïfe