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donner au deuil du Génie, avant de fonger à le juger.

Fornons-nous donc à jeter un coup-d'œil rapide fur les productions du Citoyen de Genève, devenu l'un des ornemens de la Littérature françoife.

qui

pauvre,

la

Il commença tard à écrire, & ce fut pour lui un avantage réel qu'il dut à des circonftances malheureufes. Condamné depuis l'enfance à mener une vie borieufe & agitée, il eut tout le tems d'exer cer fon efprit par l'étude, & fon cœur par les paffions; & l'un & l'autre débordoient, pour ainfi dire, d'idées & de fentimens, lorsqu'il se préfenta une occasion de les répandre. Auffi parut-il riche, parce qu'il avoit amaffe long-temps, & cette terre étoit neuve n'en fut que plus féconde. Communément on écrit trop tôt ; &, fi T'on en excepte les ouvrages d'imagination, dans lefquels les effais font pardonnables à la jeuneffe, comme les premières études à un Peintre, il faudroit d'ailleurs étudier lorfqu'on eft jeune, & compofer lorfqu'on eft mûr. L'efprit des jeunes Auteurs n'eft guères que de la mémoire; leur jugement n'eft pas formé, & leur goût n'eft pas fûr. Ils affoibliffent les idées d'autrui ou exagè rent les leurs, parce qu'ils manquent égalément de mefure & de choix. Auffi, tandis qu'il eft affez commun de voir à cet

âge dit talent pour la poéfie, rien n'eft plus rare que, de voir un jeune homme en état d'écrire une bonne page de profe.

Le premier ouvrage de Rouffean eft celui qu'il a le plus élégamment écrit, & c'eft le moins eftimable de tous. On fait qu'une queftion fingulière, propofée par une Académie, & qui peut-être n'aureit pas. dû l'être, donna lieu à ce fameux Difcours qui commença la réputation de Rouffeau, & qui ne prouvoit que le talent affez facile de mettre de l'efprit dans un paradoxe. Ce Difcours, où l'on prétendoit que les arts, & les fciences avoient corrompu les mœurs, n'étoit qu'un fophifme continuel, fondé fur cet artifice fi commun & fiaifé, de ne préfenter qu'un côté des objets & de les mon-trer fous un faux jour. Il eft ridicule d'ima giner que l'on puiffe corrompre fon âme en cultivant fá raifon. Le principe d'erreur qui règne dans tout le Difcours, consiste à fuppofer que le progrès des arts & la corruption des mœurs, qui vont ordinairement: enfemble, font l'ún à l'autre comme la: caufe eft à l'effet. Point du tout. L'homme. n'eft point corrompu parce qu'il eft éclairé;; mais quand il eft corrompu, il peut t fe fervir, pour ajouter à fes vices, de ces mêmes. lumières qui pouvoient ajouter à fes vertus.. La corruption vient à la fuite de la puif. fance & des richeffes, & la puiffance. & less

icheffes produifent en même temps les arts qui embelliffent la fociété. Or, il est de la nature de l'homme d'ufer de fa force en tout fens. Ainfi les moyens de dépravation ont dû fe multiplier avec fes connoiffances, comme la chaleur qui fait circuler la fève, forme en même temps les: vapeurs qui font naître les orages. Ce fujet, ainfi considéré, pouvoit être très-philofophique. Mais l'Auteur ne vouloit être ques fingulier. C'étoit le confeil que lui avoit donné un Homme de Lettres célèbre, avec lequel il étoit alors fort lié. Quel parti prendrez-vous? dit il au Génevois, qui alloit compofer pour l'Académie de Dijon. Celui des Lettres, dit Rouffeau : Non, c'eft le pont aux-ânes. Prenez le parti contraire, & vous verrez quel bruit vous ferez.

Il en fit beaucoup en effet. Il eut l'honneur affez rare d'être d'abord réfuté par un Souverain *; enfuite il eut le bonheur de trouver dans un Profeffeur de Nancy un adverfaire très-mal-adroit: ainfi il lui arriva ce qu'il y a de plus heureux dans une mauvaife caufe; fa thèse fut célèbre & mall combattue. Il battit avec l'arme du ridicule des Adverfaires qui avoient raifon de mau-vaife grâce. D'ailleurs, la difcuffion valoit mieux que le difcours, & Rouffeau fe

Le feu Roi de Pologne, Staniflas..

AM

trouvoit dans fon élément, qui étoit la controverfe. Il vint, pourtant un dernier Adverfaire, ( M.. Bordes, de Lyon) qui défendit la vérité avec éloquence; mais le Public fit moins d'accueil à fes raisons qu'aux paradoxes de Rouleau. La même chofe arriva depuis, lorfque deux excellens Écrivains réfutèrent, d'une manière victorieuse, sa Lettre fur les Spectacles.Malgré tout leur mé rite, fuffifamment prouvé d'ailleurs par tant de titres reconnus, le Public, qui aime mieux être amufé qu'inftruit, & remué que convaincu, parut goûter plus les écarts & l'enthousiafme de Rouffeau, que la raifon fupérieure de fes Adverfaires. En général, le paradoxe doit avoir cette espèce de vogue, & entre les mains d'un homme de talent, il offre de grands attraits à la multitude; d'abord celui de la nouveauté, enfuite il eft affez naturel que l'Auteur à paradoxe mette plus de chaleur & d'intérêt dans fa caufe, que n'en peuvent mettre dans la leur ceux qui le réfurent. On fe paffionne volontiers pour l'opinion qu'on a créée ; on la défend comme fon propre. bien; au-lieu que la vérité eft à tout le monde.

Cependant, tel fut l'effet de la première difpute de Rouffeau fur les Arts & les Sciences, que cette opinion, qui d'abord n'étoit pas la fienne, & qu'il n'avoit embraffée que pour être extraordinaire, lui devint propre à force de la foutenir. Après

avoir commencé par écrire contre les Lettres, il prit de l'humeur contre ceux qui les cultivoient. Il étoit poffible qu'il eût déjà contre eux un levain d'animofité & d'aigreur. Ce premier fuccès, plus grand qu'il ne l'avoit attendu, lui avoit fait fentir fa force, qui ne fe développoit qu'après avoir été vingt ans étouffée dans l'obfcurité & la misère. Ces vingt ans paffés à n'être rien, pouvoient tourmenteralors fon amour-propre dans fes premières jouiffances; car pourl'homme qui fe fent au-deffus des autres, c'eft un fardeau, fans doute, que d'en être long-temps méconnu. Rouffeau ne commençoit que bien tard à être à fa place, & peutêtre eft-ce là le principe de cette efpèce de mifantropie, qui depuis ne fit que s'accroî tre & fe fortifier. Il fe fouvenoit ( & cette anecdote eft auffi certaine qu'elle eft remarquable) que lorfqu'il étoit Commis chez M. D***, il ne dînoit pas à table le jour que les Gens de Lettres s'y raffembloient, Ainfi, Rouffeau entroit dans le champ de la Littérature, comme Marius rentroit dans Rome, refpirant la vengeance, & se souvenant des marais de Minturnes.

Le Difcours fur l'inégalité n'étoit encore qu'une fuite & un développement de fes premiers paradoxes, & de la haine qui fembloit l'animer contre les Lettres & les Arts. C'est là qu'il foutint cet étrange fophifme

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