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Paris, chez le Jay, rue St Jacques, au deffus de celle des Mathurins.

Lorfque Marseille confervoit encore fous la protection des Céfars la fage conftitution qui avoit fondé fa République, on pouvoit compter au nombre des citoyens les plus refpectables que la naiffance & le favoir plaçoient à la tête du gouvernement, Ménécrate & Zénothémis; le premier déjà avancé en âge, jouiffoit d'une réputation folidement établie pour fon intégrité autant que pour les lumières dans la Jurifprudence. Une fille unique devoit hériter de fa confidération & de fes richeffes : mais le vertueux Sénateur mettoit bien au-deffus des préfens de la fortune l'eftime de fes concitoyens & la fienne propre; il favoit apprécier cette récompenfe, la feule qui nous fatisfaffe pleinement, & que fi peu dé gens en place connoiffent & font jaloux de mériter. La tendre amitié de Zénothémis ajoutoit le dernier degré à fon bonheur. Ce jeune homme joignoit aux grâces de la figure & à la dignité de l'extérieur une ame fublime & enflammée de l'amour des arts & des vertus. Sortià peine de l'enfance, il s'étoit attaché fortement à

Ménécrate. Ce panchant s'étoit accrû avec les années, & la difproportion de leur âge n'avoit point nui aux douceurs de cette liaifon independante des fens qui rapproche, unit les cœurs, & qui les porte à 3 fe communiquer leurs goûts, leurs affec tions, leurs intérêts mutuels. Zénothémis évitoit toutes les occafions qui pouvoient l'éloigner de fon ami. Des affaires indif penfables cependant l'ayant appelé à Nifme, il fallut prendre congé de fon ami, qui,en lui renouvellant les affurances d'une amitié inviolable, le preffa de hâter son retour. Pendant cette abfence le fils d'un Marfeillois diftingué eft foupçonné d'un meurtre commis pendant la nuit. L'inf truction de l'affaire eft confiée à Ménécrate. L'accufé n'étoit que trop coupable, fi l'on confultoit far tout la févérité des loix de Marfeille; le vrai s'étoit montré dans tout fon jour, la fatale fentence alloit être prononcée; le père & la mère du jeune homme accourent, tombent au genoux du magiftrat, les arrofent de pleurs:

Hélas! s'écrie le père infortané, en dé→ couvrant la tête chauve, & fe profter nant plus profondément, bienfaisant » Ménécrate, daignez être homme avant » que d'être l'organe de la justice. Vous

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» voyez couché dans la pouffière un mal» heureux vieillard qui n'a plus qu'un » jour à voir la clarté du soleil; il espé

roit revivre dans un fils unique, & ce » fils va lui être enlevé ! & par quels » coups! ce n'eft pas affez qu'il perde la » vie: fon châtiment fera perpétué par une mémoire flétrie qui s'étendra fur » toute fa famille, qui me pourfuivra jufques dans la tombe. Ménécrate » vous êtes père : oui, mon fils eft crimi»nel, je ne vous le cache pas; oui, il a » mérité toute votre rigueur, du moins "nos loix l'ont ainsi décidé. Quoique je » puffe l'excufer en vous donnant des »preuves que fon adverfaire l'a infulté » vivement, & a fuccombé fous un pre»mier mouvement de vengeance, la

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mort de mon malheureux fils rapimera» t'elle celui dont il a percé le flanc? Contemplez une déplorable mère qui » n'a point la force de s'exprimer. Cette » douleur qui fe tait vous peint l'horreur » de fa fituation. Ame généreufe, ordon» nez le trépas de tous trois, s'il faut » qu'on arrache de notre fein cet enfant. » Si vous aviez à juger votre fille, la » condamneriez vous? Pourriez-vous » laiffer tomber le glaive des loix fur sa

» tête? Ayez compaffion de ma vieilleffe: c'est l'humanité qui pleure à vos ge» noux, qui vous adresse sa prière, fes » cris; Ménécrate, c'eft mon dernier foupir qui vous intercède.» En effet le vieil. lard expiroit aux pieds de Ménécrate. Le juge attendri le relève avec bonté, ainfi que fa femme; la nature fe fait entendre à fon cœur ; la voix de l'équité eft moins forte: l'auftère magiftrat enfin n'est plus qu'un homme fenfible, qu'un père remué par le fpectacle le plus déchirant. Il céde à ce mouvement dont s'applaudit l'humanité, & que l'on craint d'appeler une foiblefle: il immole fon devoir pour n'obéir qu'à la pitié : le criminel eft déclaré innocent. Ménécrate étoit trop estimé & trop heureux pour ne pas exciter l'envie. Ses ennemis fe réuniffent à la famille du mort. On demandé la tévifion du procès. On propofe des informations. Le meurtrier, malgré le rapport favorable d'un des prémiers Sénateurs, eft déclaré coupable: il fubit le supplice deftiné aux homicides. L'efprit de parti n'en refte point à cet acte de juftice: il s'acharne à la du juge trop humain, exagère fa faute comme un crime capital qui bleffe les loix & l'équité. Ménécrate, cité devant

perte

le Sénat affemblé, comparoit & ne diff mule point qu'un fentiment de compaffion l'a furpris & s'eft rendu le maître de fon cœur. Il convient de toute l'étendue d'une erreur fufceptible peut-être de pardon, fi la fenfibilité eft écoutée; il avoue qu'il a mérité d'être repris par fa Compagnie; il finit par implorer fon indulgence.Mais on n'écoute que l'inflexibilité des loix. Ménécrate eft dépouillé de fes dignités. La confifcation de fes biens fuit une peine fi cruelle. Zénothémis, informé de l'horrible catastrophe que vient d'effoyer fon ami, accourt, vole dans fes bras & les arrofe de ces larmes délicieufes que fait naître la fenfibilité. Zénothémis fe rend au Sénat; il veut élever la voix en faveur de fon ami. On lui répond que l'équité défend de revenir fur le jugement, & que la condamnation de Ménécrate a été prononcée par les loix. « Vous parlez toujours de loix, dit Zénothémis ! eh! parlez d'humanité; examinez la faute de votre collégue; c'eft un excès de compaffion, qui, s'il fait tort à fon in»tégrité, honore fon cœur ; il s'en remet à votre clémence. Les repréfentations de Zénothémis, fes efforts, fes prières font inutiles, & il eft obligé de céder à la

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