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quiétude y perce à chaque vers. On sent l'effort d'un homme qui tremble pour le sort de son ami, et voudrait se persuader à lui-même qu'il a tort de n'être point rassuré. Turgot n'était pas Socrate sans doute et il n'était point menacé de boire la ciguë; mais, bien que forcée, la comparaison n'est pas absolument fausse. Turgot était presque un philosophe, et il fut, comme Socrate, un homme de bien; il fut, comme lui, méconnu de la plupart de ses contemporains, exposé à leur haine aveugle et à leurs calomnies. Peut-être même faut-il l'estimer heureux d'être venu en son temps. Un peu plus tôt, il méritait la Bastille. Un peu plus tard, il serait mort sur l'échafaud.

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Nous avons laissé au 10 octobre l'énumération des détails de l'administration de Turgot. - Le 12, il compléta son arrêt célèbre du 13 septembre 1774 sur la liberté du commerce des grains, en déclarant que le transport des blés de province à province ne serait pas seulement libre par terre, mais par mer également. Or, des entraves nombreuses gênaient sur nos côtes le cabotage des navires chargés de grains. L'arrêt du 14 février 1773 n'avait permis le commerce d'un port à un autre que dans ceux où il y avait siége d'amirauté. L'arrêt du 31 décembre suivant avait étendu cette permission à quelques ports de la généralité de Bretagne, de La Rochelle, de Poitiers. Celui du 25 avril 1774 avait permis le transport des grains dans le port de Cannes, et celui du 22 juin suivant dans les ports de Saint-Jean-de-Luz et de Libourne. Mais il restait encore plusieurs ports n'ayant point de siége d'amirauté, où le commerce des grains par mer était interdit; et s'il était permis de transporter des grains au port de Saint-Jean-de-Luz, il était défendu d'en faire sortir par ce port pour tous les autres ports du royaume; enfin, la quantité de grains qu'il était permis de charger dans les ports d'une même province était limitée à 50 tonneaux. Turgot abolit cette législation bizarre il décida que les grains pourraient sortir librement par mer de tous les ports du royaume, pour rentrer dans un autre port, soit de la même province, soit d'une autre, pourvu qu'on justifiât par des acquits-à-caution de leur destination et de leur rentrée.

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L'arrêt du 14 février 1773 rendait les capitaines responsables des effets du mauvais temps; il les condamnait à la confiscation et à l'amende, même lorsque le gros temps les avait forcés de jeter à la mer tout ou partie de leur chargement; il les obligeait en ce cas à faire verser dans le port auquel la cargaison était destinée, une quantité de blé venant de l'étranger égale à celle qui était mentionnée dans l'acquit à caution; les amendes étaient fixées à 3,000 livres, sans compter la confiscation, lorsqu'au port de sortie il y avait un excédant de plus du dixième des grains déclarés, ou, au lieu de rentrée, un déficit de plus du vingtième. Ce régime draconien

semblait avoir été imaginé exprès pour empêcher les négociants de se livrer au commerce des blés par mer. Turgot l'adoucit: il punit la fraude d'une amende de 1,000 livres seulement; en revanche, les négociants furent tenus de faire transporter dans le royaume le quadruple de la quantité de grains qui se trouverait en plus à la sortie, ou en moins à la rentrée, sur la quantité mentionnée dans l'acquit-à-caution. Quant aux capitaines, on cessa de les punir d'un accident dont ils étaient les premières victimes; ils ne furent plus inquiétés pour les grains que le gros temps les avait forcés de jeter à la mer (1).

Le 18 octobre, Turgot adressa aux intendants une circulaire sur la confection des rôles des vingtièmes pour l'année 1776 (c'est en octobre en effet que commençait l'année financière). Il les priait de recommander au directeur et aux contrôleurs des vingtièmes de leur généralité la plus scrupuleuse exactitude, l'impartialité la plus absolue dans la répartition de l'impôt. « Je ne puis trop vous le répéter, disait-il, en s'efforçant de modérer leur zèle fiscal, il ne faut point s'occuper d'augmentation sur les vingtièmes; le roi [en] fait à son peuple le sacrifice... Il faut que [les administrateurs des finances s'appliquent] uniquement..... à établir une juste proportion entre les contribuables. Ne travaillant que pour le bonheur et la tranquillité des peuples, ils ont droit de prétendre à toute leur estime et à leur confiance (2). »

Vers le même temps, Malesherbes, vraisemblablement conseillé par Turgot, supprimait les arrêts de surséance qui permettaient aux roués de la cour de ne pas payer leurs dettes et de se ruiner impunément (3). Le 31 octobre parut un autre arrêt destiné à faire disparaître le privilége conservé en matière d'offices royaux aux trois provinces de Flandre, Hainaut et Artois. Les titulaires d'offices avaient réussi jadis à faire considérer leurs charges comme des propriétés héréditaires. Pour plus de sûreté, ils avaient même pris l'habitude de désigner de leur vivant leur propre successeur, qu'ils faisaient agréer au roi. Ces nominations anticipées à des fonctions non encore vacantes se nommaient des survivances. Un édit de février 1772 avait supprimé beaucoup de ces hérédités et de ces survivances (*) attachées comme autant de priviléges aux offices royaux. Il avait aussi astreint ces offices à l'acquit de certaines taxes : les droits de prêt et annuel pour la première année, de centième denier pour les années suivantes, et de mutation. Les offices qui, par exception, avaient conservé une survivance devaient acquitter le droit de seizième. Cependant, par une étrange exception, les trois provinces de Flandre, Hainaut et

(1) Eur. de T. Ed. Daire, II, 207. (2) Piec. just. no 50.

(3) Bach., Mém. secr., VIII, 248.
(4) Leur nombre etait encore grand.

Artois n'avaient pas été visées par cet arrêt. Considérant qu'il y aurait de l'inconséquence à ne pas ramener dans ces provinces les offices à la loi commune, et « qu'il était, au contraire, d'une bonne administration de maintenir l'uniformité », Turgot ordonna que l'édit de février 1771 et les arrêts confirmatifs qui l'avaient suivi. seraient à l'avenir exécutés dans les trois provinces privilégiées. Nous sommes parvenus au mois de novembre. Un arrêt du 7 rétablit à Lyon la liberté de la boulangerie foraine. Cette profession y était alors singulièrement réglementée. Les boulangers forains ne pouvaient vendre du pain que « dans des places déterminées, à des jours marqués, à un prix inférieur à celui des boulangers de la ville, » et ils étaient obligés de remporter au dehors le pain qui leur restait à la fin de la journée. Aucun habitant de la ville, sauf ceux qui étaient pourvus du brevet de maîtrise de boulangers, ne pouvait y fabriquer ni y débiter du pain. Ces règlements dataient de 1700 et 1701. En 1751, une autre règlement avait condamné à 300 livres d'amende des particuliers qui avaient osé introduire du pain en ville; il avait, en outre, réservé aux boulangers « des seules paroisses de Montluel et de Saint-Pierre de Chandieu le droit d'en apporter et d'en vendre à Lyon, d'ailleurs seulement pendant trois jours de la semaine, et sans pouvoir entreposer et garder dans la ville le pain qu'ils n'auraient pas vendu. » C'est à la requête de la communauté des boulangers qu'avaient été prises ces bizarres dispositions. Turgot les abolit, rappelant que des lois précises du XVIIe siècle, renouvelées au commencement du XVIII", avaient interdit à Lyon toutes les communautés, maîtrises et jurandes. Il accorda aux boulangers forains le droit de venir tous les jours vendre librement leur pain en ville. Il déclara que son intention était de favoriser l'abaissement des prix et la distribution facile des subsistances par l'établissement de la liberté et de la concurrence; il pensait, en effet, que nulle part ce bienfait n'était plus utile qu'à Lyon, « dans une ville où le commerce et le travail que procurent les manufactures rassemblent une population nombreuse, qui, ne subsistant que des rétributions de son travail et de l'emploi continu de son temps, doit trouver dans tous les moments à sa portée l'objet de ses premiers besoins (1). » Cette fois encore la classe laborieuse était le principal objet de sa sollicitude. Deux jours après, Turgot perdit un collaborateur précieux dans la personne de François d'Ormesson, conseiller d'État et intendant des finances; son fils le remplaça (2).

Mentionnons à la même date une déclaration concernant les défri

(1) Arrêt du 5 nov. 1775. Daire, II, 229.

Euv. de T. Ed.

(2) Il mourut le 7 novembre 1773, à l'âge de soixante-seize ans (Merc. de Fr., déc. 1775).

Son fils, qui le remplacait déjà depuis plusieurs mois, écrivait la veille à Turgot que sa santé exigeait encore des ménagements ». (Arch. dép. Gir., C. 64.)

chements. Une déclaration précédente, du 13 août 1766, s'était efforcée d'encourager les défrichements de landes et terres incultes. Elle avait prescrit toutefois certaines formalités à ceux qui voudraient jouir des avantages accordés à cette œuvre utile il fallait déclarer les projets de défrichements aux greffes des justices royales et des élections, et faire afficher par huissier copie de cette déclaration à la porte de la paroisse. L'objet de ces affiches était de permettre aux décimateurs et curés et aux habitants de vérifier les déclarations et au besoin de les contredire. Le rédacteur de l'ordonnance n'avait oublié qu'un point: il n'avait pas fixé le délai pendant lequel les recherches et les contestations des intéressés étaient valables. Turgot estima qu'un délai de six mois était suffisant et qu'il leur permettrait amplement de vérifier les déclarations et de se pourvoir. Des lettres-patentes du même jour, reproduisant en substance les termes de cette ordonnance, rendirent cette mesure applicable, à peu de chose près, à la province d'Artois, dont les impositions différaient, en quelques points de détail, du régime financier adopté dans le reste du royaume (1).

Sur ces entrefaites, le Parlement de Pau fut rétabli. Il ne serait pas plus utile de mentionner son rappel que celui des autres Parlements de province (complément nécessaire du retour de Messieurs de Paris) si Turgot n'avait été mêlé indirectement à cette affaire. « Ce rétablissement, disent les Mémoires secrets de Bachaumont, a été arrêté uniquement entre M. le garde des sceaux, M. de Malesherbes et M. le contrôleur général; les autres ministres ne s'en sont mêlés en rien, et le roi lui-même, s'en rapportant entièrement au zèle des ministres, n'a fait que signer l'édit, comme une suite du plan général adopté il y a un an (2). » Ainsi Turgot se résignait aux conséquences d'un fait accompli, espérant peut-être vaincre l'opposition parlementaire, à force de sagesse et de modération. Cependant << les démissionnaires (ceux que Maupeou avait forcés jadis de se retirer) se regardaient d'abord comme si heureux de rentrer avec les autres, qu'ils avaient offert à M. le contrôleur général de payer la finance des charges des autres (de ceux que Maupeou avait mis en place), parce qu'ils donnaient pour raison d'éluder le rétablissement de ces offices en charges, que plusieurs n'étaient pas en état de les payer. M. Turgot répondit que c'était une folie (3). » Son amour de l'économie n'allait pas jusqu'à permettre qu'on adressât des présents et, pour dire le mot, qu'on fît l'aumône au Trésor royal.

La chambre de commerce de Lyon s'était émue d'une requête adressée au roi d'Espagne par les fabricants de Séville pour obtenir

(1) Déclaration du 7 nov. 1775.- Euv. de T. Ed. Daire, II, 239.

(2) Bach., Mém. secr., VIII, 278; 9 nov. 1775. (3) Id., 282; 11 nov.

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