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Alors était intervenu l'arrêt du 11 août 1771 rendu par l'abbé Terray, qui avait déclaré fatals les délais expirés, et nuls les titres de rentes qui n'avaient pas été représentés avant le 1er juillet précédent (!). Il ne craignait pas, contrairement à tout usage et à toute justice, de donner à la loi un effet rétroactif. Cependant, il accordait un délai de quelques mois (jusqu'au 1er janvier 1772) pour la représentation au bureau de liquidation des titres déposés par erreur au bureau d'Ormesson, ou pour la vérification de ceux qui, présentés au bureau de liquidation et déclarés incomplets, n'y avaient obtenu qu'une simple date. Il obligeait, en revanche, à représenter au bureau de finances tous les titres, quels qu'ils fussent, même les titres nouvels qui avaient été obtenus au bureau de liquidation, et ce, avant le 1er juillet 1772, sans quoi ces titres seraient déclarés périmés.

Cette obscurité calculée des règlements financiers, ces formalités multipliées et compliquées à dessein, eurent le résultat qu'on en attendait. Un grand nombre de créanciers légitimes, faute d'une démarche en temps opportun, furent dépouillés de leurs titres de rentes, et l'État se trouva déchargé d'autant.

Turgot ne pouvait accepter la responsabilité ni la suite d'une banqueroute partielle, si habilement déguisée qu'elle fût. Par une déclaration du 30 juillet, il réunit la caisse d'amortissement à celle des arrérages, réalisant ainsi une économie notable de frais de régie qui lui permettait de réparer bien des iniquités sans grever le Trésor. Il déclara en même temps que les propriétaires de rentes qui n'avaient pas rempli toutes les formalités prescrites par l'édit de décembre 1764 et même ceux qui les avaient négligées entièrement étaient relevés de la perte de leurs capitaux, et il leur accorda un nouveau délai pour représenter leurs titres. Par la même déclaration, il décida le remboursement de 1,800,000 fr. de rentes dont le revenu était de 12 fr. et au-dessous. Il pensait que ces rentes chargeaient la comptabilité et ne valaient pas les frais nécessaires pour en toucher les arrérages.

C'était prouver à tous deux choses que le contrôleur général était honnête homme, et que le Trésor était assez riche pour se permettre des dépenses utiles, puisqu'il remboursait des titres. Ces deux mesures contribuèrent à rétablir entièrement le crédit de l'État. Les actions de la Compagnie des Indes qui, le 1er septembre, étaient à 1,757 fr. se négocièrent à 2,007 fr. Les rescriptions qui perdaient 19 0/0 se négocièrent à moins de 5. Les billets des Fermes revinrent au pair. Enfin le taux de l'intérêt s'abaissa à 4 0/0, ce qui facilita une foule de remboursements et d'emprunts, notamment de la part du clergé, des états de Bourgogne et de Languedoc.

De tels résultats prouvent que Turgot ne se trompait pas, lorsqu'il pensait qu'en finances comme en toutes choses la plus scrupuleuse probité est la meilleure des habiletés.

CHAPITRE XI

Les turgotines, les canaux, la mesure du pendule.

(D'août à octobre 1775.)

Chacun sait que nos pères voyageaient lentement; mais on ne se fait pas toujours une idée exacte de l'insuffisance des moyens de transport et de la durée désespérante des moindres voyages, non seulement au XVII, mais jusqu'à la fin du XVIe siècle. Turgot, qui était un grand travailleur, connaissait le prix du temps: on lui doit d'avoir cherché de son mieux à économiser le temps de ses contemporains.

Voici d'abord, d'après l'Almanach royal, quelle était en 1775 l'organisation des voitures publiques (1) :

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La berline qui partait de la rue de la Verrerie (hôtel Pomponne) chaque jeudi, à cinq heures du matin, n'arrivait à Strasbourg que le dixième jour (2). — La diligence (3) de Lille partait de la rue SaintDenis tous les deux jours; elle en mettait deux ou trois, suivant la saison, pour arriver à destination. Les carrosses pour Rouen partaient les lundi, mercredi et vendredi, à quatre heures du matin, de l'hôtel Saint-François, rue Pavée, près des Grands-Augustins. Ils arrivaient les mardi, jeudi et samedi, à midi. Les places étaient de 15 livres. Il fallait quatre jours pour aller jusqu'à Dieppe. Il y avait pour Chartres deux berlines par semaine, qui partaient à minuit ou à trois heures du matin et n'arrivaient qu'à la nuit. Les places étaient de 15 livres, comme pour Rouen. - Le bureau des voitures de Rennes était aussi rue Pavée. Le carrosse partait le lundi, à cinq heures du matin, et arrivait le lundi suivant. Le prix des places était de 40 livres. Le carrosse d'Angers avait son bureau rue d'Enfer, porte Saint-Michel. Il partait de Paris le vendredi à six heures du matin,

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(1) L'établissement des voitures publiques est attribué à l'Université. La poste fut établie par Louis XI. Les voitures furent affermées Sous Charles IX. Des messagers royaux furent institués en novembre 1596, et l'on y réunit ceux de l'Université en 1719. (Recueil d'anc. 1. fr., XXIII, 216.)

(2) «La berline avait deux brancards à son train, au-dessus desquels la caisse était suspendue de manière à ce que les portières, qui étaient renfermées dans la hauteur de la voiture, pussent ouvrir librement au-dessus

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des brancards. La berline était à quatre places, et lorsqu'elle ne contenait que deux personnes, on la nommait vis-à-vis.» (Ramée, Hist. des chars et carrosses, 145.)

(3) « On appelait diligence, berlingot ou carrosse coupé, le carrosse à un siége sur le derrière avec glacés sur le devant. Tout le monde connait nos coupés modernes auxquels ressemblaient ceux du XVIIIe siècle. (Ramée, Histoire des chars et carrosses, 147.) La diligence de Lille était suspendue « avec des

ressorts ».

et n'arrivait à Angers que le vendredi soir, après une semaine entière de voyage. Le carrosse d'Orléans partait tous les jours de la rue Contrescarpe, à cinq heures du matin en été, et à dix en hiver. Il restait en route, en été deux jours, en hiver deux jours et demi. Le prix des places était de 18 livres. Le carrosse de Bordeaux avait également son bureau rue Contrescarpe. Il partait le mercredi, à six heures du matin, et n'arrivait que le quatorzième jour. Le prix des places était de 66 livres et 5 sols de la livre pesant (pour les bagages). Le fourgon de messagerie ne mettait pourtant que onze jours; mais on payait 7 sols de la livre pesant « eu égard à la diligence de la route».

La diligence pour Lyon partait du quai des Célestins, à quatre heures précises du soir, deux fois par semaine. Elle contenait dix personnes. Elle allait, l'été en six jours, et l'hiver en cinq. Les places étaient de 100 livres, nourriture comprise; de 80, sans nourriture, et de 6 sols par livre pesant. De Chalon à Lyon on prenait le bateau.

Ces détails suffisent pour donner au lecteur une idée de tous les services de voitures existant en France en l'année 1775 (1) : nous n'avons mentionné que les plus importants et les mieux organisés.

Le récit d'un voyage à Arras permettra de même de se figurer ce que pouvaient être tous les autres : « En 1765, tous les mardis et vendredis, à cinq heures du matin, partait un carrosse pour Arras: on dînait à Louvres à onze heures du matin; on arrivait à Senlis à cinq heures du soir; à sept heures on arrivait pour coucher à Pont-Saint-Maxence. Le lendemain, on en repartait à cinq heures du matin; à onze heures on dînait à Gournay; à six heures du soir on arrivait à Roye pour coucher. On repartait à huit heures du matin; à onze heures on dînait à Omiécourt. On arrivait à Péronne à cinq heures du soir et on y couchait. On en repartait à neuf heures du matin; on dìnait à midi à Bapaume, et l'on arrivait enfin à Arras à sept heures du soir. C'étaient quatre jours pleins pour un trajet que la vapeur fait faire en huit heures trente-deux minutes (2). :

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Mais là n'est point la question, et il ne dépendait point de Turgot que la vapeur fût inventée de son temps. Il ne pouvait qu'améliorer le seul moyen de transport connu de ses contemporains: la voiture. Nous ne parlons pas des coches d'eau qui allaient moins vite encore que les autres véhicules. En 1775, comme au temps du roi Charles IX, l'État affermait le droit de circulation. Il y avait un bail des postes et messageries. Le service des carrosses et ceux de quelques autres messageries étaient également concédés par bail ou autrement, à des compagnies ou à des particuliers. On vient de voir comment fonctionnaient ces divers services. Des voitures insuffisantes et mal

(1) Il n'y avait en 1766 que 27 coches à 270 places en tout. Ce nombre n'était guèro plus considérable en 1775.

(2) Ramée, 153. - Il écrivait en 1845. Aujourd'hui, on ne met plus que trois heures trentecinq minutes pour aller de Paris à Arras.

construites, des journées de voyage de dix à onze lieues, des places chères, des départs trop peu nombreux, c'étaient là des inconvénients graves pour les simples voyageurs. Le commerce souffrait bien plus encore de la difficulté des communications; l'État bénéficiait très peu des baux signés avec les entrepreneurs. La ferme des messageries, la plus importante de toutes, ne fournissait qu'un revenu insignifiant et n'en percevait qu'un très médiocre elle-même, à cause de sa mauvaise organisation.

Turgot aurait voulu établir la liberté complète de circulation pour les voitures; il ne crut pas cette réforme immédiatement possible, n'osant pas compter sans doute sur l'initiative des particuliers, alors presque nulle en France. Il préféra remplacer des monopoles privés par un monopole de l'État, créer une administration des messageries et en assurer lui-même l'organisation. Il voyait à ce parti plusieurs avantages. Les messageries une fois bien montées, pourraient épargner en partie les dépenses du courrier de la malle, en transportant les lettres en un jour et sans frais jusqu'à 30 lieues au moins à la ronde de Paris. Les messageries pourraient encore servir à la circulation sans frais de l'argent des impositions; car il se proposait de supprimer et de rembourser tous les offices des trésoriers et receveurs généraux de France, d'épargner ainsi leurs taxations et d'organiser pour l'État une comptabilité analogue à celle des banquiers, n'amenant à Paris que les sommes inutiles dans les provinces. Enfin la réforme des messageries devait rendre possible celle des postes; il voulait mettre partout les relais à quatre lieues de distance les uns des autres, et en donner l'inspection à des maîtres de poste pourvus d'un petit traitement (1).

Ces diverses raisons le décidèrent. Par arrêt du 7 août, il supprima les droits concédés à des particuliers pour droits de carrosses et de quelques messageries; il sépara du bail des postes les baux des messageries et diligences, qu'il cassa également. Il promit des indemnités aux possesseurs des droits supprimés, aux fermiers dont les baux étaient résiliés, et à l'adjudicataire du bail des postes dont le revenu était diminué. Il annonça la création sur toutes les grandes routes du royaume d'un service de voitures nouvelles ().

Le même jour, la direction de la nouvelle régie des messageries fut confiée à Denis Bergaut et à divers administrateurs se portant caution de celui-ci. Leur droit de présence ou leur traitement annuel était fixé à 6,000 livres. Ils avaient de plus sur le produit net de l'administration un droit de remise fixé pour chacun à 3 deniers pour livre sur les premières 500,000 livres, à 6 sur les sommes de 500,000 livres à 1 million, à 9 sur les 500,000 livres excédant 1 million,

(1) Dup. Nem., Mém., II, 90.

(2) Euv. de T. Ed. Daire, II, 424.

à 1 sou pour livre sur tout ce qui devait excéder 1 million 500,000 livres (1).

Un troisième arrêt daté du même jour fixait le règlement des diligences et messageries du royaume. Il était dit dans le préambule « que S. M. avait formé le désir... de supprimer dès à présent le privilége exclusif qui leur était accordé »; que l'état des finances ne lui avait point permis de se passer d'une partie de ses revenus, mais que dès que le service serait entièrement et solidement établi, [Elle pourrait] sans diminuer les revenus qu'elle tire desdites diligences et messageries... se livrer aux mouvements de son affection paternelle pour ses peuples, et les soustraire audit privilége exclusif. » C'est le projet véritable de Turgot nettement exprimé à l'avance.

Le dispositif de l'arrêt abaissait le prix des places, assurait la solde des maîtres de poste, défendait la visite des voitures aux barrières de peur de retard, et ordonnait qu'elle aurait lieu aux bureaux mêmes des diligences; exemptait les messageries de tous les droits de péages, passages, traites foraines et autres; ordonnait aux maréchaussées d'escorter les voitures dans les forêts, et à toute réquisition, etc. (2). Un quatrième arrêt réunit également au domaine le privilége pour les voitures de la cour et de Saint-Germain (3).

Un cinquième, enfin, nomma les liquidateurs de l'ancienne Ferme des messageries (*).

Une ordonnance du 12 août fixa l'établissement des nouvelles diligences. Voici les principaux passages de cette ordonnance: << S. M. a ordonné qu'à compter du jour qui serait fixé pour chacune des grandes routes du royaume, il serait établi une ou plusieurs diligences, lesquelles partiront chargées ou non chargées, et seront conduites par des chevaux de poste en nombre suffisant; et attendu que le nouveau service qu'elle juge à propos de confier aux maîtres de poste leur assure un produit considérable et constant, S. M. a ordonné et ordonne ce qui suit: 1o A compter du jour qui sera fixé pour chacune des grandes routes du royaume, il y sera établi, au lieu des voitures publiques actuellement en usage, des diligences légères, commodes, bien suspendues, à huit places, pour lesquelles il sera fourni par chaque maître de poste, qu'elles soient remplies de voyageurs ou qu'elles ne le soient pas, et lorsque la charge n'excèdera pas 18 quintaux, poids de marc, six chevaux; lorsqu'elle montera à 21 quintaux, 7 chevaux; et à 24 quintaux, 8 chevaux; lesquels seront payés aux maîtres de poste à raison de 20 sous par poste... - 2o Chaque diligence sera accompagnée d'un commis conducteur, lequel sera porteur d'un billet d'heure, qui lui sera

(1) Eur. de T. Ed. Daire, II, 426.

(2) Id., 427.

(3) Anc. 1. fr., XXIII, 216.
(*) Id.

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