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des politiques, qu'un plaisant se moque ainsi d'eux dans les vers suivants :

Est-ce Maupeou tant abhorré

Qui nous rend le blé cher en France?
Ou bien est-ce l'abbé Terray?
Est-ce le Clergé, la Finance?
Des Jésuites est-ce vengeance?
Ou de l'Anglais un tour fallot?
Non, ce n'est point là le fin mot...
Mais voulez-vous qu'en confidence
Je vous le dise?... c'est Turgot (1). »

On ne pouvait être plus injuste envers le grand ministre. Il reçut en revanche de précieux témoignages de sympathie et d'approbation. <«< Au premier bruit des séditions qui prenaient les grains pour prétexte, » dit Dupont de Nemours (*), le roi de Suède (c'était le célèbre Gustave III) envoya (à Rouen) en présent au roi de France deux vaisseaux chargés de grain (10,000 sacs de seigle). Il lui écrivit de sa main, ainsi qu'à Turgot, rendant justice à l'administration du contrôleur général, et l'encourageant à persévérer (3).

Frédéric II, de son côté, écrivait à d'Alembert : « J'ai admiré la conduite de votre jeune roi que des séditions excitées par les cabales de mauvais sujets n'ont point ébranlé, et qui n'a pas cédé aux desseins pernicieux de quelques frondeurs. Ce trait de fermeté assurera à l'avenir son administration. Des gens avides de changement l'ont tâté; il leur a résisté, il a soutenu ses ministres; à présent ou ne hasardera plus de telles entreprises (). » C'est à Turgot que revenaient de droit la majeure partie de ces louanges.

Un Anglais, J. H. de Magellan, auteur d'une description des Octants et des Sextants, fit hommage de son livre à Turgot. « Quel bonheur, disait-il dans son épître dédicatoire, ne doit pas se promettre la France sous un jeune roi qui a déjà montré le talent le plus nécessaire à un prince, celui de bien choisir ses ministres, sous un roi sourd à la brigue et qui croit à la renommée!» Et il ajoutait, en s'adressant à Turgot: « La France n'est point ma patrie; je n'y ai

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scélérats à venir piller quelques marchés. Les
paysans, entraines par eux et par la fausse
nouvelle de la diminution du pain, qu'on avait
eu soin de repandre, s'y sout joints et ont eu
l'insolence de venir piller les marches de
Versailles et de Paris: ce qui m'a forcé de
faire approcher des troupes qui ont retabli le
bon ordre sans peine. Après le déplaisir
extrême que j'avais eu de ce que le peuple
avait fait, j'ai eu la consolation de voir que,
d'abord qu'ils ont été detrompés, ils ont rap-
porte ce qu'ils avaient pris avec une veritable
peine de ce qu'ils avaient fait. (Geffroy,
Gustare III et la Cour de France, II, 375.)
(4) Fred. à d'Alembert, 19 juin 1775.

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point fixé ma demeure; ainsi je ne serai pas soupçonné de flatterie par ceux même qui pourraient ne pas vous connaître encore (1). »

En France, tous les vers n'étaient pas des satires ou des chansons. Un M. Quesnay de Saint-Germain, imprimait des vers pour mettre au bas du portrait de M. Turgot.

Ces traits que révère la France,

Dans l'esprit des méchants sont gravés par l'effroi,
Dans nos cœurs, par l'espoir et la reconnaissance,
Par la vertu, dans l'âme de son roi (2).

Voltaire ne manqua pas de condamner la guerre des farines et de se déclarer pour Turgot contre tous ses détracteurs. « Il est digne des Welches, écrivait-il à de Vaines, de s'opposer aux grands desseins de M. Turgot; et vous, Monsieur, qui êtes un vrai Français, vous êtes aussi indigné que moi de la sottise du peuple. Les Parisiens ressemblent aux Dijonnais qui, en criant qu'ils manquaient de pains, ont jeté deux cents setiers de blé dans la rivière (3). »

Mais Voltaire ne se borna point à des protestations intimes et à des lettres. Il voulut que son hommage fût public. Il écrivit l'Ode sur le passé et le présent. Dans les premières strophes, le poète déplore le mal qui règne dans le monde. Un Génie vient le consoler et dit :

Contemple la brillante aurore

Qui t'annonce enfin les beaux jours:
Un nouveau monde est près d'éclore;
Até disparaît pour toujours.
Vois l'auguste Philosophie,
Chez toi si longtemps poursuivie,
Dicter ses triomphantes lois.

La Vérité vient avec elle
Ouvrir la carrière immortelle
Où devaient marcher tous les Rois.

Les cris affreux du fanatique
N'épouvantent plus la raison ;
L'insidieuse Politique

N'a plus ni masque ni poison.
La douce, l'équitable Astrée
S'assied, de grâces entourée,
Entre le trône et les autels,
Et sa fille la Bienfaisance
Vient, de sa corne d'abondance,
Enrichir les faibles mortels.

Je lui dis: Ang tutélaire,

Quels dieux répandent ces bienfaits ?

C'est un seul homme (). Et le vulgaire
Méconnaît les biens qu'il a faits.

(1) Merc. de F., juillet 1775.

(2) Merc. de Fr., juin 1775.

(3) Volt. à de Vaines, 8 mai 1775.
(4) Turgot.

Le Peuple en son erreur grossière,

Ferme les yeux à la lumière,

Il n'en peut supporter l'éclat.

Ne recherchons point ses suffrages:
Quand il souffre, il s'en prend aux sages;
Est-il heureux, il est ingrat.

On prétend que l'humaine race,
Sortant des mains du Créateur,
Osa, dans son absurde audace,
S'élever contre son auteur.
Sa clameur fut si téméraire,

Qu'à la fin Dieu, dans sa colère,

Se repentit de ses bienfaits.

O vous que l'on voit de Dieu même

Imiter la bonté suprême,

Ne vous en repentez jamais!

Ces jolis vers vengeaient Turgot de bien des mécomptes. L'accueil fait par Voltaire à son ami Morellet ne dut pas lui être indifférent non plus. L'excellent homme fut on ne peut mieux reçu à Ferney (1). Son séjour fut d'ailleurs mis à profit par son hôte qui plaida auprès de lui avec chaleur la cause de sa colonie d'artisans et l'intéressa à son projet d'affranchir le pays de Gex « du joug de la Ferme » (*). Plusieurs lettres furent échangées à ce sujet entre Morellet, Turgot, Trudaine et Voltaire. Nous reviendrons sur cette affaire : elle finit, on le verra, par obtenir le succès qu'en attendait l'auteur de l'Ode sur le passé et le présent (3).

Au plus fort de la guerre des farines, Turgot reçut l'appui, public aussi, d'une puissance qui dans l'opinion n'égalait pas celle de Voltaire, mais qui avait dans le gouvernement la plus haute valeur : il vit ses projets de réformes solennellement approuvés et secondés par la cour des aides. Le 6 mai, Malesherbes, premier président de ce tribunal, présentait au roi d'admirables remontrances sur l'administration financière et l'organisation des impôts. Secrètement d'accord avec son ami, il venait dénoncer des abus que celui-ci ne cessait de combattre et qu'il avait entrepris de réformer. Il montrait l'excès des gabelles poussant le peuple à la contrebande, la tyrannie insolente de la Ferme pressurant les provinces, le gouvernement tenu sans cesse en échec par la routine et l'inertie des bureaux, les communes impuissantes abandonnées à l'arbitraire des intendants. Il demandait la simplification des taxes, la publication des tarifs des Fermes, l'élection par le peuple de délégués chargés de contrôler la répartition

(4) Morellet fut moins heureux en Alsace où il comptait prendre possession du prieuré de Saint-Valentin de Rouffach. Il ne reussit pas à faire lever l'opposition du college de Colmar. Les lettres de recommandation que lui avait données Turgot pour les gens du Conseil souverain de Colmar » ne produisirent pas

l'effet qu'il en attendait. C'est probablement
que Turgot. tout contrôleur genéral qu'il était,
avait plus d'influence sur les philosophies que
sur les magistrats des pariements. (Morellet,
Mém., I, 233.)

(2) Morell., Mém., I, 234.
(3) Voir liv. II, ch. xv.

de l'impôt, la réforme de la capitation, du vingtième, et en général de l'assiette de toutes les impositions. Turgot obtint la nomination d'une commission de magistrats et d'administrateurs qui serait chargée d'examiner l'éloquente philippique du premier président de la Cour des Aides (1).

Le public ne se méprit pas sur l'entente secrète de Turgot avec son ami. Les Mémoires secrets de Bachaumont disaient : « On parle beaucoup de remontrances de la cour des aides, concertées entre M. Turgot et M. de Malesherbes, et dont l'objet est de donner ouverture aux projets du premier, relativement à la finance et à son amélioration, mais surtout à la réforme des abus (2). » Malesherbes, d'ailleurs, avait pris soin de déclarer hautement que les critiques. contenues dans les remontrances étaient dirigées contre les institutions et non contre les personnes. « Nous rendons justice, Sire, disait-il, avec tout le public, aux magistrats qui occupent actuellement ces places (le contrôleur général et les intendants des finances); mais les vertus personnelles d'un homme mortel ne doivent point nous rassurer sur les effets d'une administration permanente... Il faut profiter (pour réformer les abus) du moment heureux où la justice de V. M. a présidé à tous ses choix (3). »

Le 21 mai, les remontrances furent remises au roi à Versailles par Malesherbes. Malheureusement l'esprit timoré des ministres et en particulier du vieux Maurepas s'effraya de l'énergique peinture des abus qu'elles contenaient; et, la sourde hostilité de tous ceux qui avaient intérêt à contrecarrer Turgot s'en mêlant, on obtint que le roi ne les accueillerait qu'avec réserve. Le 30 mai, Malesherbes étant venu s'enquérir des volontés de Louis XVI, celui-ci lui dit : « ...Vous n'attendez pas que je vous fasse une réponse détaillée sur ch: que article. Je m'occuperai successivement de faire les réformes nécessaires sur tous les objets qui en sont susceptibles; mais ce ne sera pas l'ouvrage d'un moment, ce sera le travail de tout mon règne. » Le garde des sceaux (Miroménil) ajouta que ces remontrances ne devaient pas devenir publiques, qu'elles irriteraient les contribuables et rendraient plus difficile la levée des impôts. On ne se borna pas là : par excès de précaution, ou peut-être dans le désir secret d'irriter la cour des aides, et de la forcer à se compromettre, Maurepas fit enlever de son registre la minute des remontrances. La cour protesta; le roi maintint son droit absolu. Bref, l'affaire s'envenima si bien que les remontrances restèrent lettre morte (*). C'est tout ce que voulait Maurepas. Toutefois cette politique se retourna contre ses auteurs; car les remontrances furent bientôt imprimées à l'étranger; elles péné

(1) Rec. de la C. des Aides, 485.

(2) Bach., Mém. secr., VIII, 53.

(3) Rec.de la C. des Aides, 633.

(4) Id., 694, 700.

trèrent en France; elles furent lues avec avidité; elles contribuèrent à irriter la nation contre la vieille monarchie qui ne voulait ni se réformer, ni entendre la voix de ceux qui lui conseillaient des réformes.

Pendant ce temps, le Parlement, montrant un zèle monarchique inattendu, faisait brûler deux brochures contre le pouvoir absolu, où les principes du Contrat social étaient mêlés à ceux des Remontrances. Dans les considérants de ses arrêts, il prétendait qu'il n'appartient pas aux écrivains de traiter des matières administratives et politiques ('). Le moment était singulièrement choisi pour une telle interdiction. On était au plus fort de la mêlée engagée entre les partisans et les adversaires de la liberté du commerce des grains. La guerre des farines avait redoublé l'animosité des deux partis. Il n'était bruit partout que de Necker et de son fameux livre sur la Législation et le Commerce des grains. Comme Turgot s'est trouvé mêlé à ce débat, on nous permettra d'y insister.

Dans l'histoire de la fin du XVIIe siècle, Necker est resté, après Turgot, le seul homme politique qui appelle l'attention, mérite la sympathie et partage avec lui la gloire. On connaît le riche banquier génevois. << Necker, dit le baron de Gleichen, était grand de taille, de caractère sérieux, froid, roide et taciturne, ce qui le faisait paraître orgueilleux, dur et rébarbatif; son esprit plus abstrait que brillant, sa politesse plus mesurée que prévenante, et son cœur moins sensible que juste, le rendaient peu aimable, mais infiniment estimable. Il affectionnait plus le genre humain que ses amis, pour lesquels il ne faisait presque rien; il aimait mieux voir en grand qu'en petit, et son ambition vertueuse s'était livrée à l'espérance de devenir le bienfaiteur d'une grande nation (2). » Marmontel, grand ami de Necker, parle de même de son « silence », de sa « gravité ». Il cite ce mot très net de sa fille, Mme de Stael, qu'il « savait tenir son monde à distance ». << Si telle avait été l'intention de son père, ajoute t-il aussitôt, en le disant, elle aurait trahi bien légèrement le secret d'un orgueil au moins ridicule. Mais la vérité simple était qu'un homme accoutumé dès sa jeunesse aux opérations de banque, et enfoncé dans les calculs des spéculations commerciales, connaissant peu le monde, fréquentant peu les hommes, très peu même les livres, superficiellement et vaguement instruit de ce qui n'était pas la science de son état, devait, par discrétion, par prudence, par amourpropre, se tenir réservé pour ne pas donner sa mesure; aussi parlait-il librement et abondamment de ce qu'il savait, mais sobrement de tout le reste. Il était adroit et sage, mais non pas arrogant (3) ».

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(1) Droz, Hist. de Louis XVI, I, 171; 30 juin. (2) B. de Gleich, Souv., 52.

(3) Marm., Mém., X, 116. · Il essaie en vain d'atténuer le mot de Mme de Stael.

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