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CHAPITRE II

Épizootie du Midi : deuxième partie (1).

(De janvier à mai 1775)

L'épizootie continuait ses ravages: pendant les mois de janvier et de février surtout, Turgot déploya une activité inouïe pour la combattre. Il était malade, mais, suivant l'expression de Dupont de Nemours, il mettait à profit, pour le service de l'État, « jusqu'à l'insomnie qui le dévorait » (2).

Il était au lit lorsqu'il apprit que l'épizootie prenait un caractère de plus en plus alarmant. On le vit recueillir ses forces et, de son lit, dicter des instructions sur la manière d'arrêter la contagion. Chaque feuille prête était aussitôt envoyée à l'imprimerie établie à Versailles et les épreuves étaient immédiatement corrigées. Il dicta encore les lettres qui devaient accompagner ces instructions et la teneur d'un arrêt accordant des gratifications à ceux qui amèneraient des chevaux ou des mulets propres à la charrue et les vendraient sur les marchés des provinces infectées (3).

De toutes ces pièces officielles dictées par Turgot le 8 janvier et mentionnées par Dupont de Nemours, il ne nous reste que le texte de l'arrêt relatif à l'importation des bêtes de somme. Les gratifications étaient de 24 et de 30 livres par tête de mulet ou de cheval; elles devaient être progressivement diminuées, au fur et à mesure de la diminution de la maladie (). Dans les instructions qui nous manquent, il est vraisemblable que Turgot, se rendant enfin à l'avis réitéré de Vicq d'Azyr, ordonnait de tuer sans restriction tous les animaux atteints par le fléau.

Un médecin de Montpellier, Paulet, avait composé un ouvrage sur les maladies épizootiques (5) dont Montigny, de l'Académie des Sciences, avait rendu compte à Turgot. Le ministre alloua 1,800 fr. à Paulet pour subvenir aux frais d'impression de son mémoire. Il voulut également payer le prix que la Société d'Agriculture de Paris avait promis à l'auteur du meilleur mémoire sur cette question: il

(1) Voir précédemment liv. I, chap. x.
(2) Dup. Nem., Mém., II, 102.

(3) Dup. Nem., Mém., II, 38-39.
(4) Euv. de T. Ed. Daire, II, 478.

(5) Recherches historiques et physiques sur les maladies épizootiques, par M. Paulet, docteur inédecin, publiées par ordre du roi (Fréron, Ann. litt., XI, 252; 20 avril 1775).

accorda à ce titre 1,200 fr. de plus à Paulet, en se réservant seulement le droit de distribuer gratuitement son ouvrage dans les provinces (1). L'intendant de Roussillon Clugny lui ayant appris que la maladie avait pénétré dans son département, il lui exprima tout le chagrin que lui causait cette nouvelle; et comme le conseil supérieur (2) de Perpignan avait pris sur lui d'interdire la sortie des moutons de la province, il l'en blâma énergiquement : « Les cours n'ont pas le droit de faire de pareilles défenses, qui ne peuvent être faites que par le législateur. » Cette défense était d'ailleurs absurde, car il était prouvé que l'épizootie n'attaquait que le gros bétail, et que les moutons en étaient exempts (").

Ainsi toute la région des Pyrénées était maintenant envahie. Turgot ordonna cette fois positivement d'abattre tous les animaux reconnus malades; il prescrivit de taillader les cuirs de ces animaux de façon qu'il fût impossible d'en faire usage; il en défendit expressément le commerce, et étendit cette prohibition à tous les objets ayant servi aux bêtes malades et qui pourraient propager la contagion. Il fixa à 500 fr. l'amende dont seraient passibles les contrevenants ('). Cet arrêt fut bientôt complété par la mise à exécution d'un plan d'ensemble que Turgot méditait depuis un mois pour la destruction complète de l'épizootie. Il se trouve détaillé dans un mémoire qui parut le 4 février et fut adressé à tous les gouverneurs, intendants et autres administrateurs de la région envahie. On croirait lire un plan de campagne et l'exposé d'opérations militaires projetées contre une armée ennemie. Le ton est impératif. On devine que celui qui parle ainsi, saurait au besoin tenir une épée et compte des capitaines parmi ses ancêtres.

L'introduction est une sorte d'exposé des motifs et en même temps de manifeste. La maladie est incurable. Il n'y a qu'un moyen de la détruire et de prévenir l'infection du royaume tout entier, c'est de sacrifier impitoyablement tout ce qui est malade. M. Vicq d'Azyr l'a déclaré. Partout où cette mesure a été exécutée, le fléau a disparu. C'est ainsi que le Languedoc a été en grande partie préservé, grâce à

(1) Arch. nat., F. 12, 151; 10 janv. 1775.

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(2) Nom donné au Parlement de la province. (3) Id., 28 janv. 1775. Voici un passage du mémoire de Paulet : Regardez comme un trompeur tout homme qui vous dira que la maladie vient de l'air Regardez comine un autre trompeur et comme votre plus cruel ennemi quiconque vous dira que la maladie n'est point contigieuse. N'oubliez pas qu'on peut infecter une étable, la litière, etc., avec des souliers, après avoir foulé le sang ou les autres humeurs sorties du corps d'une bête malade: qu'un bœuf, avec sa bave, infecte un pâturage; qu'un prétendu guérisseur qui vient de touiller in boeuf malade, s'il ne prend de précautions, porte la contagion ailleurs; que tous ces faits out été observés mille et mille fois, et prou

vés..... Regardez encore comme le plus grand des imposteurs celui qui vous dira que c'est un sort jete sur vos animaux. Soyez persuade qu'on ne peut pas avoir une idee, 1 plus grossière, ni plus fausse, ni plus absurde, ni plus capable de faire périr votre hétail. Voulezvous purifier à coup sûr vos étables, et par un moyen bien simple et peu coûteux ? Ne cessez d'y répandre de l'eau en abondance: imitez la nature, qui lave ainsi les pâturages infectés par une pluie abondante, et puritie tout. Faites pleuvoir de même dans vos etables; lavez Vos animaux; lavez tout, et ayez plus de confiance en ce moyen qu'à tous les parfums, qu'à toutes les drogues qui ne servent qu'à empoisonner vos étables..

(4) Euv. de T. Ed. Daire, II, 480; 30 janv. 1775.

la vigilance des états, au zèle du gouverneur le comte de Périgord, et de l'intendant M. de Saint-Priest. Mais ailleurs « les paysans, trompés par les fausses espérances que leur ont données les charlatans, s'obstinent à garder les animaux malades jusqu'à ce qu'ils meurent. Rien n'a pu vaincre notamment l'obstination des paysans du Condomois. » Si on laisse subsister de pareils foyers du mal, «< la contagion deviendra éternelle. » Cette situation périlleuse exige des remèdes énergiques et immédiats. On a déjà établi un cordon de troupes pour circonscrire les provinces atteintes; ce cordon sanitaire sera maintenu; mais il ne suffit pas. On établira d'autres cordons intérieurs chargés d'envelopper successivement chacun des cantons envahis, en s'avançant pas à pas vers le foyer de la contagion. Ces cantons seront visités un à un par des vétérinaires accompagnés de détachements de soldats. Dans chaque paroisse, dans chaque ferme, dans chaque étable, de rigoureuses perquisitions auront lieu, et toutes les mesures prescrites par l'édit recevront leur exécution. Les bêtes malades seront abattues, après indemnité d'un tiers de la valeur payée aux propriétaires; les cuirs seront tailladés et enterrés; les locaux infectés seront purifiés. A mesure que l'un des cantons aura été ainsi purgé de tout mal, le cordon intérieur s'avancera vers le centre de la province, et le cordon extérieur se resserrant pourra s'en rapprocher à son tour.

<< Il n'y a d'armes contre cette contagion que de tuer et de séparer. Il est indispensable de tuer tout ce qui est infecté, pour sauver l'État entier... Se relâcher sur cette précaution serait une condescendance funeste; ce ne serait pas céder à une juste pitié; ce serait se rendre complice de l'aveuglement d'une populace aussi ennemie d'elle-même que du bien public... Le cordon extérieur peut être composé de cavalerie: ce genre de troupes est même très avantageux pour courir après les conducteurs de bestiaux ou les marchands de cuirs qui auraient trompé la vigilance des gardes... L'infanterie est plus convenable pour les cordons intérieurs et pour les détachements chargés de désinfecter les paroisses. >>

Le roi a donné les ordres pour faire marcher en Guienne toutes les troupes nécessaires. Il compte sur l'activité et le zèle des gouverneurs des provinces ou de leurs lieutenants, du comte de Périgord en Languedoc, du comte de Fumel en Guienne, du comte d'Amou en Béarn. Il les prie de concerter entre eux leur marche et leurs opérations. Il accorde un supplément de paie de deux sous aux sous-officiers et aux soldats. Il se réserve de récompenser les officiers. Il compte que dans deux mois la contagion aura complètement disparu (1).

Ce belliqueux ordre du jour d'un ministre des finances put faire

(1) Eur. de T. Ed. Daire, II, 481.

sourire les gentilshommes chargés de réunir des régiments pour courir sus à des bêtes à cornes malades. Il n'en est pas moins vrai que la force armée pouvait seule assurer l'exécution efficace de l'édit, que les mesures ordonnées pouvaient seules détruire le mal, et que le mal était terrible et menaçant.

Pendant le mois de février, l'activité épistolaire de Turgot redoubla. Le 3, il remercie Raulin, médecin ordinaire du roi, des observations qu'il lui a envoyées sur l'épizootie. Il croit comme lui qu'il n'y a qu'un remède tout tuer (').

Le 7, il écrit à M. d'Agay de Mutigney, intendant d'Amiens il a appris par l'intendant de Rouen, M. de Crosne, qu'une maladie épizootique sévit aux environs de la ville d'Eu; il appelle l'attention de M. d'Agay sur cet événement, et lui ordonne de prendre aussitôt des mesures sévères, pour empêcher la contagion de pénétrer en Picardie (*).

Le 13, il envoie et il recommande aux intendants d'Auch, Bordeaux, Montauban, Perpignan, Poitiers, La Rochelle et du Languedoc (tous les pays infectés ou menacés), la brochure de l'académicien Montigny sur l'épizootie (3).

Pendant ce temps, le mal pénétrait en Périgord à Grignols, comme le constate une ordonnance de l'intendant Esmangard, du 28 février (). Turgot pouvait même craindre qu'il ne prît aussi naissance et ne se développât sur plusieurs points à la fois, très éloignés du principal foyer d'infection. Aussi, le 18, s'empressa-t-il d'écrire à tous les intendants qui lui avaient signalé dans leurs généralités des symptômes d'épizootie, à ceux de Paris, Rouen, Amiens, Lille, Soissons. Il les prévient que ces symptômes, étudiés par Vicq d'Azyr, paraissent à ce médecin exactement semblables à ceux de l'épizootie de Gascogne. Il ordonne la plus grande attention, envoie des brochures et des instructions. Du reste, ces épizooties locales furent rapidement étouffées, comme le prouvent des pièces ultérieures (). Cet heureux résultat fut certainement dû en grande partie à la promptitude et à l'action énergique du contrôleur général. Le 20, il s'adressa aux fermiers généraux. Comme il n'y avait pas assez de troupes pour établir partout des cordons sanitaires suffisants, il avait songé à utiliser les brigades des employés des fermes, au moins dans la généralité de Bayonne, qui était la plus éprouvée. Ces brigades furent mises à la disposition des commandants militaires. de la province. Un essai de ce genre avait déjà réussi sur les bords. de la Bidassoa (").

Le même jour, Bouvard de Fourqueux, qui venait d'être nommé

(1) Arch. nat., F. 12, 151.

(2) Id.

(3) Id.

(Arch. dép. Gir., C. 64.
(5) Arch. nat., F. 12, 151.
(6) Id.

intendant des finances adjoint (par adjonction à son beau-père Trudaine), vint remercier le roi et prendre congé de lui. Il avait été désigné par Turgot pour accompagner dans sa province, sur le théâtre de l'épizootie, le comte de Noailles, lieutenant-général de la basse Guienne (). Nous n'avons malheureusement aucun des rapports que Fourqueux put adresser au ministre.

Le 22, Turgot écrivit au ministre Vergennes. Les républiques de Berne et de Genève, redoutant l'introduction du fléau dans leurs territoires, avaient interdit l'importation des cuirs verts français. Cette prohibition portait une grave atteinte à notre commerce. Turgot pria Vergennes d'adresser à ce sujet des représentations aux deux républiques. Toutes les précautions étant prises pour l'ensevelissement et la destruction des cuirs infectés, il ne pensait pas que le commerce des cuirs verts pût offrir le moindre danger (*). Cette déclaration était sincère assurément; il faut avouer toutefois que la prudence helvétique avait bien sa raison d'être.

Le premier président d'Aligre avait informé Turgot qu'un médecin hollandais établi à Saintes venait de découvrir un remède contre l'épizootie. Turgot, après examen, déclara que le fait ne lui paraissait pas suffisamment constaté, et il répéta au magistrat ce qu'il ne cessait de dire et d'écrire à tout le monde depuis le mois de janvier: le seul moyen d'en finir est de sacrifier tous les animaux malades (3).

L'intendant de La Rochelle, Montyon, lui annonça de son côté qu'un médecin, Barjolin, croyait avoir trouvé un remède efficace. « Je le connais particulièrement, » répondit Turgot, en parlant du médecin, et il autorisa l'intendant à expérimenter le remède; mais il conclut en recommandant l'exécution ponctuelle des ordonnances et le massacre de toutes les bêtes infectées (*).

L'emploi de ce système énergique ne tarda pas à produire de bons résultats. La maladie disparaissait rapidement. Le 14 mars, Turgot écrivit à Vergennes de nouveau, lui proposant cette fois de prendre des précautions pour empêcher que l'épizootie, presque éteinte en France, ne revînt par l'étranger. Il craignait surtout qu'elle ne rentrât chez nous par l'Espagne, par la province de Guipuzcoa (*).

Cependant, en avril, tout n'était pas encore fini. Le 4, Turgot écrivit à l'intendant d'Auch, Journet (), pour se plaindre que les indemnités accordées aux paysans ne leur fussent pas exactement payées. Dans le bas Armagnac notamment, ils n'avaient pas reçu << un sol ». Cette négligence, disait-il, était d'un effet déplorable dans

(1) Merc. de Fr., mars 1775.

(2) Arch. nat., F. 12, 151; 22 lév. 1775.

(3) Id.; 6 mars 1775.

(4) Id.; 1) mars 1775.

(5) Id.;14 mars 1775.

(6) L'edit qui partagea l'intendance de

Bayonne entre celle d'Auch et celle de Bordeaux est du mois de janvier 1775. La plus grande partie du département de Bayonne fut reunie à celui d'Auch, dont Jornet etait intendant. (Anc. 1. fr., XXIII, 138. — Dup. Nom., Mém., VII, 168.)

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