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quelques années après, il travaillait à la corvée, songeait décidément à la supprimer, se proposait aussi d'abolir les droits sur les grains et farines, à la halle, sur les ports, et aux entrées de Paris (1). La goutte ne le retint complètement inactif que trois ou quatre jours (2).

Le 7, il contresigna une décision royale relative à la chambre des comptes. On avait changé la forme selon laquelle cette compagnie devait jouir de son franc-salé, et elle désirait vivement le retour à l'ancien usage. Turgot trouva sa réclamation juste, et il y fit droit ().

Le 8, le roi approuva une déclaration rédigée par Turgot, qui supprimait pendant la durée du carème les droits sur le poisson salé et diminuait de moitié les droits sur le poisson frais. Le ministre avait reconnu, disait-il, que ces droits « étaient si considérables qu'ils nuisaient à la pêche maritime, et qu'ils étaient particulièrement onéreux aux plus pauvres habitants de la ville. » Il se réservait d'étendre cette diminution de taxes à la totalité de l'année, si l'état des finances et les circonstances le permettaient ('). Du reste, cette opération ne coûta au roi presque aucun sacrifice réel de ses revenus. La consommation s'accrut au point que la recette de la moitié des droits sur la marée fraîche, qui fut conservée, se trouva peu inférieure à celle qu'avait précédemment procurée la totalité des anciens droits. « C'est une belle expérience de finances, dit Dupont de Nemours. Elle a été renouvelée bien des fois depuis, et toujours avec succès (5). »

On peut considérer comme le complément de l'arrêt du 8 celui du 30 janvier qui ordonna que les morues sèches de pêche française seraient exemptes de tout droit, tant à l'entrée dans les ports du royaume que dans la circulation de province à province. Parmi les considérants du préambule, on remarque de nouveau le souci « de multiplier un genre de subsistances qui convient beaucoup à la classe la plus indigente du peuple (°). »

Laharpe, dans sa Correspondance littéraire, disait au grand-duc de Russie, à propos de ces divers édits de Turgot: « Quoique les édits sur l'administration soient des nouveautés d'un ordre supérieur aux nouveautés littéraires, Votre Altesse Impériale, appelée à conduire un jour un grand peuple, est trop amie de l'humanité pour qu'on n'ait pas quelque plaisir à l'entretenir du bien que notre gouvernement fait au peuple, et dont nous sommes redevables aux lumières de M. Turgot, qui seconde si dignement les vues bienfaisantes de

(1) Dup. Nem., Mém., II, 37. Dupont de Nemours prétend qu'il tomba malade juste au moment où il recevait les premières nouvelles de l'épizootie. C'est une erreur manifeste (V. ch. x du liv. I sur l'Epizootie).

(2) Le 6, il reçut les remerciments de la Société royale des Sciences de Montpellier,

dont il avait payé les dettes montant à la
somme de 8.399 fr. Cette Société faisait cons-
truire un observatoire. (Arch. nat., H. 904.)
(3) Dup. Nem., Mém., II, 31.
(4) Eur. de T. Ed. Daire, II, 402.
(5) Dup. Nem., Mém., II, 14.
(6) Eur. de T. Ed. Daire, II, 402.

notre jeune monarque. Comme il n'y a pas de petits objets quand il · s'agit du bien public, je ne craindrai pas d'apprendre à V. A. I. que notre contrôleur général a supprimé les entrées sur le poisson salé, qui, pendant le carême surtout, est la nourriture du plus grand nombre des citoyens, et qu'il a réduit à moitié les entrées sur le poisson frais. Il a, par une autre ordonnance, ouvert les boucheries pendant le carême, ce qui est encore un service rendu aux habitants des villes. Un service plus important rendu aux habitants des campagnes, c'est la réforme dans la perception des tailles, qui désormais sera beaucoup mieux entendue et beaucoup plus douce. » Et comme tout le monde savait que Turgot préparait l'abolition des corvées, Laharpe ajoutait : « Un bienfait plus grand encore et qui fera bénir le nom de M. Turgot par les générations suivantes, c'est l'abolition des corvées, c'est-à-dire la suppression du plus lourd fardeau que portassent les malheureux paysans. Voilà des opérations sur lesquelles on ne fera pas d'ode comme sur une bataille gagnée, mais qui valent beaucoup mieux que des victoires, et peuvent se passer d'être chantées (1). »

Le 14, Turgot compléta, par une mesure particulière au port de Marseille, l'arrêt du 13 septembre sur la liberté du commerce des grains. Le port de Marseille était franc de tous droits et considéré au point de vue fiscal comme port étranger. Il en résultait pour cette ville une situation singulière. Elle ne bénéficiait point de l'arrêt du 13 septembre. Comme la liberté intérieure seulement avait été accordée au blé, mais non la libre exportation, Marseille étant hors du royaume, commercialement parlant, n'avait pas le droit de s'approvisionner de blé français. On craignait que les grains introduits à Marseille n'en sortissent pour aller à l'étranger, ce qui eût été une porte ouverte à l'exportation, et, d'après les préjugés du temps, une cause de disette. Turgot prit soin de ne pas heurter de frort cette crainte populaire partagée alors par une foule de bons esprits. Il déclara qu'il n'entendait pas permettre l'exportation: cependant le port de Marseille était un lieu de passage naturellement désigné pour l'introduction en Provence des blés récoltés dans d'autres parties du royaume; en fermant Marseille, on privait cette province d'un moyen très précieux d'approvisionnement. Il décida que les grains français destinés à la Provence pourraient désormais traverser Marseille en toute franchise, pourvu qu'ils eussent été préalablement munis d'acquits à caution pris au port d'embarquement et exig bles au bureau de destination. Tel fut l'objet de l'arrêt. Le ministre n'osa pas d'ailleurs faire cesser l'injustifiable exception dont Marse lle était victime en sa qualité de port étranger. Les blés français

purent

(1) Laharpe, Corresp. litt., X, lett. vm, 75.

librement traverser cette ville, en transit; elle ne fut pas plus autorisée qu'auparavant à les employer dans son alimentation. Pour mettre un terme à cette anomalie, il eût fallu, ou dépouiller Marseille de son privilége de port franc, ou l'étendre à tous les ports du royaume. C'est à ce dernier parti que songeait Turgot, qu'il n'osait encore adopter, mais qu'il laissait entrevoir dans le préambule de l'édit, lorsqu'il disait : « Sa Majesté a cru devoir, par des motifs de prudence, différer de statuer sur la liberté de la vente hors du royaume, jusqu'à ce que les circonstances soient devenues plus favorables (1). »

La chambre des comptes mettait un tel retard à vérifier les comptes, qu'en 1774 ceux des trésoriers les moins arriérés l'étaient de cinq ans, quelques-uns de six, d'autres de sept, de huit. Ceux du trésorier des bâtiments l'étaient de douze ans; ceux du trésorier de la caisse d'amortissement l'étaient de treize. Cette vérification était un travail de pure curiosité, dit Dupont de Nemours, et parfaitement inutile. Elle faisait perdre un temps considérable au roi, qui était forcé de signer toutes les pièces. Turgot, par décisions des 12 et 22 janvier 1775, et plus tard du 11 mai 1776, simplifia la vérification des comptes. I autorisa les conseillers d'État à donner leur signature. П prépara avec Fourqueux (procureur général de la chambre des comptes) un arrangement qui permît à la chambre de se mettre au courant (2).

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Le 15, il rendit un arrêt pour le paiement des lettres de change tirées des îles de France et de Bourbon. Ces lettres de change étaient arriérées depuis cinq ans, à tel point on négligeait les affaires de nos colonies! Turgot, dans son court passage à la marine, avait pu s'en apercevoir. Il affecta un premier fonds extraordinaire de 1,500,000 fr. au paiement de cette dette criarde. 1,200,000 fr. devaient être employés pendant les six premiers mois de l'année 1775 à retirer celles de ces lettres qui avaient été données d'une part aux Hollandais et aux Danois, pour fournitures nécessaires à ces colonies, et d'autre part au régiment du Royal Comtois, en échange des fonds qui s'étaient trouvés dans sa caisse, à son départ des îles. Dans les six derniers mois, 100,000 écus devaient être employés à rembourser les lettres de change de 500 fr. et au-dessous souscrites à des Français. Cependant, même après ces premiers paiements, il devait rester encore 8,500,000 fr. de ces lettres à solder. Turgot assigna une somme de 1,000,000 par an à l'extinction de cette dette. Le sieur Mory, caissier de la Compagnie des Indes, fut chargé de dresser un état des lettres qui lui seraient représentées. On convint d'opérer les remboursements par ordre de date; on laissa aux créanciers qui ne

(1) Eur. de T. Ed. Daire, II, 178.

(2) Dup. Nem., Mém., II, 199.

voudraient pas attendre l'époque des remboursements, la liberté d'échanger leurs lettres contre des titres de rente à 4 0/0. Plusieurs acceptèrent ce parti avantageux à l'État (1).

De telles mesures n'étaient pas seulement dictées par un vif sentiment d'humanité et de justice. Elles étaient habiles et utiles en même temps. Elles relevaient le crédit et l'honneur des finances françaises aussi bien en France qu'à l'étranger.

Turgot ne veillait pas moins assidûment aux intérêts de l'industrie. Un maître fabricant de drap d'Elbeuf était venu s'établir à Louviers. La communauté de Louviers s'y opposait. L'intendant avait dù rendre une ordonnance pour la forcer d'admettre le nouveau venu. Turgot approuva l'intendant (*).

La manufacture de porcelaine de Limoges était dans une triste situation, par la mort de son directeur Pierre Grelet, qui laissait une veuve et cinq enfants. Antoine Grelet, son frère, demandait à emprunter 60,000 fr. à l'État. Turgot, préféra lui accorder un secours annuel de 3,000 fr. pendant dix ans (3).

Les couteliers de Reims lui avaient adressé un placet, pour se plaindre que des ouvriers incapables eussent obtenu chez eux des brevets de maîtrise : ils prétendaient que ces nouveaux fabricants, livrant au public de la mauvaise marchandise, portaient préjudice à la communauté. Turgot leur fit dire tout net « que leur plainte était dénuée de fondement... et que c'est au public seul à juger si un maître est capable ». Vend-il des produits de qualité défectueuse? on se garde d'aller se pourvoir chez lui: c'est la seule peine qu'il mérite (*).

Si Turgot savait donner à de petits bourgeois des leçons d'économie politique pratique, il ne craignait pas au besoin de rappeler les grands seigneurs aux convenances et à l'observation de la loi. Il était dit dans les ordonnances que les nobles, aussi bien que les vilains, devaient acquitter les droits d'octroi. Mais la plupart du temps les nobles trouvaient moyen de se soustraire à cet impôt, bien qu'ils fussent déjà exempts de beaucoup d'autres. En arrivant en ville, ils refusaient de s'arrêter aux barrières, et leurs cochers passaient outre « en poussant leurs chevaux avec tant de rapidité qu'ils menaçaient d'écraser les commis ». Turgot ne pouvait tolérer ce scandale. Par arrêt du 15 février, il rappela que les postillons, cochers ou conducteurs de voitures, même des équipages du roi, de la reine et des princes du sang, devaient s'arrêter aux portes et barrières de Paris, à la première réquisition des commis; que les coffres, malles, valises, etc., devaient être visités dans les bureaux

(1) Anc. l. fr., XXIII, 133. Mém., II, 95-96.

Dup. Nem.,

(2) Arch. nat., F. 12, 151; 3 fév. 1775.

(3) Arch. nat., F. 12, 151; 20 fév. 1775.- Cette requête était appuyee par l'intendant. (4) Pièc. just no 19.

mêmes des entrées. Enfin il ordonna que les contrevenants seraient punis de la confiscation des marchandises, de 500 fr. d'amende et de la prison (1).

.

De telles mesures n'étaient guère propres à concilier à Turgot l'affection des privilégiés. Ceux-ci auraient pu s'apercevoir pourtant que l'esprit de la société nouvelle était hostile à toute inégalité devant la loi. On commençait à rire tout haut des prétentions vieillies de la noblesse. Le 23 février, Beaumarchais débutait au théâtre par le Barbier de Séville. A la première représentation, la pièce fut sifflée; mais trois jours après elle fut applaudie avec fureur. Son apparition seule était un signe des temps.

(1) Eur. de T. Ed. Daire, II, 439. On lit à ce propos dans la Corr. Métr. (1, 268-269): « Le roi a donné une déclaration concernant les visites aux barrières de Paris, par laquelle il soumet ses propres voitures à l'oeil avide des commis. Défenses à ceux-ci d'accompagner les voitures, fourgons et tous autres équipages des princes et seigneurs dans leurs hôtels ou

auberges pour y faire leur visite, qui doit se faire et se fera désormais aux barrières, ce qui n'est rien moins qu'agréable. Mais le roi donnera l'exemple, il n'y a rien à dire; il sera seulement très edifiant de voir Sa Majesté arrêtée par deux ou trois gredins, pour lui demander si elle n'a rien contre ses propres ordres. »

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