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greffe, les quatre deniers pour livre sur le prix des ventes d'immeubles dans les provinces avaient été confiés à une régie sous le nom de Rousselle. Les régisseurs devaient faire 8 millions d'avances remboursables par des paiements successifs dont le dernier aurait lieu en juillet 1781. L'intérêt de leurs avances avait été stipulé à 6 0/0. Ils avaient en outre des droits de présence montant à 480,000 livres l'an, soit 6 0/0 de leurs premiers fonds, et ces droits devaient leur être payés jusqu'au terme de la régie. Ainsi du 1er janvier au 1er juillet 1781 les cautions de Rousselle n'étant plus en avance d'un million, dont la moitié lui aurait été remboursée au mois d'avril, Rousselle n'en aurait pas moins touché : l'intérêt de son capital à 6 0,0, sujet à la retenue du dixième, et 240,000 livres d'intérêts sous le nom de droits de présence. Pour les trois premiers mois de 1781, ces deux intérêts réunis eussent été de 54 0/0, et, dans le second trimestre, ils se fussent élevés à 93 0/0.

Turgot conseilla au roi la résiliation d'un marché conclu avec une si coupable légèreté et si désavantageux au Trésor. Il forma une nouvelle régie qui fournit 4 millions d'avances de plus, eut plus de travail, plus de droits à percevoir, sans avoir des droits de présence plus élevés. Ces droits devaient être soumis, comme les intérêts du capital, à la retenue du dixième, et devaient diminuer comme les intérêts dans la progression des remboursements successifs.

Les roturiers qui possédaient des biens nobles étaient assujettis à un droit particulier dit de franc-fief. Le clergé, invoquant cette considération que la promotion aux ordres sacrés efface chez les ecclésiastiques roturiers « la tache de roture », les élève au premier rang des citoyens, et les rend membres d'un corps qui a le droit de précéder la noblesse, le clergé réclamait depuis le xvI° siècle, et avait réclamé récemment encore dans l'assemblée de son ordre tenue en 1770 la suppression du droit de franc-fief exigé de ses membres non nobles. Les rois avaient plusieurs fois cédé à ses instances, mais à titre d'exception, et en se refusant toujours, soit à admettre ses raisons, soit à lui accorder l'exemption complète et définitive qu'il revendiquait. Dans un arrêt du 27 novembre, Turgot trancha de même la difficulté. Ne voulant pas sans doute s'attirer inutilement l'inimitié du clergé déjà inquiet de son avénement, il consentit à maintenir l'exemption du droit de franc-fief aux ecclésiastiques roturiers, en la limitant aux biens nobles dépendants de leurs bénéfices et à leurs biens patrimoniaux. A l'égard des fiefs, terres et autres héritages qu'ils avaient acquis ou pourraient acquérir à l'avenir, il déclara qu'ils seraient astreints au droit de franc-fief (1). Les maisons abbatiales, prieurales et canoniales, et tous les autres

(1) Euv. de T. Ed. Daire, II, 395; 27 nov.

biens et héritages dépendants des lieux claustraux et réguliers jouissaient de l'exemption des droits d'amortissement. Mais ce privilége ne pouvait leur être maintenu qu'autant qu'ils restaient affectés à leur première destination. Or, beaucoup d'abbés, prieurs, chanoines et autres gens de main-morte avaient pris l'habitude de louer à des particuliers partie ou totalité des maisons, jardins et autres propriétés dont ils avaient la jouissance. Le fisc alors, considérant ces biens comme mis dans le commerce et invoquant un arrêt de 1738, prétendait les assujettir aux droits d'amortissement, tandis que les gens de main-morte refusaient de les payer. L'affaire portée devant Turgot fut réglée par lui avec autant de modération et de ménagements que la précédente. Il maintint «par grâce » l'exemption du droit d'amortissement aux lieux claustraux et réguliers mis en location, « pourvu néanmoins que l'usage et la destination n'en fussent pas changés et dénaturés pour toujours »; il se contenta de les soumettre au droit de nouvel acquét pendant la durée des baux (1).

Le 28 novembre, il parvint à faire un pas de plus dans la voie de la liberté commerciale. Longtemps les huiles de pavot, dites d'œillette, avaient inspiré de la répugnance aux consommateurs et des défiances à l'administration. Mais, peu à peu, elles étaient entrées dans l'usage journalier des provinces de Beaujolais, FrancheComté, Alsace et Flandre, et aussi de pays étrangers, tels que l'Allemagne, la Russie, l'Angleterre. La Faculté de médecine avait déclaré qu'elles ne contenaient rien de narcotique ni de contraire à la santé. Enfin les maîtres et gardes du corps de la ville et faubourgs de Paris avaient réclamé eux-mêmes le droit de la vendre en même temps que les autres espèces d'huiles. Turgot profita de cette occasion pour obtenir du Conseil un édit qui accorda pleine et entière liberté au commerce de toutes les huiles (2).

Dans ce même mois de novembre, Turgot, de concert avec son collègue des affaires étrangères Vergennes, put donner une application partielle à l'un de ses projets les plus fortement arrêtés, la suppression du droit d'aubaine. On sait que ce droit inique accordait au roi la propriété de tous les legs, de toutes les successions testamentaires et ab intestat, mobilières et immobilières des étrangers fixés dans le royaume. Il existait d'ailleurs également dans tous les autres États. C'était un des plus sérieux obstacles aux bonnes relations entre peuples, et à la résidence chez nous d'artisans, capitalistes ou négociants étrangers, qui auraient pu être fort utiles. Les négociations de Vergennes en Allemagne, confirmées par lettres patentes que dicta Turgot, abolirent le droit d'aubaine en France

(1) Exv. de T. Ed. Daire, II, 398; 27 nov.

(2) Eur. de T. Ed. Daire, II, 224.

pour les sujets de vingt-trois villes libres impériales, et établirent la réciprocité entre ces pays et le nôtre, ainsi que le traitement mutuel le plus favorable pour les personnes et le commerce de chacun (1).

Des lettres-patentes antérieures (*) avaient ratifié une convention analogue, conclue avec les États-Généraux des Provinces-Unies (Hollande) pour l'exemption du droit d'aubaine (").

Enfin, dans l'administration même des finances, un édit très démocratique, qu'on nous passe le mot, modifia la situation des intendants du commerce. Depuis 1724, les quatre places d'intendants du commerce étaient devenues des offices que les titulaires devaient acheter très cher. Or, il n'était point facile de rencontrer, pour ces importantes fonctions, des gens qui réunissent à la fois l'expérience, la pratique des affaires et l'intelligence, en un mot la compétence et la fortune. Il avait même fallu bientôt déroger à l'édit pour l'un de ces offices, et en confier l'intérim successivement à plusieurs magistrats. Turgot n'entendait point se priver des services d'hommes capables, par cela seul qu'ils auraient le tort de n'être pas riches. Il obtint donc qu'au fur et à mesure de leur vacance, ces offices seraient supprimés; que, pour le moment, les titulaires existants, dont il était fort satisfait, resteraient en place; qu'à l'avenir ces charges seraient confiées, par décision royale, à des officiers du Conseil ou des cours souveraines. Turgot compléta l'édit en faisant rembourser un des offices qui était vacant, pour en confirmer les fonctions à Albert, qui les remplissait d'une manière très distinguée, mais par simple commission (').

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Si l'on veut avoir une idée de l'activité prodigieuse déployée par Turgot au ministère, il faut feuilleter aux Archives nationales le registre de ses lettres administratives. Lorsqu'on songe qu'il élaborait une foule d'arrêts, qu'il préparait les réformes les plus importantes (telles que la suppression de la corvée, un de ses travaux de cette époque, nous l'avons vu), qu'il assistait aux conseils, qu'il devait se concerter fréquemment avec le roi, avec les ministres, avec ses secrétaires et les confidents de ses projets, on sera étonné qu'il trouvât encore le temps de répondre aux importuns, de correspondre avec les intendants, de dicter chaque jour un grand nombre de lettres.

C'est ainsi que, le 29 novembre, il écrit à l'astronome de Fouchy, pour le prier de soumettre à l'Académie des Sciences la question de savoir si la coutume de rouir le chanvre dans les rivières ne rend point les eaux malsaines ("); il écrit au prince de Condé pour lui

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refuser, en termes polis mais fermes, la permission qu'il demandait de contraindre les habitants de Stenay à lui céder les terrains nécessaires à l'établissement d'une forge ('); il écrit au ministre Bertin pour donner un avis défavorable à l'étrange requête de deux particuliers: ceux-ci réclamaient un droit de 30 sols pendant dix ans sur chaque voie de charbon de terre du royaume, à titre de récompense, ayant découvert, disaient-ils, la manière de le préparer, pour l'employer à la fonte et à la forge du fer(2); il écrit à M. de La Bove, récemment nommé intendant de Bretagne, pour autoriser le maire de Saint-Malo à supprimer les 8 sous pour livre sur les droits d'ancrage et de lestage des navires (3); il écrit à Lenoir, nouveau lieutenant de police de Paris, pour le prier de hâter le jugement de divers procès engagés par les plombiers, limonadiers, drapiers et merciers, etc. (*). Toutes ces occupations de Turgot ne sont pas d'un intérêt qu'on doive dédaigner. Elles prouvent que ce n'était point un philosophe abstrait perdu dans le vague idéal de ses conceptions, qu'il savait être administrateur et homme pratique; elles montrent de quel travail continuel il était surchargé, et de quelle trempe était son génie.

Cependant, le grand projet qu'il méditait depuis l'acte d'émancipation du commerce des blés, était la suppression des corvées. On l'attendait avec impatience. Trudaine continuait à opposer des objections au plan du ministre; il lui conseillait de consulter les intendants; il redoutait l'inconvénient qui résulterait pour l'entretien ou la confection des routes, d'une brusque interruption des travaux. Turgot tenait bon et refusait de consulter les intendants, se considérant comme suffisamment instruit par son intendance de Limoges. Mais de hautes influences l'empêchaient sans doute de rien décider; car il prenait la peine de rédiger, pour le roi, un mémoire sur les corvées, espérant le convaincre personnellement de la nécessité de cette réforme. Ce mémoire est malheureusement perdu (").

Avoir pour lui le roi, tel était l'unique espoir de Turgot. A ses yeux, c'était le seul moyen de triompher des résistances cachées qui commençaient à l'envelopper. Ses amis comprenaient le danger. Voltaire redoutait de le compromettre. En priant d'Argental de recommander secrètement son jeune protégé d'Etallonde à Turgot, « M. Turgot nous protégera, disait-il, et certainement nous ne le compromettrons point. J'aimerais mieux mourir (et ce n'est pas

(1) Pièc. justif. no 7.

(2) Arch. nat., F. 12, 151.

Id.

(4) Id.

(5) Turgot dit dans un mémoire au roi sur Ja suppression des corvées composé en janvier 1776 Lorsque j'eus l'honneur de lire à Votre Majesté, il y a plus d'un an, dans son Conseil, un premier mémoire sur la suppression

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des corvées, son cœur parut la décider sur le champ et sa résolution devint aussitôt publique. Le bruit s'en répandit dans les provinces. De ce moment, il est devenu impossible de ne pas supprimer les corvées.» (Eur. de T. Ed. Daire, II, 239.)

Ce mémoire perdu est donc des derniers mois de 1775.Voir Vignon, III, Pièc. justif n° 141, p. 107.

coucher gros) que d'abuser de son nom et de ses bontés, il doit en être bien persuadé (1). » Et dans une lettre à Condorcet, sur le même sujet : « Vous êtes bienfaisant comme M. Turgot, humain, hardi et sage... J'aimerais mieux mourir que de compromettre en rien l'ange tutélaire (Turgot), qui veut bien vous faire parvenir cette lettre. (Il lui avait écrit sous le couvert de Turgot.) Ce serait, à mon avis, trahir la France, que de laisser échapper la moindre indiscrétion sur le compte d'un homme unique qui lui est nécessaire (2). »

Aussi l'abbé Morellet devait-il paraître à Turgot lui-même bien confiant et bien affirmatif, lorsqu'à la date du mois de novembre 1774 il ajoutait en post-scriptum à son ouvrage sur la liberté d'écrire et d'imprimer, cette phrase de Tacite (Vie d'Agricola): « Nunc demum redit animus, nec spem modo ac votum securitas publica, sed ipsius voti fiduciam ac robur assumpsit (3). »

Mercy voyait plus nettement la situation, lorsqu'il écrivait à Marie-Thérèse : « Depuis le grand changement que vous savez être arrivé dans le ministère de cette cour, on a été dans l'attente des réformes utiles que les abus en toutes les branches du gouvernement rendent nécessaires et même urgentes. Le nouveau contrôleur général, qui passe pour un homme vertueux, ferme et éclairé, a déjà employé des moyens d'économie, dont cependant les effets ne peuvent pas être aussi prompts qu'il serait à désirer. Le ministre susdit paraît un peu effrayé de l'immensité de sa besogne. Il a grande raison. » Il ajoute, il est vrai : « Malgré cela, on croit qu'il réussira à opérer le bien. » Mais cette réserve n'exprime point son opinion personnelle. Il constate la confiance du public, il ne la partage pas (*).

(1) Lett. de Volt. à d'Argent., 24 nov. 1774.
(2) Cond., Eur., I, 43-48.- Le texte de Tacite

est un peu différent (J. Agr. Vit., III).

(3) Merc. Fr., fév. 1775.

(4)D'Arn. et Gell., Mar.-Ant., II, 241, note; 28 sept. 1774.

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