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habiles propres à rétablir son crédit, «avait proposé de ne faire qu'insensiblement la refonte des monnaies... Ce qui ferait, disait-il, une économie considérable et empêcherait les funestes effets d'une secousse violente dans le commerce, par un changement d'espèces subit, toujours dangereux pour un grand État (1). » La proposition de Terray, adoptée en Conseil, avait fait l'objet de la déclaration du 23 mai 1774. Cependant cette même déclaration avait établi une innovation fâcheuse; elle avait ordonné que les empreintes des espèces d'or et d'argent seraient les mêmes. Turgot craignit que la ressemblance de ces empreintes pour des espèces différentes n'encourageât la fraude; il vit aussi une dépense inutile dans la fabrication de nouveaux poinçons de revers qu'il faudrait envoyer aux trente et un hôtels de monnaie du royaume. Il obtint donc une déclaration nouvelle qui réformait sur ce point la première. S'il ne dicta peut-être pas le texte de celle-ci, il en inspira tout au moins la rédaction. « Désirant nous épargner, en prévenant les délits, la nécessité de les punir, disait le roi, nous avons cru devoir rétablir, etc...; nous trouverons dans ce rétablissement les moyens de satisfaire les vues d'économie que nous nous proposons de porter dans toutes les parties de l'administration... (*). »

Dupont de Nemours mentionne et analyse, à la date du 25 septembre 1774, un arrêt concernant les domaines (3).

Le 13, Baudeau écrivait au sujet de cette affaire : « Il y a des gens à l'affût sur l'affaire des domaines du roi. C'est un patricotage (une intrigue) du petit Cochin () pour placer des créatures à lui et à l'abbé Terray, pour donner des croupes aux commis, aux catins et aux mercures. Tout ce monde-là craint pour ses intérêts. Auparavant (avant l'avénement de Turgot), toutes les provinces tremblaient, les seigneurs avaient peur d'être poursuivis pour leurs engagements (5). »

Pour comprendre ce passage de Baudeau et toute l'affaire des domaines, il est bon d'entrer dans quelques explications. Elles nous sont amplement fournies par l'auteur des Mémoires sur Terray et par Dupont de Nemours.

Jadis, quand le roi voulait rentrer en possession de quelque domaine aliéné, l'usage était que les fermiers généraux s'en emparassent et en perçussent les droits. Par le dernier bail, Terray leur avait retiré cette partie, et avait établi dans chaque généralité une sous-ferme qui devait durer 30 ans, à partir du 1er janvier 1775. Les sous-fermiers (ces créatures de Terray et de Cochin dont parle

(1) Mém. sur Terr., 221.

(2) Rec. d'A. 1. fr., XXIII, 39-40, 18 sept. 1774. Cette declaration ne se trouve point dans les éditions des œuvres de Turgot.

(3) Cet arrêt ne se trouve pas dans l'éd. Daire. (4) Intendant des financès que Turgot renvoya. (V. ch. I précédent.)

(5) Chr. sec., 411.

Baudeau) devaient payer d'avance au roi une année du bail qui avait été fixée à 1,564,000 fr. l'an. Leur bail expiré, ils devaient remettre au roi tous ces domaines quittes et libres de toutes charges envers les engagistes ou acquéreurs des domaines royaux. Comme le roi ne pouvait vendre, à proprement parler, en vertu de la fiction féodale, il était censé engager simplement ses domaines et il conservait toujours la faculté de les reprendre. Les contrats d'acquisition des domaines s'appelaient des engagements (1).

Aux conditions ci-dessus énoncées, Terray avait abandonné aux sous-fermiers: 1° la jouissance de terres domaniales précédemment louées à 1,116,164 fr. par baux particuliers finissant au mois de décembre 1774; 2° les profits à faire sur le renouvellement présent et les renouvellements successifs de ces baux pendant 30 ans; 3° la jouissance pendant 30 ans des terres vaines et vagues, à défricher ou à dessécher, dont le roi pouvait avoir le droit de jouir; 4° la faculté illimitée de renter dans les domaines que le roi aurait pu, en usant de son droit, recouvrer lui-même.

En revanche, les sous-fermiers devaient compter annuellement au roi le dixième de ce qu'ils retireraient des terres vaines et vagues défrichées ou desséchées; le dixième des redevances résultant d'accensements ou inféodations (redevances dues par les acquéreurs qui prendraient des terres à cens ou à fief); le quart du produit des domaines et des droits domaniaux recouvrés au nom du roi, etc. Telles étaient les principales clauses de l'arrêt d'octobre 1774, contenant 49 articles, et rédigé par Terray avec une grande habileté. Il est incontestable que c'était là, au point de vue de l'intérêt immédiat du trésor royal, une opération très lucrative. Elle était non moins avantageuse à la sous-ferme et aux croupiers dont parle Baudeau. Mais quel pouvoir on donnait à ces financiers! Quelle facilité pour molester les possesseurs des domaines, exercer des vengeances privées, rapiner impunément au nom du roi !

Ce bail avait soulevé des réclamations générales. Les engagistes se trouvaient menacés, par les compagnies, de procès inévitables. Les communautés étaient alarmées du retrait des terres vaines et vagues qui avaient jusque-là servi de pâturages à leurs bestiaux. Parmi les plus inquiets se trouvait M. de Guibert, officier de talent, auteur passable, ami de cœur de Mlle de Lespinasse, et dont les biens paternels, relevant du domaine, étaient menacés de devenir la propriété de la Ferme nouvelle. Me de Lespinasse espérait, non sans raison, que Turgot casserait sur ce point les décisions de son prédécesseur. « A l'égard de ce bouleversement dans les domaines,

(1) V. les Considérations sur l'inaliénabilité des domaines de la Couronne, sans nom d'au

teur, in-8°, 154 p., 1775, volume savant et curieux.

écrivait-elle le 19 septembre, j'ai bien de la peine à croire que M. Turgot puisse en rien suivre ou exécuter les projets de M. l'abbé Terray. Si cependant, par impossible, il venait à vouloir agir d'après ce plan, M. de Vaines (1) serait à portée de vous rendre service. Il ferait l'impossible pour vous obliger. » Et le 22 : « J'ai vu M. Turgot, je lui ai parlé de ce que vous craigniez sur les domaines. Il m'a dit qu'il n'y avait point encore de parti pris sur cet article; que M. de Beaumont (), intendant des finances, s'en occupait, et qu'en attendant, les compagnies que l'abbé Terray avait créées pour cette besogne avaient défense d'agir. M. Turgot m'a ajouté que, dès qu'il serait instruit par M. de Beaumont, il me dirait s'il y avait quelque chose de projeté ou d'arrêté sur les domaines; mais qu'en général il y aurait un grand respect pour la propriété. Je ne m'en tins pas là: je dis votre affaire à M. de Vaines, et il me répondit nettement : « Qu'il soit bien tranquille; le projet de l'abbé Terray ne sera jamais exécuté par M. Turgot, j'en réponds (3). »

Turgot ne pouvait, en effet, approuver une transaction qui mettait à la merci de financiers avides toute une classe de propriétaires, et portait un préjudice réel au Trésor, en aliénant pour un bénéfice immédiat, même fort élevé, les ressources de l'avenir. Ce genre d'expédient, à la portée de tous les mauvais régimes, était trop en harmonie avec le reste de la politique financière de Terray pour plaire à Turgot.

Mais que faire pour remplacer les 1,564,000 livres payables en octobre, et dont l'emploi était déjà arrêté ? Rendre la régie. des domaines réels aux fermiers généraux? Ils s'étaient montrés absolument inhabiles à cette administration. Les confier aux receveurs généraux des domaines et des bois? Mais, consultés, ils n'avaient pu promettre les fonds, et ils n'étaient pas tous intelligents. Il n'y avait qu'un parti à prendre: c'était de former une autre régie spéciale pour les domaines. Ce fut la décision édictée par l'arrêt du Conseil du 25 septembre.

Cette régie fut établie pour neuf ans. Les régisseurs devaient fournir 6 millions d'avances remboursables (à 1 million par an) seulement pendant les six dernières années du bail. L'intérêt fut fixé à 6 0/0 avec retenue du dixième, ce qui le réduisait à 50/0. L'Etat leur abandonna, outre les domaines réels (les terres), la perception des droits féodaux et seigneuriaux casuels (éventuels, tels que les droits de mutation, lods et ventes, etc.) sur les terres de la mouvance du roi, et le soin d'une ferme particulière qui avait été formée pour quelques domaines réunis par le décès des engagistes

(1) Il avait dans ses attributions les comptes du Trésor (V. ch. IV précédent).

(2) Il avait dans ses attributions le conten

tieux des domaines (V. ch. Iv précédent). (3) Lettre de Mlle de Lespinasse à quib., 19 et 22 sept. 1774.

qui n'en avaient joui qu'à titre viager. La recette annuelle de cette régie était estimée de 4,100,000 fr. à 4,340,000 fr. Les droits de présence des régisseurs furent réglés, comme l'intérêt de leurs fonds, à 5 0/0 du capital de leurs fonds d'avances, et soumis aux mêmes gradations en raison des remboursements successifs. Enfin, en calculant les remises qui leur étaient accordées en raison du produit, et les frais de bureau de toute espèce, cette opération revenait seulement à 16 deniers pour livre de coût au Trésor.

Cinq jours après l'arrêt, Mlle de Lespinasse écrivait à son ami: << Tout ce que l'abbé Terray avait fait, ou projeté de faire sur les domaines, est comme non avenu: tout a été détruit, cassé, annulé; en un mot, vous devez être aussi tranquille sur la propriété de monsieur votre père, que vous l'étiez il y a dix ans. C'est M. Turgot qui me l'a assuré hier (').

Le 28 du même mois, Turgot écrivit une lettre-circulaire aux intendants sur les octrois municipaux (2). Il s'était aperçu qu'il n'y avait rien de plus irrégulier en général que la perception des droits d'octroi dans les villes et les simples communes. Les fermiers de l'octroi étaient souvent avides, ou les officiers municipaux négligents. De là, mille procès coûteux. Les tarifs frappant de droits légers une foule de marchandises diverses rendaient la perception très minutieuse, très aisée à éluder ou très vexatoire. Presque partout les bourgeois des villes avaient trouvé moyen « de s'affranchir de la contribution aux dépenses communes, pour la faire supporter aux moindres habitants, aux petits marchands et aux propriétaires ou pauvres des campagnes. » Presque partout les droits frappaient de préférence les denrées consommées par les pauvres; le vin des cabarets était taxé; celui des propriétaires ne payait rien. Souvent aussi les officiers municipaux négligeaient de tenir un compte exact de l'administration des deniers publics, ou ils entreprenaient, sans nécessité, des dépenses considérables. Les charges de l'octroi s'accroissaient ainsi sans cesse; les villes et les communautés s'endettaient; elles étaient forcées d'implorer le secours de l'État.

Bien que déjà ancien, cet état de choses ne nous est pas absolument inconnu, au moins en partie. Turgot s'en inquiétait vivement. Il engagea donc les intendants à faire corriger les tarifs, « à supprimer les priviléges odieux que les principaux bourgeois s'étaient arrogés au préjudice des pauvres et des habitants des campagnes. » Il leur demanda un état exact des tarifs et des droits d'octroi. Il leur recommanda de surveiller l'emploi des fonds municipaux, de rendre personnellement responsables des dépenses faites les administrateurs

(1) Lettre à Guib., 3) sept. 1774.

(2) Euries de T. Ed. Daire, II, 434.

qui dépasseraient les sommes allouées par le budget annuel de chaque ville ou communauté, d'exiger enfin une scrupuleuse exactitude dans leur comptabilité.

A part la tutelle des municipalités que s'était attribuée l'État, c'étaient là d'excellentes instructions. Furent-elles suivies d'effet? On peut craindre que non. Et Turgot, d'ailleurs, eut-il le temps de se faire obéir? A vrai dire, il n'y eut de réellement efficaces, pendant son ministère, que ceux de ses actes qui purent être immédiatement exécutés. De ce nombre est la décision qui rendit provisoirement la vie aux Éphémérides du citoyen, de l'abbé Baudeau. Elles avaient été supprimées sous Terray, en 1772. Elles reparurent sous le titre de Nouvelles Éphémérides.

Morellet ne fut pas moins heureux que Baudeau. Il avait composé dix ans auparavant un ouvrage intitulé: De la liberté d'écrire et d'imprimer sur les matières d'administration. Laverdy, alors contrôleur général, avait fait rendre un arrêt du Conseil qui défendait à Morellet de publier son manuscrit, sous peine d'être poursuivi extraordinairement. Il avait écrit à mi-marge: « que pour parler d'administration il faut tenir la queue de la poële, être dans la bouteille à encre, et que ce n'est pas à un écrivain obscur, qui souvent n'a pas cent écus vaillant, à endoctriner les gens en place (1).» Grâce à Turgot, le livre de Morellet put enfin voir le jour. Il parut avec cette épigraphe empruntée à Tacite : « Rara temporum felicitate, ubi sentire quæ velis, et quæ sentias dicere licet (2). »

(1) Morell., Mém.

(2) Tac., Hist., I, 1.

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