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Turgot résolut de mettre un terme à cette équivoque et de rendre réelle une liberté écrite depuis vingt-cinq ans dans les lois.

En effet, dès 1749, Machault avait autorisé la libre circulation des grains à l'intérieur, et il en avait même permis la sortie par deux ports de la Méditerranée. Plus tard, une déclaration du 25 mai 1763 avait renouvelé cette liberté et supprimé tous les règlements qui l'entravaient. Il avait fallu de la part de l'abbé Terray une intention formelle de favoriser un odieux trafic, pour qu'il eût osé révoquer, le 23 décembre 1770, les mesures libérales de ses prédécesseurs.

Turgot ne fit que revenir à la tradition déjà établie au contrôle général. Il l'affirme en propres termes et à plusieurs reprises dans le corps de l'arrêt. Mais, par une heureuse innovation (1), il voulut expliquer au peuple quels étaient ses véritables intérêts, et lui démontrer que ses intérêts seuls, bien entendus, servaient cette fois de règle à la conduite du gouvernement. Dans un admirable préambule, il exposa les principes fort justes de l'école économique en matière de liberté commerciale. Il montra la liberté comme << l'unique moyen de prévenir, autant qu'il est possible, les inégalités excessives dans les prix, et d'empêcher que rien n'altère le prix juste et naturel que doivent avoir les subsistances, suivant ia variation des saisons et l'étendue des besoins. » Il s'attaqua surtout à détruire le préjugé enraciné alors que les approvisionnements doivent être faits par le gouvernement, et qu'il dépend de lui de régler la disette ou l'abondance.

<< Son attention, dit-il, partagée entre trop d'objets, ne peut être aussi active que celle des négociants, occupés de leur seul commerce. Il connaît plus tard, il connaît moins exactement et les besoins et les ressources. Ses opérations, presque toujours précipitées, se font d'une manière plus dispendieuse. Les agents qu'il emploie, n'ayant aucun intérêt à l'économie, achètent plus chèrement, transportent à plus grands frais, conservent avec moins de précaution; il se perd, il se gâte beaucoup de grains. Ces agents peuvent, par défaut d'habileté, ou même par infidélité, grossir à l'excès la dépense de leurs opérations. Ils peuvent se permettre des manoeuvres coupables à l'insu du gouvernement. Lors même qu'ils en sont le plus innocents, ils ne peuvent éviter d'en être soupçonnés, et le soupçon rejaillit toujours sur

(1) C'était une innovation en effet. Le 20 septembre 1774, Mlle de Lespinasse écrivait à M. de Guibert : « Il paraîtra d'ici peu de jours un édit sur le commerce intérieur des grains; il sera motivé. Cette forme est nouvelle, et il me semble qu'elle doit convenir à la multitude; car les fripons et les gens de parti trouveront bien encore à critiquer. » Condorcet dit de son côté, d'une manière generale (Vie de T., 132): Il donna l'exemple utile de rendre au public

un compte détaillé et raisonné des principes d'après lesquels les lois étaient rédigées, et des motifs qui en avaient déterminé les dispositions. Et Laharpe: « Il est le premier parmi nous qui ait changé les actes de l'autorité souveraine en ouvrages de raisonnement et de persuasion." (Corr. litt., lett. CXLIV, t. II, 367.) Il suffit, d'ailleurs, de parcourir le recueil des arrèts des ministres anterieurs à Turgot pour se rendre compte de la différence.

l'administration qui les emploie, et qui devient odieuse au peuple par les soins mêmes qu'elle prend pour le secourir.

» De plus, quand le gouvernement fait ce commerce, il le fait seul, personne n'osant entrer en concurrence avec lui; et comme il y consacre des sommes immenses, il y fait des pertes inévitables. Ces pertes se traduisent par une augmentation d'impôt qui pèse surtout sur les plus malheureux. Enfin, si les opérations du gouvernement sont mal combinées, le peuple, dénué des ressources du commerce et réduit à l'inaction, reste abandonné à toutes les horreurs de la famine. >> L'arrêt fut signé en Conseil le 13 septembre, avons-nous dit. Cependant, il fallut, le 2 novembre, l'appuyer de lettres-patentes qui le rendissent exécutoire. Le Parlement ne les enregistra que le 19 décembre. Tous ces retards prouvent combien cette mesure, d'une sagesse et d'une justice pourtant inattaquables, souleva de sourde. opposition. Le secret de ces résistances est aisé à deviner. L'arrêt du 13 septembre portait un coup terrible aux accapareurs, aux monopoleurs et à leurs tristes complices. Cependant Turgot ne mit pas fin au pacte de famine, comme paraît le croire M. H. Martin (1) et comme le crut sans doute Turgot lui-même. En 1787 existait une compagnie pour les blés dont un nommé Pinet était le trésorier. La Révolution seule mit fin à cet abus comme à tant d'autres (2).

L'article I de l'arrêt établissait la libre circulation des blés dans l'intérieur du royaume (3).

L'article II défendait aux juges de police et autres officiers publics ou seigneuriaux de gêner en rien cette liberté.

Par l'article III, le roi déclarait qu'à l'avenir il ne serait fait aucun achat de grains ni de farines pour son compte.

L'article IV, enfin, autorisait la libre importation des blés dans le royaume, mais ajournait la liberté d'exportation. Les grains importés seuls pouvaient être réexportés sans entrave, s'ils n'avaient point trouvé d'acheteur.

Il est bon d'insister sur ce dernier point, car les ennemis de Turgot, peu soucieux de la vérité, l'accusèrent plus tard d'avoir rendu l'exportation entièrement libre. C'est l'importation seulement qu'il permettait. Mais sur ce point, comme le dit très bien M. Batbie, l'économiste allait plus loin que l'administrateur. Théoriquement Turgot était libre-échangiste, comme nous dirions aujourd'hui. Il n'osait l'être dans la pratique (").

(1) H. Martin, Hist. de Fr., XVI, 332.

(2) Ch. Louandre; Monteil, Hist. fin., 287, note. (3) Cependant les banalités ne furent point supprimées. « C'est que Turgot, dit Condorcet, n'avait voulu, ni detruire, sans aucun dédommagement, un droit fondé sur une possession longtemps reconnue, quelquefois même sur une convention libre, ni faire racheter au peuple à un trop haut prix ce même droit qui

n'aurait aucune valeur, si la fraude appuyée par la force n'avait su lui en créer une. » (Cond., Vie de T., 77.)

(4) Dupont de Nemours (II, 11) remarque que cet arrêt était conforme méme aux doctrines de ceux qui l'ont attaqué. Le principal chef du parti adverse, l'abbé Galiani, etait partisan de la liberté du commerce intérieur; il no s'opposait qu'à la liberté d'exportation.

Michelet a décrit avec la poésie qui lui est habituelle et la justesse qu'il rencontre souvent, l'effet produit en France par l'acte mémorable du 13 septembre : « Il y avait en France un misérable prisonnier, le blé, qu'on forçait de pourrir au lieu même où il était né. Chaque pays tenait son blé captif. Les greniers de la Beauce pouvaient crever de grains; on ne les ouvrait pas aux voisins affamés. Chaque province, séparée des autres, était comme un sépulcre pour la culture découragée. On criait là-dessus depuis cent ans. Récemment on avait tenté d'abattre ces barrières, mais le peuple ignorant des localités y tenait. Plus la production semblait faible, plus le peuple avait peur de voir partir son blé. Ces paniques faisaient des émeutes. Pour relever l'agriculture par la circulation des grains, leur libre vente, il fallait un gouvernement fort, hardi. Turgot entrant au ministère, se mettant à sa table, à l'instant prépare et écrit l'admirable ordonnance de septembre, noble, claire, éloquente. C'est la Marseillaise du blé. Donnée précisément la veille des semailles, elle disait à peu près : « Semez, vous êtes sûr de vendre. Désormais vous >> vendrez partout, » mot magique dont la terre frémit. La charrue prit l'essor, et les bœufs semblaient réveillés (1). »

L'arrêt du 13 septembre fut accueilli par le public avec de vifs témoignages de joie et de reconnaissance. On y vit un premier coup porté à l'avidité du fisc. Dans un Discours d'Henri IV à Louis XVI, que publia le Mercure, se trouvaient ces deux vers:

A peine au trône assis que ta prompte justice,

Des avides traitants réprime l'avarice.

Et pour que personne ne se méprît sur l'allusion, une note au bas de la page ajoutait : « Le premier édit de Louis XVI concernant les grains (2). »

Un avocat au Parlement avait publié dans ce même Mercure quelques rimes dont la bonne intention fera excuser la médiocrité.

Par le pouvoir de tes arrêts,
D'un jeune roi qui respire la gloire
Et le bonheur de ses sujets,

Tu remplis donc, Turgot, les généreux projets!
Poursuis! Je vois déjà les filles de Mémoire

T'inscrire dans leur temple à côté de Sulli;
Permets qu'un citoyen, des grands hommes ami,
Vienne, en ce règne heureux, célébrer ta victoire :
Depuis le siècle de Henri

Cette place vaquait... T'y voilà, Dieu merci (3)!

La Correspondance Métra s'exprimait en ces termes : « L'édit que

Michelet, Hist. Fr.: Louis XVI, 206-207.

Merc. Fr., janv. 1775.

(3) Merc. Fr., oct. 1774. L'avocat a bien fait de garder l'anonyme.

M. Turgot a fait rendre sur la liberté du commerce des grains dans l'intérieur du royaume, et dont il est lui-même le rédacteur, a fait une sensation qui n'a encore rien perdu de sa force (9 novembre). Aucun ministre, sans en excepter les Sully, les Colbert, les d'Argenson, n'a fait parler à nos maîtres un langage plus noble et plus doux. C'est vraiment le ton d'un père qui fait part à ses enfants des mesures qu'il a prises pour assurer leur bien-être, et qui désire que leur soumission soit aussi éclairée que volontaire. Enfin, la nation a lu avec transport dans cet édit les mots de propriété et de liberté; termes retranchés depuis longtemps du dictionnaire de nos rois... (1) »

Baudeau écrivait dans son journal, le 21 : « Il paraît enfin, l'arrêt du Conseil qui donne la liberté du commerce des grains dans l'intérieur, sans rien statuer sur la vente à l'étranger, qui serait un épouvantail à chenevière pour le peuple (c'est-à-dire une sorte de mannequin à éloigner les oiseaux). Cet arrêt est très bien fait; il est reçu par le public avec beaucoup d'applaudissements. Les ennemis. du bon Turgot sont un peu sots de la tournure de cet arrêt, et de la sagesse des principes qu'il explique de la manière la plus claire. On n'y a point réservé les règlements de la ville et police de Paris; au contraire ils sont formellement abrogés; et c'est un coup de partie (acte décisif, coup qui décide de la partie). Paris sacrifiait tout le royaume à son approvisionnement prétendu, c'est-à-dire, dans le fait, aux droits des officiers de la Halle, car le mot approvisionnement n'était que le prétexte (2). »

Et le 22 : « Il n'est question que de l'arrêt du Conseil sur les blés. Les deux extrémités du peuple ne l'entendent point, savoir: les gens de la cour et du premier étage de la ville, et ceux de la basse populace. J'ai remarqué .depuis longtemps entre ces deux extrêmes une grande conformité de penchants et d'opinions. Il ne se trouve de lumières et de vertus que dans l'état mitoyen (la bourgeoisie). Un bon gouvernement et une bonne instruction qui en est la suite tendent à retrancher de plus en plus à ces extrêmes et à grossir la classe mitoyenne. C'est en quoi je trouve qu'ils font beaucoup de bien. Au reste, je crois que M. Turgot a bien pris ses mesures pour empêcher sa loi de manquer son effet (3). »

Laharpe, dans sa Correspondance, commenta avec éloges l'édit de la liberté du commerce des grains. Mais ce fut Voltaire qui, dans l'expression de sa joie, trouva les mots les plus heureux.

«Je viens de lire, écrivit-il à d'Alembert, le chef-d'œuvre de M. Turgot... Il me semble que voilà de nouveaux cieux et une nouvelle terre (*). »

(1) Corr. Métr., I, 108.

(2) Chr. sec., 414.

(3) Chr. secr., 414-415.

(4) Lettre du 30 sept. 1774.

Dans les villes de commerce, à Bordeaux au moins, l'arrêt fut reçu avec joie. Nous avons une lettre des directeurs du commerce de la province de Guienne remerciant Turgot de l'arrêt sur les blés. << [Les négociants], disaient-ils, vont reprendre avec plaisir une branche de commerce immense abandonnée avec peine pour se soustraire aux gênes et aux calomnies auxquelles ce négoce les mettait en butte; tous se feront un honneur et un mérite de répondre aux vues bienfaisantes de Votre Grandeur, en ramenant les grains aux prix moyens des royaumes et des provinces les mieux traitées dans leurs productions (1). » Bordeaux était donc partisan de la liberté du commerce des grains (*). Nous verrons que sur les vins il pensait alors autrement.

Pour achever de rassurer les provinces, Turgot défendit aux intendants de dresser des états des récoltes que l'abbé Terray leur avait demandés par sa circulaire du 9 septembre 1773. Il craignait de << jeter l'alarme parmi le peuple, et d'augmenter son inquiétude naturelle par le motif de ces recherches qu'on ne parviendra jamais, disait-il, à lui faire envisager que comme contraires à ses intérêts. » Il estimait d'ailleurs qu'une opération « d'une si grande étendue et aussi compliquée dans les détails » ne pouvait jamais être exacte << par aucuns moyens, quelque dispendieux et multipliés qu'on les suppose » (3).

Une mesure complémentaire de l'arrêt sur les grains fut la suppression des sous pour livre. Un édit de novembre 1771 avait établi une taxe de huit sous pour livre sur les droits de péage, passage, travers (sorte de péage), barrage et autres droits de même nature. La circulation en était devenue plus difficile, plus onéreuse. A l'entrée des villes, des bourgs et même sur le chemin d'un village à un autre, il fallait payer, outre la taxe, ce supplément de taxe. Considérant que la plupart de ces droits étaient «d'un objet trop modique pour que les sous pour livre pussent être perçus toujours avec justice »; considérant en outre que tous ces droits << retombaient en grande partie sur la portion la plus pauvre » du royaume, Turgot obtint que le roi sacrifiât « à leur soulagement cette branche de ses revenus », et les sous pour livre furent supprimés (*).

Il fallait à chaque nouveau règne changer l'effigie des monnaies. Toutes les monnaies d'or et d'argent avaient été refondues en 1726. A l'avénement de Louis XVI, l'abbé Terray, entre autres mesures

(1) Chambre de commerce de Bordeaux, Lett. miss., 6 reg., Arch. département. de lá Giroude.

(2) Voir cependant aux Pièces justificatives no 1, une lettre de Turgot à un négociant bordelais, M. de Bethmann, qui avait demandé

l'établissement de primes d'encouragement pour le commerce des blés.

(3) Pièces just. no 2.

(4) Euv. de T. Ed. Daire, II, 389, 15 sept. 1774. -V. aux Pières just. n° 3 une circulaire de Turgot expliquaní cet arrêt.

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