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district, et devinssent billets d'État; idée remarquable et féconde, qui a quelque analogie d'une part avec les obligations des receveurs généraux imaginées plus tard par Bonaparte, et d'autre part avec les grandes applications du crédit moderne (1).

De son côté, l'école économiste prit la parole, et les « Questions proposées par l'abbé Baudeau » réfutèrent, au nom des principes, une partie des idées de Richard de Glanières. « M. l'abbé Baudeau, disent les Mémoires secrets qui portent le nom de Bachaumont, économiste dans les mêmes principes que M. Richard de Glanières, mais qui a plus de tête, plus de méthode, plus de raisonnement et plus de style, vient de lui faire une réponse dont se prévalent les ennemis du projet, mais qui, au fond, n'en est que la confirmation plus sage, plus réfléchie et plus développée (*). »

Une puérilité de Richard de Glanières déchaîna contre lui la colère des financiers. On appelait par dérision les fermiers généraux les colonnes de l'État. L'auteur avait inséré dans son ouvrage deux estampes. L'une représentait « une colonne minée par les fondements, percée à jour de toutes parts, dégradée et vacillante sur sa base; l'autre..., une colonne bien droite, ferme, solide, et n'ayant que l'ouverture nécessaire. Il avait joint une explication à l'une et l'autre figure. La première, disait-il, désignait l'administration des Fermes. dont il énonçait les vices principaux; la seconde, l'administration nouvelle dont il traçait le plan et faisait voir les qualités essentielles (3). » Il fallut que le gouvernement intervînt. L'ouvrage de Richard de Glanières fut arrêté; il ne se vendit plus que clandestinement; il n'en fut d'ailleurs que plus recherché. On voulut savoir quel était l'auteur de l'écrit prohibé, et connaître sa personne. On apprit que c'était un homme peu aisé, mais qui avait exercé d'importants emplois dans l'administration.

Il va sans dire que Turgot ne fut pour rien dans les mesures prises par le gouvernement contre l'ouvrage de Richard de Glanières. L'opinion soupçonnait même que les économistes n'étaient pas entièrement étrangers à cette publication. Il est difficile de savoir que penser à cet égard; mais les financiers n'hésitèrent point, et, s'emparant de l'incident, ils accusèrent hautement Turgot de comploter avec leurs ennemis.

(1) Merc. Fr., oct. 1774. (2) Bach., Mém. secr., VII, 263.

(3) Bach., Mém. secr., VII, 257.

CHAPITRE VII

La liberté du commerce intérieur des Grains (Arrêt du 13 sept. 1774). L'affaire des Domaines.

(Du 13 septembre au 1er octobre 1774.)

Les premiers essais de Turgot (que nous venons d'enregistrer) n'avaient ému que le monde des bureaux et celui de la finance. Le public proprement dit en avait été à peine instruit. On attendait avec impatience que le nouveau contrôleur général marquât par quelque acte décisif son arrivée au pouvoir. Tous avaient les yeux fixés sur lui.

L'événement qui inaugura réellement le ministère, fut l'arrêt qui rendait la liberté au commerce des blés dans l'intérieur du royaume. Dès le 7 septembre, Baudeau écrivait dans son journal: « La déclaration du 25 mai 1763 sur la liberté du commerce intérieur va être rétablie par arrêt du conseil, qui passe l'éponge sur tous les barbouillages de l'abbé Terray (1). »

Le 12 septembre, il s'occupait de nouveau de l'arrêt projeté : « Le public attend une nouvelle loi sur la liberté du commerce des grains et des farines, et on en dit là-dessus de toutes les couleurs, les uns pour, les autres contre. Mais les plus grandes absurdités sont dites par les gens de cour, comme de raison ('). »

Le 13: « Les maltôtiers craignent fort le bon Turgot; ils se flattent que la liberté du commerce des grains le perdra; les mauvais prêtres se mettent de la partie. Ces deux maudites cabales y perdront leur latin, à ce qu'il faut espérer (3). »

Le 18, Baudeau ignorait que l'arrêt avait été signé au conseil des finances, à la séance du mardi 13 (on sait que ce conseil s'assemblait chaque mardi). « Il y a de beaux bruits contradictoires, disait-il, sur le futur arrêt du conseil concernant le commerce des grains. Les uns disent que c'est l'exportation, les autres que c'est la confirmation des anciens principes ou tout au plus le changement d'une compagnie pour une autre. Les approvisionneurs Saurin et Doumer (*) se vantent de continuer leur tripotage; d'autres assurent qu'ils seront cassés. Les prêtres et les fripons cabalent en diable contre M. Turgot et même contre M. de Maurepas (5). »

(1) Chr. secr.,
(2) Id., 410.
(3) Id., 411.

407.

(4) Agents du commerce royal des blés, dont il a été question au chapitre iv.

(5) Chr. secr., 413.

Le 19, il ne savait rien encore. « L'arrêt qu'on annonçait pour aujourd'hui ne paraît point (1)... »

Le 20, Mlle de Lespinasse elle-même, ordinairement si bien informée, partage la même ignorance, les mêmes inquiétudes.

Pourquoi ce secret si bien gardé? Était-ce hésitation du roi? timidité de Turgot? Il est plus probable qu'il y avait des tiraillements intérieurs dans le ministère. Le témoignage toujours précieux de Baudeau confirme cette hypothèse. « Les tracasseries intérieures se continuent, dit-il le 20. Le Maurepas, le Vergennes, le Turgot sont d'une part; le Muy, le Sartines, le Bertin, de l'autre. Mais le second parti est divisé : la moitié est Choiseul, l'autre moitié est Maupeou, c'est-à-dire jésuitique et fanatique. On ne les amalgamera jamais ensemble, et le vieux Maurepas, qui en sait plus long qu'eux tous, les jouera sous jambe (2). » Cependant, il est probable que dans la séance du conseil du mardi 20 on se mit d'accord, ou que Maurepas, Vergennes et Turgot l'emportèrent définitivement sur les adversaires de la liberté commerciale.

Parmi les questions d'administration publique discutées avec le plus d'ardeur depuis quelques années, aucune n'avait donné lieu à plus de controverses que la législation du commerce des grains. Alors que Turgot était encore simple intendant de Limoges, l'abbé Galiani avait publié, en 1770, ses Dialogues sur le commerce des blés. Cet ouvrage paradoxal, mais piquant et bien écrit, attaquait la doctrine de la liberté, celle des économistes; mais il flattait les préjugés du temps et il avait eu la plus grande vogue. Turgot avait su rendre justice au talent du spirituel Italien. Vous êtes bien sévère, écrivait-il à Morellet; ce n'est pas là un livre qu'on puisse appeler mauvais, quoiqu'il soutienne une bien mauvaise cause; mais on ne peut la soutenir avec plus d'esprit, plus de grâce, plus d'adresse, de bonne plaisanterie, de finesse même et de discussion dans les détails. Un tel livre écrit avec cette élégance, cette légèreté de ton, cette propriété et cette originalité d'expression et par un étranger, est un phénomène peut-être unique. L'ouvrage est très amusant, et malheureusement il sera très difficile d'y répondre de façon à dissiper la séduction de ce qu'il y a de spécieux dans les raisonnements et de piquant dans la forme. Je voudrais avoir du temps, mais je n'en ai point; vous n'en avez point non plus. Dupont (de Nemours) est absorbé dans son journal; l'abbé Baudeau répondra trop en économiste, etc. (3). » Choiseul, qui protégeait les économistes, fit à Galiani une réponse d'un goût douteux. L'abbé était secrétaire

Lett. à Guib., 20 sept. 1774.

Chr. secr., 414.

(3) Euv. de T. Ed. Daire, II, 800.- L'événement confirma cette prédiction.

d'ambassade de Naples à Paris : il le fit rappeler par son gouvernement. Morellet répondit à sa manière, par un lourd in-octavo de 400 pages. Mais Terray, ayant remplacé Choiseul, interdit la publication de l'in-octavo de Morellet. Il fallut l'avénement de Turgot pour que l'interdiction fût levée. La véritable réfutation de Galiani se trouve dans les œuvres de Turgot lui-même, dans les Lettres sur la liberté du commerce des grains qu'il écrivit de Limoges à l'abbé Terray (1). Elles sont admirables de justesse et de force, de logique et d'éloquence. Il n'entre pas dans notre sujet de les analyser; mais on ne saurait trop les lire et les méditer.

C'est l'honneur de l'Économie politique française d'avoir appelé tout d'abord l'attention sur cette question vitale de l'agriculture et des subsistances. Il faut se reporter par la pensée à cette époque, en tenant compte des changements survenus depuis. La grande industrie n'existait pas encore. Il n'y avait ni machines à vapeur, ni chemins de fer. Le commerce était incomparablement plus restreint qu'aujourd'hui. Les voies de communication rurales faisaient presque entièrement défaut. La source à peu près unique de la richesse était la terre. Mais la terre, très inégalement divisée, négligée par des maîtres qui, pour la plupart, habitaient la ville, abandonnée par eux à des paysans misérables, ou cultivée par de petits propriétaires que pressurait le fisc, la terre avait peu de valeur et ne donnait qu'un maigre revenu. La doctrine des physiocrates eut justement pour effet de réhabiliter l'agriculture méprisée, de susciter partout de grands efforts pour améliorer le sol et augmenter ses produits, de provoquer des cultures nouvelles ou des défrichements.

Cependant, la doctrine économique n'avait pas encore inspiré de réformes positives; sauf quelques améliorations de détail, la législation du commerce des grains, aggravée d'ailleurs par l'abbé Terray, était demeurée désastreuse pour l'agriculture. Les considérants de l'arrêt de Turgot, qui présentent une analyse d'un arrêt antérieur de Terray, celui du 23 décembre 1770, nous fournissent à cet égard les renseignements les plus incroyables et les plus précis.

Tous ceux qui voulaient entreprendre le commerce des grains étaient tenus de faire inscrire sur les registres de la police leurs noms, surnoms, qualités et demeures, le lieu de leurs magasins et les actes relatifs à leurs entreprises. Cette obligation avait pour effet de décourager le commerce par la défiance qu'une telle précaution supposait de la part du gouvernement, par l'appui qu'elle donnait aux soupçons injustes du peuple, et surtout parce qu'elle tendait à

(1) V. une bonne analyse de ces Lettres dans le volume de M. Batbie sur Turgot, p. 183. Eur. de T. Ed. Daire, I, 154-256.

mettre continuellement la fortune des commerçants en grains à la merci d'une administration qui semblait s'être réservé le droit de les ruiner et de les déshonorer arbitrairement. En outre, ces formalités avilissantes écartaient nécessairement de ce commerce tous ceux d'entre les négociants qui, par leur fortune, l'étendue de leurs affaires, leurs lumières et leur honnêteté, auraient été les seuls propres à procurer au pays une véritable abondance.

D'autres dispositions des règlements défendaient de vendre ailleurs que dans les marchés, à des jours et à des heures fixes. De là, des frais de voiture inutiles, et une grande perte de temps pour les vendeurs aussi bien que pour les acheteurs. Un paysan ne pouvait acheter sur place, à son voisin, ou même à son seigneur, le blé nécessaire à sa consommation. Il fallait qu'il fit tout exprès le voyage du marché le plus proche. Si la ville était éloignée, si la saison était mauvaise, si les routes étaient défoncées ou s'il n'y en avait pas, si le paysan n'avait pas de charrette, de cheval ou d'âne pour faire le voyage, s'il ne trouvait pas à emprunter, et s'il était forcé d'aller à pied, s'il devait rapporter sur son dos le sac de blé acheté à la ville, n'importe ! la loi n'entrait point dans ces détails, le paysan se tirait d'affaire comme il pouvait.

Ce n'est pas tout encore. Dans chaque marché, les achats et les ventes étaient surchargés de droits de hallage, de magasinage et autres, également nuisibles au laboureur qui produit et au peuple qui consomme.

L'arrêt du 23 décembre 1770 avait, il est vrai, maintenu en principe la liberté du commerce intérieur et assuré la liberté de transporter des blés de province à province. Liberté illusoire! Les dispositions dont on l'accablait, sous prétexte d'en régler l'usage, y opposaient un obstacle invincible (1). Il n'était pas possible d'ailleurs de faire dans les marchés quelque achat considérable, sans y produire aussitôt une hausse extraordinaire, un vide subit, qui répandaient l'alarme; et comme les négociants ne pouvaient acheter que dans les marchés, ils ne réussissaient jamais à se procurer assez de blé à la fois pour secourir efficacement les provinces.

(1) On trouve dans un pamphlet de Voltaire, le Petit écrit sur l'arrêt du Conseil du 13 sept. 1774, des détails qui confirment exactement ceux-ci, et prouvent combien a été vexatoire la législation du commerce des blés.

Il s'exprime en ces termes: Nous gémissions depuis quelques années sous la nécessité qui nous était imposée de porter notre blé au marché de la chétive habitation qui se nomme capitale (chef-lieu). Dans vingt villages, les seigneurs, les curés, les laboureurs, les artisans, étaient forcés d'aller ou d'envoyer à grands frais à cette capitale: si on vendait chez soi, à son voisin, un setier de blé, on était condamné à une amende de 500 livres; et le blé, la voiture et les chevaux étaient

saisis au profit de ceux qui venaient exercer cette rapine avec une bandoliere (c'est-à-dire avec la force armée : la bandoulière était l'une des principales pièces de l'équipement des soldats, et l'on sait que la Ferme avait sa milice particulière). Tout seigneur qui, dans son village, donnait du froment ou de l'avoine à un de ses vassaux, était exposé à se voir puni comme un criminel: de sorte qu'il fallait que le seigneur envoyât ce blé à quatre lieues, au marche, et que le vassal fit quatre lieues pour le chercher et quatre licues pour le rapporter à sa porte, où il l'aurait eu sans frais et sans peine; on sent combien une telle vexation révolte le bon sens, la justice et la

nature. »

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