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fauvage: tout ira en dépériffant & tombera en décadence; & dans le premier cas urgent où la fûreté publique exigeroit les fecours réunis des membres de la fociété, on y recourroit inutilement : perfonne ne l'aime affez pour s'expofer en la défendant. Les fiecles paffés en ont fourni dans l'Europe un grand nombre d'exemples, & c'eft aux malheurs de ces temps que nous fommes redevables des lumieres qui ont éclairé la politique des Etats, & de la perfuafion où l'on eft généralement, que la confiance que l'on accorde à la banque publique, eft le tréfor le plus riche & le plus inépuifable dont puiffe jouir un Souverain.

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Après avoir ainfi rabaiffé l'intérêt de l'argent placé dans les banques publiques, fi les créanciers de ces banques forment une partie confidérable des capitalistes nationaux, il arrivera, que ceux qui chercheront de l'Argent à emprunter, n'offriront plus que l'intérêt que paie la banque & fe régleront fur elle; & les prêteurs n'ayant plus l'efpérance de placer leur Argent dans les banques fuivant l'ancien taux, fe contenteront d'un inté rêt moindre. Si d'un autre côté les créanciers des banques publiques, ont mieux aimé retirer leurs capitaux, que d'effuyer un rabais dans les intérêts, il fe trouvera conféquemment plus d'argent à placer, les prêteurs feront en plus grand nombre, & il faudra néceffairement encore dans ce cas que les intérêts baiffent.

Les Gouvernemens ont un autre moyen pour faire baiffer l'intérêt de l'Argent. Pour découvrir ce moyen il fuffit de confidérer, qu'il eft deux raifons. pour lesquelles celui qui offre fon Argent en exige l'intérêt. La premiere, c'eft pour l'indemnifer du profit qu'il auroit pu retirer de cet Argent, fi au-lieu de le prêter, il l'avoit fait valoir lui-même dans le commerce, ou l'avoit employé à l'agriculture. La feconde, c'eft pour compenfer le rifque qu'il peut courir de perdre fon capital dans une Nation où l'industrie a la liberté de fe tourner du côté de toute forte d'entreprises lucratives. Nous avons déja vu par quels moyens les objets du commerce & de l'agriculture peuvent être amenés à un prix plus bas, & réduits quant à leur appréciation à un niveau plus raisonnable. Il fuit de là, que plus vous favoriferez & laifferez l'efpérance d'améliorer leur fort agir librement dans le cœur des hommes; plus vous ferez intervenir ces moyens qui débarraffent de toute entrave le principe vital & actif de l'industrie, qui tend à accroître la reproduction annuelle; plus auffi vous verrez diminuer naturellement cette portion d'intérêt que les négocians nomment lucre ceffant, qui décourage d'un travail fans profit, parce que rien ne reftant inutile, tout ayant du débit, rien ne fe fera fans gain. Il eft aufli au pouvoir du Législateur de diminuer le rifque de perdre, que les jurifconfultes nomnient dommage commerçant, rifque qui arrête tout court des entreprifes, à la fuite defquelles le commerçant ne voit que la perte de fa fortune. On atteindra ce but par le moyen des Loix excellentes, par l'établiffement des formalités judiciaires breves & fimples, par le choix éclairé de Magiftrats incorruptibles

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par-là chacun pourra facilement & complettement faire valoir fon propre droit; l'autorité publique toujours prompte à s'opposer à l'ufurpateur & à l'homme qui manque à fa parole, rendra fûre & digne de confiance la foi des contrats.

Ce que j'avance à ce fujet, eft fi vrai, que j'ofe foutenir qu'on ne trouvera aucun pays, où l'induftrie regne & où la bonne foi foit respectée, dans lequel l'intérêt de l'Argent foit haut; & au contraire par-tout où l'on paie un gros intérêt, la reproduction annuelle eft languiffante, & la fidélité des contrats fufpecte: on peut donc calculer la félicité des Etats d'après le taux de l'intérêt qu'on y paie pour l'Argent prêté.

Le taux de l'intérêt peut fe comparer de nation à nation, & de fiecle à fiecle, pour calculer le degré de félicité d'une nation qui fe pique d'être civilifée; mais on ne pourra jamais comparer la valeur d'aucune marchandise foit univerfelle, foit particuliere, de nation à nation, fi elles n'ont pas entr'elles une communication immédiate ou médiate par le moyen d'une troifieme nation; parce que la valeur peut baiffer autant par le défaut d'acheteurs, que par la multiplicité des vendeurs; autant par la rareté de l'efpece, que par la rapidité avec laquelle les ventes fe fuccedent. Il ne peut y avoir aucune mefure pour deux quantités diftantes l'une de l'autre fans relation & ifolées; j'en dis autant pour la comparaifon qu'on voudroit faire de la valeur d'un fiecle à l'autre, calcul par lequel on pourra bien trouver combien d'onces de métal on a cédé en échange d'une telle marchandife; mais qui ne conduira jamais à connoître au jufte fa valeur, fi par valeur, on entend, comme on le doit, le degré d'eftimation que la marchandise avoit dans l'opinion commune; parce que l'eftimation des métaux eux-mêmes a varié par la fuite des temps, & qu'ils font devenus moins précieux, à mesure que les mines inépuifables ont verfé en Europe, une plus grande quantité de cette marchandise univerfelle. Pour faire un calcul exact de la valeur entre deux nations qui ne fe communiquent point, foit à raifon de la diftance des lieux, foit à raifon de celle des temps, il faudroit avoir une note très-jufte du nombre des acheteurs & des vendeurs de ces deux nations, dans les deux époques qu'on veut comparer.

Voyez l'article INTÉRÊT DE L'ARGENT, & l'article OR, où nous traiterons des effets de l'abondance de l'Or & de l'Argent, & de la proportion entre l'Or & l'Argent.

Confidérations politiques fur les Pays où l'Argent n'a point de cours.

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'IL eft des pays où l'Argent n'ait point de cours, quel moyen d'y faire le commerce? Par échange. Mais les échanges font incommodes. Auffi s'y fait-il peu de ventes, peu d'achats & point d'ouvrages de luxe. Les habitans de ce pays peuvent être fainement nourris, bien, vêtus, & non connoître ce qu'en France on appelle le luxe.

· Mais un peuple fans Argent & fans luxe n'auroit-il pas à certains égards quelques avantages fur un peuple opulent? Oui fans doute : & ces avantages font tels qu'en un pays où l'on ignoreroit le prix de l'Argent, peutêtre ne pourroit-on l'y introduire fans crime,

Un peuple fans Argent, s'il eft éclairé, eft communément un peuple fans tyrans. On pourroit dire auffi fans 'ennemis. Qui fe proposera d'attaquer un pays où l'on ne peut gagner que des coups? On fait d'ailleurs qu'un peuple, tel que les Lacédémoniens par exemple, eft invincible, s'il eft nombreux. Le pouvoir arbitraire s'établit difficilement dans un royaume fans canaux fans commerce & fans grands chemins. Le Prince qui leve fes impôts en nature, c'eft-à-dire, en denrées, peut rarement foudoyer & raffembler le nombre d'hommes néceffaires pour mettre une nation aux fers.

Un Prince d'Orient fe fût difficilement aflis & foutenu fur le trône de Sparte ou de Rome naiffante.

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Or fi le defpotifme eft le plus cruel fléau des nations & la fource la plus féconde de leurs malheurs, la non-introduction de l'Argent qui communément les défend de la tyrannie, peut donc être regardée comme un bien. Mais jouiffoit-on à Sparte de certaines commodités de la vie? O riches & puiffans, qui faites cette queftion, ignorez-vous que les pays de luxe font ceux où les peuples font les plus miférables? Uniquement occupés de fatisfaire vos fantaisies vous prenez-vous pour la nation entiere? Etes-> vous feuls dans la nature? Y vivez-vous fans freres? O hommes fans deur, fans humanité & fans vertu, qui concentrez en vous feuls toutes vos affections, & vous créez fans ceffe de nouveaux befoins, fachez que Spartes étoit fans luxe, fans commodité, & que Sparte étoit heureufe! Seroit-ce en effet la fonptuofité des ameublemens & les recherches de la molleffe qui conftitueroient la félicité humaine? Il y auroit trop peu d'heureux. Placera-t-on le bonheur dans la délicateffe de la table? Mais la différente cuifine des nations prouve que la bonne chere n'eft que la chere ac

coutumée.

Si des mets bien apprêtés irritent mon appetit & me donnent quelques fenfations agréables, ils me donnent auffi des pefanteurs, des maladies; & tout compenfé, le tempérant eft au bout de l'an du moins auffi heureux que le gourmand. Quiconque a faim & peut fatisfaire ce befoin, eft content. Le payfan a-t-il du lard & des choux dans fon pot, il ne défire ni la gélinote des Alpes, ni la carpe du Rhin, ni l'hombre du lac de Geneve. Aucuns de ces mets ne lui manquent ni à moi non plus. Un homme eft-il bien nourri, bien vêtu le furplus de fon bonheur dépend de la maniere plus ou moins agréable dont il remplit, comme je le prouverai bientôt, l'intervalle qui fépare un befoin fatisfait d'un befoin renaiffant. Orca cet égard rien ne manquoit au bonheur du Lacédémonien; & malgré l'appa rente auftérité de fes mœurs, de tous les Grecs, dit Xénophon, c'étoit le

Tome VI.

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plus heureux. Le Spartiate avoit-il fatisfait à fes befoins; il defcendoit dans l'arene, & c'eft-là qu'en préfence des vieillards & des plus belles femmes, il pouvoit chaque jour déployer dans des jeux & des exercices publics, toute la force, l'agilité, la foupleffe de fon corps, & montrer dans la vivacité de fes reparties toute la jufteffe & la précision de fon efprit.

Or de toutes les occupations propres à remplir l'intervalle d'un befoin fatisfait au befoin renaiffant, aucunes qui foient plus agréables. Le Lacédémonien fans commerce & fans argent étoit donc à-peu-près auffi heureux qu'un peuple peut l'être. J'affurerai donc, d'après l'expérience & Xénophon, qu'on peut bannir l'Argent d'un Etat & y conferver le bonheur. A quelle caufe d'ailleurs rapporter la félicité publique, fi ce n'eft à la vertu des particuliers? Les contrées en général les plus fortunées font donc celles où les citoyens font les plus vertueux. Or feroit-ce dans les pays où l'Argent. a cours que les citoyens feroient tels?

Dans tout Gouvernement le principe le plus fécond en vertu eft l'exactitude à punir & à récompenfer les actions utiles ou nuifibles à la fociété.

Mais en quel pays ces actions font-elles le plus exactement honorées & punies? Dans ceux où la gloire, l'eftime générale & les avantages at¬ tachés à cette eftime, font les feules récompenfes connues. Dans ces pays la nation eft l'unique & jufte difpenfatrice des récompenfes. La confidération générale, ce don de la reconnoiffance publique, n'y peut être accordée qu'aux idées & aux actions utiles à la nation, & tout citoyen en cons féquence s'y trouve néceffité à la vertu.

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En eft-il ainfi dans un pays où l'Argent a cours? Non, le public n'y peut être le feul poffeffeur des richeffes, ni par conféquent l'unique distri buteur des récompenfes. Quiconque a de l'Argent, peut en donner, & le donne communément à la perfonne qui lui procure le plus de plaifir. Or cette perfonne n'eft pas toujours la plus honnête. En effet, fi l'homme, veut toujours obtenir avec le plus de fûreté & le moins de peine poffible l'objet de fes défirs, & qu'il foit plus facile de fe rendre agréable aux puiffans que recommandable au public, c'est donc au puiffant qu'en géné ral on veut plaire. Or fi l'intérêt du puiffant eft fouvent contraire à l'intérêt national, les plus grandes récompenfes feront donc en certains pays fouvent décernées aux actions qui perfonnellement utiles aux grands, font nuifibles au public & par confequent criminelles. Voilà pourquoi les richeffes y font fi fouvent accumulées fur des hommes accufés de baffeffes, d'intrigues, d'efpionnage, &c. pourquoi les récompenfes pécuniaires prefque toujours accordées au vice, y produisent tant de vicieux, & pourquoi l'Argent a toujours été regardé comme une fource de corruption.

Je conviens donc qu'à la tête d'une nouvelle Colonie, fi j'allois fonder un nouvel Empire, & que je puffe à mon choix enflammer mes colons de la paffion de la gloire ou de l'argent, c'est celle de la gloire que je devrois leur inspirer. C'est en faisant de l'estime publique & des avantages attachés

cette eftime, le principe d'activité de ces nouveaux Citoyens, que je les néceffiterois à la vertu.

Dans un pays où l'Argent n'a point de cours, rien de plus facile que d'entretenir l'ordre & l'harmonie, d'encourager les talens & les vertus, & d'en bannir les vices. On entrevoit même en ce pays la poffibilité d'une législation inaltérable, ce qui, fuppofée bonne, conferveroit toujours les Citoyens dans le même état de bonheur. Cette poffibilité difparoît dans les pays où l'Argent a cours.

Peut-être le problême d'une Législation parfaite & durable y devient-il trop compliqué pour pouvoir être encore réfolu. Ce que je fais, c'est que l'amour de l'Argent y étouffant tout efprit, toute vertu patriotique, y doit à la longue engendrer tous les vices dont il est trop fouvent la récompense.

Mais convenir que dans l'établiffement d'une nouvelle Colonie, on doit s'opposer à l'introduction de l'Argent, c'eft convenir avec les moralistes aufteres du danger du luxe. Non, c'eft avouer fimplement que la cause du luxe, c'eft-à-dire, que le partage trop inégal des richesses eft un mal. C'en eft un en effet, & le luxe eft à certains égards le remede à ce mal. Au moment de la formation d'une fociété, l'on peut fans doute fe propofer d'en bannir l'Argent. Mais peut-on comparer l'état d'une telle fociété à celui où se trouvent maintenant la plupart des Nations de l'Europe?

*

Seroit-ce dans des contrées à moitié foumises au defpotifme, où l'Argent eut toujours cours, où les richeffes font déja raffemblées en un petit nombre de mains, qu'un efprit fenfé formeroit un pareil projet? Suppofons le projet exécuté fuppofons l'ufage & l'introduction de l'Argent défendu dans un pays. Qu'en réfulteroit-il? Je vais l'examiner.

Chez les peuples riches, s'il eft beaucoup de vicieux, c'eft qu'il eft beaucoup de récompenfes pour le vice. S'il s'y fait communément un grand commerce, c'eft que l'Argent y facilite les échanges. Si le luxe s'y montre dans toute fa pompe, c'eft que la très-inégale répartition des richesses produit le luxe le plus apparent, & qu'alors pour le bannir d'un Etat, il faudroit, comme je l'ai déja prouvé, en bannir l'Argent. Or nul Prince ne peut concevoir un tel deffein; & fuppofé qu'il le conçût, nulle Nation, dans l'état actuel de l'Europe, qui fe prêtát à fes défirs. Je veux cependant qu'humble difciple d'un moralifte auftere, un Monarque forme ce projet & l'exécute. Que s'enfuivroit-il? La dépopulation prefqu'entiere de l'Etat. Qu'en France, par exemple, on défende, comme à Sparte, l'introduction de l'argent & l'ufage de tout meuble non fait avec la hache ou la ferpe. Alors le maçon, l'architecte, le fculpteur, le ferrurier de luxe, le charron, le verniffeur, le perruquier, l'ébénifte, la fileufe, l'ouvrier en toile, en laine fine, en dentelles, foieries, &c. abandonneront la France & chercheront un pays qui les nourriffe. Le nombre de ces exilés volontaires montera peut-être en ce Royaume au quart de fes habitans. Or fi le nom

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