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A cette façon d'opiner, qui ne pouvoit déceler l'avis de perfonne, les trente Tyrans, pour fe rendre maîtres des décifions de l'Aréopage fubftituerent une autre, par le moyen de laquelle ils favoient précisément le parti qu'avoit pris chacun des Juges. Car ils les obligeoient d'apporter publiquement leurs calculs fur deux tables qu'ils avoient fait placer devant eux, & dont la difpofition étoit toute oppofée à celle des urnes, puifque la premiere de ces tables étoit celle de la vie, & la feconde celle de la mort.

Les premiers calculs n'étoient point, comme le prétendent quelques Auteurs, de petits os de porc, mais des coquilles de mer, remplacées depuis par des pieces d'airain de la même figure, appellées fpondyles. Deux chofes diftinguoient ces calculs, la forme & la couleur. Ceux qui condamnoient étoient noirs & percés par le milieu, les autres étoient entiers & blancs. Je ne fais fi l'on ne pourroit pas regarder la précaution qu'on prenoit de percer les noirs, comme une preuve de ce que nous avons dir d'abord, que les Areopagites jugeoient pendant la nuit; car à quoi bon percer les calculs noirs, fi l'on eût pu voir les uns & les autres & appercevoir par le fecours de la lumiere, la différence de leur couleur? Mais en jugeant pendant les ténébres, il eft clair qu'on avoit befoin d'une différence, autre que celle de la couleur, pour démêler les uns d'avec les autres. Au refte, il étoit très-permis de multiplier les différences entre les fignes, qui en mettoient une fi grande dans la deftinée des hommes.

Après que les fuffrages avoient été recueillis, on les tiroit des deux urnes, & on les mettoit dans un troisieme vase d'airain. On les comptoit enfuite, & felon que le nombre des noirs prévaloit ou étoit inférieur à celui des blancs, les juges traçoient avec l'ongle une ligne plus ou moins courte, fur une espece de tablette enduite de cire, fur laquelle on marquoit le résultat de chaque affaire. La plus courte fignifioit que l'accufé étoit renvoyé abfous; la plus longue exprimoit fa condamnation.

A l'égard des émolumens des Juges, ils étoient auffi médiocres que ceux des Avocats. La longueur de la procédure n'y changeoit rien; & quand la décision d'une affaire étoit renvoyée au lendemain, les Commiffaires n'avoient ce jour-là qu'une obole. Auffi Mercure eft-il étonné, dans Lucien, que des vieillards auffi fenfés que l'étoient les vieillards de l'Aréopage, vendent à fi bon marché la peine qu'ils ont de monter fi haut.

Pour ce qui eft du nombre des Juges, dont l'Aréopage étoit compofé, & des principales décifions de ce tribunal depuis fa fondation, il faut d'abord remarquer qu'on a fouvent confondu les Areopagites avec les Ephétes & les Prytanes. C'est ce qui fait que nous lifons dans certains Auteurs, que l'Aréopage étoit compofé de cinquante-un Juges, ce qui n'eft vrai que des Ephétes; & que nous trouvons dans d'autres que les Aréopagites étoient au nombre de trois cens, ce qui n'appartient qu'aux prytanes. Quelques-uns ne faifant attention qu'à une partie du réglement de

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Solon, par lequel il ordonna qu'on ne recevroit déformais dans l'Aréopage que les neuf Archontes qui fortoient de charge, fe font figurés que ce tribunal fe renouvelloit tous les ans, & qu'il n'étoit jamais composé que de neuf Magiftrats. Car je ne parle point du fcholiafte d'Efchyle, qui a avancé, fans aucun fondement, que les Areopagites étoient au nombre de

trente-un.

Mais toutes ces opinions font folidement réfutées par le détail que nous fait Diogene Laërce, de la condamnation de Socrate. Ce grand homme avoit voulu fubftituer au fyftême religieux de fon temps, plein d'extravagances & de fables, une hypothefe plus fupportable. Ce projet, de faire une Religion raisonnable, parut impie. Socrate fut dénoncé à l'Aréopage & eut autant d'accufateurs que de concitoyens. Après qu'on eut entendu les griefs & les réponses, on alla aux fuffrages; les avis fe partagerent, non pas également, car le nombre de ceux qui le condamnerent, furpaffa de deux cens quatre-vingt-une voix le nombre de ceux qui le déclarerent innocent. Et fur ce qu'il s'avifa de dire, en fe moquant d'un jugement fi inique, qu'il concluoit à ce qu'on lui affurât fa fubfiftance dans le prytanée, quatre-vingt de ceux qui avoient été d'abord pour lui, fe détacherent, revinrent à la décifion des autres, & le condamnerent à mort. Voilà de bon compte trois cens foixante-un Juges qui condamnent, auxquels il faut joindre ceux qui perfifterent à abfoudre, ce qui fait conftamment un nombre très-confidérable.

Par rapport au jugement de l'Aréopage, le plus fameux fans doute, après. celui qui y fut rendu contre Mars, eft celui d'Orefte. Son aventure, arrivée fous Démophon, XII. Roi d'Athenes, en 375 de l'ére attique, doit toute fa réputation à une circonftance qui donna occafion à un ufage qui s'obferva toujours depuis lui. Oreste avoit tué fa mere. Cette action fut portée à l'Areopage. Orefte y fut cité, & l'égalité parfaite des fuffrages oppofés, alloit le faire périr, quand Minerve touchée de fes malheurs, fe déclara pour ceux qui l'avoient abfous & joignit fon calcul à leurs fuffrages. Orefte fut ainfi fauvé. En mémoire de ce miracle, toutes les fois que les voix étoient égales de part & d'autre, on décidoit en faveur de l'accufé, en lui donnant ce qu'on appelloit le calcul de Minerve. Céphale & Dédale avoient été condamnés l'un & l'autre par l'Aréopage, long-temps avant Orefte.

On trouve encore quelques décifions de ce tribunal, toujours marquées au coin de la plus exacte juftice, mais peu intéreffantes par leur objet. Nous finirons par l'Hiftoire que nous lifons dans Aulu-Gelle & Valere Maxime, d'une femme accufée d'avoir empoifonné fon mari & fon fils. Elle fut prife & conduite à Dolabella, pour lors proconful d'Afie. A peine fut-elle en fa préfence qu'elle avoua le fait, & ajouta qu'elle avoit eu de très-bonnes raifons pour se défaire de fon mari & de fon fils. » J'avois, » dit-elle, d'un premier lit un fils que j'aimois paffionnément, & bien di

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» gne par fes vertus, de toute ma tendreffe. Mon fecond mari & le fils qu'il m'avoit donné l'ont affaffiné. Je n'ai pas cru devoir laiffer vivre ces » deux monftres de cruauté. C'eft à vous, Seigneurs, de punir un crime » dont je ne fuis pas affez méchante pour me repentir jamais. « L'affaire parut embarraffante à Dolabella. Il la propofa à fon Confeil qui n'ofa la décider. Elle fut portée enfuite à l'Aréopage, qui, après l'avoir examinée long-temps, ordonna à la femme & à l'accufateur de fe repréfenter en cent ans, à compter du jour que la caufe avoit été mife en délibération. Au refte, il ne faut pas s'imaginer que l'Aréopage ait toujours confervé fon premier éclat; car telle eft la fatalité attachée aux chofes humaines. La perfection, à leur égard, est un état violent, & par conféquent de paffage. Périclès, cent ans environ après Solon, pour flatter le peuple & le mettre dans fon parti, fit tous fes efforts pour affoiblir l'Areopage, qui commençoit à peser à la multitude. Il lui ôta la connoiffance de beaucoup d'affaires, & fit fervir au deffein qu'il avoit de l'humilier, l'éloquence d'Ephialtes, homme redoutable par fes talens, & ennemi déclaré des Grands d'Athenes.

L'Areopage lui-même parut entrer dans les vues d'un homme qui projettoit fa ruine, & fit tout ce qu'il falloit pour hâter fa propre décadence. Les précautions qu'on prenoit d'abord pour ne recevoir dans cette compagnie, que des gens qui par toute leur conduite, puffent en foutenir la majefté, parurent outrées. On fut moins délicat fur le choix; & dans la confiance préfomptueufe où l'on étoit, que les défauts auxquels on faifoit grace, ne tiendroient pas long-temps contre tant de bons exemples, on ne s'apperçut pas que le vice s'y gliffoit. La corruption, cachée d'abord & timide, gagna infenfiblement, & fit enfin de tels progrès, qu'on vit jouer fur le théâtre les crimes les plus honteux, pris, non de la multitude née, ce femble, pour le vice, mais du fein même d'un tribunal, qui en avoit été jufques-là l'effroi. Démétrius le comique fit une piece, qu'il intitula l'Areopagite, dans laquelle il démafque ces fénateurs hypocrites, que les préfens & la beauté corrompoient également. Voilà la fituation où étoient les chofes du temps d'Ifocrate. La peinture qu'il en fait, dans fon parallele de l'Aréopage dans fa gloire, avec l'Aréopage tombé, est trop belle, pour ne pas en raffembler ici les principaux traits, lefquels termi

neront cet article.

» Dans les beaux jours de l'Areopage, dit cet Auteur, les jeunes gens fuyoient ces amusemens dans lefquels ils paffent maintenant leur vie. Tout occupés de leurs devoirs, ils étoient uniquement touchés de la gloire folide de les bien remplir, & on n'accordoit fon adminiftration qu'à ceux qui fe diftinguoient dans ce genre par un fuccès plus éclatant & plus foutenu. Ils évitoient la place publique avec beaucoup de foin; & quand une néceffité indifpenfable les forçoit d'y paffer, ils le faifoient avec une mo destie & une pudeur, qui montroit bien que le goût ne les y portoit pas.

Le

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Le mépris injurieux pour les vieillards, la plus légere oppofition même à leurs fentimens, leur paroiffoient un crime énorme. L'horreur pour le cabaret étoit fi grande & fi générale, qu'un efclave qui avoit de l'honneur, avoit honte d'y boire ou d'y manger. Le talent de la plaifanterie n'avoit rien qui flattât leur goût. Ils n'en avoient que pour les chofes graves & férieufes; & cette facilité dangereufe pour les bons mots, qu'on regarde maintenant comme un préfent de la nature digne d'envie, n'excitoit alors que la compaffion. Et qu'on ne s'imagine pas que j'en veuille plus de mal à la jeuneffe de nos jours. La corruption où elle eft plongée, n'eft point fon ouvrage; & j'en connois beaucoup pour qui cette licence effrénée n'a point d'attraits. A qui faut-il donc s'en prendre? A ceux, qui avant nous gouvernoient la République. Ce font eux qui ont ouvert la porte à tous ces défordres qui l'inondent, en dégradant le fénat; ce fénat qui défendoit Athenes des maux qui l'accablent aujourd'hui, des accufations fauffes, de l'indigence, des exactions de la guerre; ce fénat qui, la concorde au-dedans & la paix au-dehors, avoit rendu les Athéniens également fideles au refte de la Grece, qu'ils avoient fauvée, & redoutable aux barbares, dont ils avoient tellement réprimé l'audace, qu'ils fe croyoient trop heureux, quand la main qui leur avoit porté des coups fi terribles, ceffoit de frapper, C'étoit encore à ce fénat que l'on devoit cette fécurité fi parfaite, dans laquelle on voyoit couler fes jours fi tranquilles. On embelliffoit, fans crainte des voleurs, les maifons de campagne les moins gardées, & la magnificence s'y déployoit auffi fûrement qu'à la ville. Dans ces jours heureux d'innocence & de candeur, la plupart des Citoyens, renfermés dans l'enceinte de leurs héritages, ne pouvoient fe réfoudre à les quitter. Les fêtes les plus folemnelles ne les rappelloient point à la ville; & la douceur du fpectacle domeftique, l'emportoit chez eux, fur la pompe des jeux publics. Juftes eftimateurs des chofes, ils ne mefuroient point leur bonheur fur la magnificence des fpectacles, ni fur la libéralité paffagere & intéreffée des Ediles, qui, dans les largeffes qu'ils font au peuple, n'ont d'autre but que d'effacer leurs prédéceffeurs ou leurs collégues. Mais ils faifoient confifter leur véritable félicité dans une vie fimple & modefte, & dans une abondance générale qui pût fournir à chacun des Citoyens toutes les chofes néceffaires à la vie. Quel bonheur en effet, & quelle fageffe dans ceux qui gouvernoient alors! que ce fort étoit doux & que le nôtre eft déplorable! Peut-on voir en effet, fans être pénétré de la douleur la plus amere, ces Citoyens infortunés qui, privés de tout fecours, vont aux tribunaux publics, chercher dans les caprices du hafard de quoi ne pas mourir de mifere, pendant que l'Etat s'empreffe de fournir au luxe & aux débauches des rameurs, excès fans doute inouis à nos peres, & néceffairement réfervés aux temps funeftes qui devoient faire la ruine de l'Aréopage. <

Tome VI.

I

VOICI

ARÉ OPAGITE, f. m. Juge de l'Aréopage.

OICI le portrait qu'Ifocrate nous a tracé de ces hommes merveilleux, & du bon ordre qu'ils établirent dans Athenes. Les juges de l'Areopage, dit cet Auteur, n'étoient point occupés de la maniere dont ils puniroient les crimes, mais uniquement d'en infpirer une telle horreur, que perfonne ne pût fe réfoudre à en commettre aucun les ennemis, felon leur façon de penfer, étoient faits pour punir les crimes; mais eux pour corriger les mœurs. Ils donnoient à tous les Citoyens des foins généreux, mais ils avoient une attention spéciale aux jeunes gens. Ils n'ignoroient pas que la fougue des paffions naiffantes donne à cet âge tendre les plus violentes fecouffes, qu'il faut à ces jeunes cœurs une éducation dont l'àpreté foit adoucie par certaine mesure de plaifir, & qu'au fonds il n'y a que les exercices où fe trouve cet heureux mêlange de travail & d'agrément, dont la pratique conftante puiffe plaire à ceux qui ont été bien élevés. Les fortunes étoient trop inégales pour qu'ils puffent prefcrire à tous indifféremment les mêmes chofes & au même degré; ils en proportionnoient la qualité & l'ufage aux facultés de chaque famille. Les moins riches étoient appliqués à l'agricul ture & au négoce, fur ce principe que la pareffe produit l'indigence, & l'indigence les plus grands crimes: ayant ainfi arraché les racines des plus grands maux, ils croyoient n'en avoir plus rien à craindre. Les exercices du corps, le cheval, la chaffe, l'étude de la Philofophie, étoient le partage de ceux à qui une meilleure fortune donnoit de plus grands fecours : dans une diftribution fi fage, leur but étoit de fauver les grands crimes aux pauvres, & de faciliter aux riches l'acquifition des vertus. Peu contens d'avoir établi des Loix fi utiles, ils étoient d'une extrême attention à les faire obferver: dans cet efprit, ils avoient diftribué la Ville en quartiers, & la campagne en cantons différens. Tout fe paffoit ainfi comme fous leurs yeux. Rien ne leur échappoit des conduites particulieres. Ceux qui s'écartoient de la regle, étoient cités devant les Magiftrats, qui affortif foient les avis ou les peines à la qualité des fautes dont les coupables étoient convaincus. Les mêmes Areopagites engageoient les riches à foulager les pauvres; ils réprimoient l'intempérance de la jeuneffe par une difcipline auftere. L'avarice des Magiftrats effrayée par des fupplices toujours prêts à la punir, n'ofoit paroitre; & les vieillards, à la vue des emplois & des refpects des jeunes gens, fe tiroient de la léthargie, dans laquelle ce grand âge a coutume de les plonger. Auffi ces juges fi refpectables n'avoient-ils en vue que de rendre leurs Citoyens meilleurs, & la République plus floriffante. Ils étoient fi défintéreflés, qu'ils ne recevoient rien, ou prefque rien pour leur droit de préfence aux jugemens qu'ils pro

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