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l'âme, vous les chercherez vainement dans aucun monument de la poésie française au moyen âge. Ni Iliade, ni Odyssée, ni poésie pindarique, rien de ce qui ébranle, rien de ce qui entraîne, rien de ce qui laisse un éternel sillon dans la pensée. Partout de petites chansons, de petits récits, de petits contes, légers, spirituels et gracieux.

Suivez la tradition. Voici venir un vrai poète qui a reçu le don d'exprimer en de vives images des sentiments sincères. Mais Villon ne trouve qu'une ou deux fois dans les remords de sa vie le rayon de feu des poètes.

Le siècle de la renaissance se lève. Les lumières arrivent à flots. Tous les esprits en sont inondés. Où sont les grands poètes? L'Italie produit l'Arioste et le Tasse, après avoir produit deux siècles auparavant le Dante, Pétrarque, Boccace. L'Espagne produit Garsilaso de la Véga, Louis de Léon, Herrera, Cervantès, Lope de Véga. L'Angleterre produit Shakspeare. Que produit la France? Marot, Marguerite de Navarre, Mellin de Saint-Gelais, Ronsard, du Bellay, Desportes, Bertaut, muses légères et gracieuses, esprits naïfs et délicats, âmes sensibles même, mais d'une sensibilité douce et toute de surface. Ronsard veut pindariser et homériser; il ne parvient qu'à étouffer l'inspiration poétique sous le fardeau de l'érudition gréco-latine et ne réussit que dans la poésie légère !..... La poésie du xvre siècle, c'est la satire, la satire politique dans Agrippa d'Aubigné et dans la Ménippée, la satire littéraire, philosophique et sociale dans Mathurin Regnier et dans Rabelais. Toujours l'esprit gaulois, l'esprit de la gausserie et de la gaieté plaisante. Mais la grande imagination, mais l'enthousiasme lyrique, où les chercherez-vous?

Enfin Malherbe vint... et que fit-il? Il perfectionna la langueet lui apprit la dignité, la pureté, l'harmonie. Grammairien devenu poète à force de travail et qui eut ses heures d'inspiration.

Le siècle de Louis XIV eut de grands poètes. Et cependant, examinez de près au point de vue purement poétique, au point. de vue du sentiment et de l'image, que trouverez-vous ? Des choses admirables dans Racine pour le charme et la tendresse, et dans Corneille pour la grandeur. Mais Racine est un Athénien du siècle de Périclès dont le christianisme a renouvelé l'inspiration et dont la galanterie moderne a raffiné la langue, et Corneille est Romain et Castillan, compatriote de Sénèque et de Caldéron. La tragédie est une œuvre d'art plus encore que de

poésie, et les grandes beautés du théâtre français sont plus éloquentes que poétiques. Au lieu de s'échapper du cœur comme la lave d'un volcan, la passion raisonne et s'étudie elle-même, et l'image semble fuir devant la raison. Pour juger un poète sur le terrain de la poésie pure, il faut le juger dans l'ode, dans l'élégie, dans l'épopée. Considéré à ce point de vue, le xvIIe sciècle, à l'exception des chœurs d'Athalie et d'Esther, est complètement stérile. L'Homère de la France, c'est La Fontaine, le continuateur des trouvères gaulois du moyen âge. Molière, le roi de la comédie, est plus philosophe que poète. Boileau, l'oracle du bon sens, habite, dans l'ordre du sentiment et de l'imagination, la région moyenne.

Et au dernier siècle? J. B. Rousseau et Lefranc de Pompignan sont les Horaces et les Pindares de la France. Vous citerez d'eux quelques belles strophes. Mais comparez-les aux grands lyriques de la Grèce et de Rome, de l'Italie et de l'Espagne, et prononcez.

Le xvIIe siècle a produit Voltaire, grand nom, mais poète sans originalité, excepté dans la poésie philosophique et dans la poésie légère. La fin du XVшe a vu naître André Chénier, imagination grecque, fleur d'Ionie transplantée sur les bords de la Seine.

De nos jours la France a produit Lamartine et Victor Hugo, deux noms éclatants. Mais le plus souvent il n'y a de français en eux que les mots de la langue dont ils se servent. Hugo est un Pindare doublé d'un Gongora. Lamartine a dans le cœur la mélancolie du Nord et dans l'imagination les couleurs de l'Italie et de l'Orient, âme séraphique, plus digne du ciel que de la terre, mais le moins français des poètes, car il ne rit jamais. Quel a été le plus national des poètes de ce siècle? Béranger, qui ne fut guère un grand poète, mais qui sut chanter la gaudriole. De Musset, poète du caprice, avait quelque chose de la verve gauloise, et c'est par là, beaucoup plus que par ses poésies sérieuses, qu'il a plu à la France.

La poésie n'est jamais parvenue à se populariser chez nos voisins, parce qu'elle n'est pas dans le caractère de la race et du terroir. Nourriture sobre et légère, mets fins, délicats, hachés menu, voilà ce qu'il faut à l'estomac français. Les grands plats paraissent indigestes on n'y touche pas, ou bien on s'en dégoûte, après une vogue momentanée. La France, par ses seules forces, ne pouvait dépasser Marot. La poésie noble, la poésie

de Corneille et de Racine est le fruit de la culture classique, de l'imitation castillane, du génie chrétien et de la magnificence du grand siècle. Il a fallu ces initiations diverses pour élever le génie des poètes aux régions de l'idéal. Supprimez cet âge de splendeur, vous n'avez plus rien de grand. Tout se réduit à des traits fins et délicats, à des traits de malice et de naïveté gauloise. Le XVIIIe siècle n'aurait pas connu la poésie noble, et Voltaire, comme toute sa race, se fût traîné dans la même ornière esprit frondeur et sans moralité, esprit effleurant tout et n'approfondissant rien :

Glissez, mortels, n'appuyez pas.

Mais, grâce à la culture classique, la poésie française, menacée d'une éternelle enfance, a dépassé, dans ce siècle immortel de Louis XIV, la poésie de tous les autres peuples modernes, et s'est placée au niveau des littératures de la Grèce et de Rome. Le naïf et prosaïque langage gaulois est devenu assez fort pour porter le poids des vérités universelles, et l'esprit français s'est confondu avec le bon sens de l'humanité. Répudiant les écarts des peuples du Nord et du Midi, la France a frappé d'impopularité ceux qui méconnaissaient sa nature pour lui donner une physionomie étrangère, et elle a trouvé avec un goût exquis le chemin de la perfection entre les écueils. Elle s'est approprié tout l'or d'expression et d'idées importé par la Renaissance, par l'Italie et l'Espagne, en le marquant de son empreinte. Elle s'est créé une langue faite de lumière et capable de porter le jour dans tous les recoins de la pensée, mais tendant à la vérité plus qu'à la beauté, au réel plus qu'à l'idéal et se prêtant mieux à la prose qu'aux vers. Malherbe, de son temps, disait déjà des vers beaux comme de la prose. Plus que jamais la prose française, le plus complet instrument de communication intellectuelle qu'il y ait dans le monde, devient l'interprête de la pensée poétique comme de la pensée philosophique, et nous croyons que le lyrisme seul, à l'avenir, pourra s'exprimer en vers dans des œuvres durables. Les poèmes de longue haleine s'écriront en prose. Quoi qu'il en soit, la poésie française ne perdra jamais son empire, parce que l'essor de l'imagination et de la sensibilité y est réglé par le bon sens et la raison, muses un peu froides, mais aussi impérissables que l'esprit humain.

PREMIÈRE SECTION.

LE MOYEN AGE.

CHAPITRE Ier.

LA POÉSIE LYRIQUE DES TROUBADOURS.

Quand l'heure des croisades eut sonné, à la fin du onzième siècle, la France vit naître dans son sein deux littératures reflétant le caractère des peuples qui vivaient sous deux climats différents la poésie des troubadours et la poésie des trouvères; la première en langue d'oc, la seconde en langue d'oil, au midi et au nord, dans la Provence et dans la Normandie, parmi les peuples en deçà ou au delà de la Loire.

Ce n'est pas au nord, c'est au midi que devait apparaître la première floraison poétique en langue romane.

Il y a plus d'une raison à cette primauté du midi. D'abord, il y a au midi plus de soleil, et le soleil est le père de la poésie, comme il est, après Dieu, le père de tout ce qui vit dans la nature. Les Grecs le savaient bien, eux qui ont fait de Phébus Apollon le dieu de la lumière et des arts. Ensuite, sans parler des Ibères, ces premiers habitants du midi de la Gaule à l'esprit vif et ingénieux, à la parole abondante et rapide comme les flots de la Garonne, la Provence a vu passer dans son territoire deux civilisations brillantes les Grecs eux-mêmes, qui avaient colonisé Marseille et y avaient importé leur langue, leur religion et leurs arts avec

leur commerce; Rome, qui trouva dans ces contrées ses plus habiles rhéteurs et ses derniers poètes.

Ensuite, le midi eut moins à souffrir que le nord des invasions des barbares, et jouit d'une tranquillité relative sous la domination des Visigoths et des Bourguignons.

Il y a deux causes qui ont retardé le développement de la poésie française et qui condamnent notre langue à une infériorité relative sur les idiomes du Midi dans l'expression des sentiments poétiques la fixité de construction dans la phrase et l'e muet à la fin des mots. La construction directe convient merveilleusement à la prose: c'est une condition de clarté ; mais elle nuit à l'harmonie, première qualité du vers. La prononciation sourde de l'e muet est plus fatale encore à la sonorité des mots. Ajoutons-y l'abondance des nasales et des consonnes, et nous comprendrons pourquoi il est si difficile d'écrire mélodieusement en français.

Le provençal avait conservé, comme l'italien et l'espagnol, une plus grande faculté d'inversion, et surtout les voyelles sonores du latin. De là plus de facilité dans la cadence par la succession des temps faibles et des temps forts, comme on dit en musique; l'accentuation substituée aux syllabes longues ou brèves, lentes ou rapides des langues anciennes. A l'allitération des vers monorimes le provençal substitue l'assonance des rimes entrelacées en harmonieuses guirlandes avec une symétrie agréable à l'œil et un balancement cadencé séduisant à l'oreille. Le roman wallon était âpre, lourd, énergique comme les souffles du Nord; le roman provençal avait la douceur, la légèreté, la mollesse des brises du Midi.

Ainsi le provençal, favorisé par un riant climat, s'épanouit le premier et donna naissance à la poésie aimable et fleurie des troubadours, qui jeta un si vif éclat pour s'évanouir bientôt comme un météore. Le caractère lyrique qu'elle revêtit tient aux émanations parfumées de la nature méridionale, à l'insouciance de la vie dans des châteaux toujours en fête, aux impressions vives des guerriers poètes, à la galanterie chevaleresque qui agenouilla la poésie aux pieds des femmes.

L'art des troubadours prit naissance à la cour des seigneurs provençaux. Là était née la chevalerie, comme une réaction contre le brigandage et les violences de la féodalité tyrannique. Le chevalier brave, généreux et loyal se mit au service de la beauté,

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