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Epitaphe du Roi de Prusse.

Hic cinis, nomen ubique (1).

On a donné, le 5 septembre, sur le théâtre de l'Académie royale de Musique, la première représentation de la Toison d'Or, opéra en trois actes. Les paroles sont de M. Dériaux, la musique de M. Vogel; ces deux auteurs ne sont connus par aucun autre ouvrage.

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Le sujet de la conquête de la Toison d'Or avait déjà été traité par le grand Corneille et par J. B. Rousseau. L'expédition des Argonautes pour s'ouvrir un commerce avec ces mêmes contrées que Catherine II vient de réunir à son vaste empire, est une des époques les mieux constatées des premiers tems de l'histoire grecque; malgré les fables dont les poètes l'ont enveloppée, il est un fait astronomique qui ne laisse aucun doute sur ce premier essai de la navigation des Grecs dans la mer Noire. Chiron, qui était de cette expédition, observa le premier que l'équinoxe du printems était au milieu de la constellation du Bélier. C'est sur cette observation, faite il y a plus de 4,000 ans, que l'on s'est fondé pour établir depuis l'étonnante révolution de 24,800 ans que l'axe fait autour des pôles de l'écliptique. L'expédition, dont cette observation atteste encore la vérité, fut chantée par les poètes

(1) Sa cendre ici, son nom partout.

de la Grèce, qui seuls alors célébraient les grands évènemens; mais ils défigurèrent le fait historique en l'embellissant par le roman des amours de Médée pour Jason. Au reste, il est très-possible que Jason et ses Argonautes aient enlevé, dans leur expédition, quelque belle Mingrélienne; les poètes en auront fait une magicienne, parce que l'usage des poisons était très-commun dans la Mingrélie, ou peut-être parce qu'elle apporta aux Grecs la connaissance de quelques simples dont elle leur apprit à faire usage dans la médecine. Quoi qu'il en soit, cet évènement si célèbre dans l'antiquité l'est pour nous sous un autre point de vue. L'opéra n'existait pas encore en France lorsque le père du théâtre Français traita ce sujet en 1661; il en fit une tragédie à machine, mêlée de chant, qu'un marquis de Sourdéac, grand mécanicien, fit représenter dans son château de Neubourg, en Normandie, avec beaucoup de magnificence. C'est peut-être autant à cet essai qu'à la représentation d'une pastorale italienne en musique que le cardinal Ma→ zarin avait fait exécuter un an auparavant, que nous devons l'établissement de l'opéra en France; il est même très-probable que c'est à la Toison d'Or de Pierre Corneille que nous devons la forme des poëmes de notre opéra, si supérieure à celle qu'avaient adoptée et qu'ont conservée encore les Italiens, nos précurseurs dans tous les arts; ainsi c'est encore au père du théâtre Français que l'on doit l'union si difficile d'une ac

tion dramatique à la pompe des décorations, des chœurs et des danses qui, perfectionnée chaque jour, a fait de notre opéra le plus beau spectacle de l'univers. Long-tems après Corneille, en 1696, J. B. Rousseau composa un opéra de la Toison d'Or; mais cet ouvrage du plus célèbre de nos poètes lyriques n'eut aucun succès et n'en méritait guère; l'emploi qu'il y a fait sans mesure des ressources brillantes de la mythologie et le concours de presque tous les dieux qu'il introduit dans ce poëme, détruisent ou étouffent l'intérêt qui, dans ce sujet, doit naître essentiellement des passions contrastées de Médée et d'Hypsipyle. Le style d'ailleurs de cet ouvrage est peu digne de l'auteur de tant de belles odes, de cantiques si souvent sublimes, et surtout de ces admirables cantates, de tous ses ouvrages ceux où Rousseau a déployé peut-être le plus d'invention et de poésie.

Il s'en faut beaucoup qu'on puisse reprocher à M. Dériaux d'avoir trop employé, comme l'a fait Rousseau, les moyens magiques ou mythologiques que présente ce sujet; on peut lui reprocher d'être tombé dans un excès contraire, il l'a traité avec une sévérité que repousse le théâtre lyrique, parce qu'elle est défavorable au chant, le plus puissant et le premier de ses moyens. L'auteur a affecté de dépouiller sa fable de toute la pompe du spectacle que Corneille avait cru devoir employer dans sa tragédie, parce qu'elle tient à l'action même. Ces accessoires, si difficiles à obtenir quelquefois rai

sonnablement dans la tragédie-opéra, eussent tranché avec la couleur trop continuellement sombre que présente le poëme de M. Dériaux; ils eussent procuré au compositeur des transitions agréables et ces oppositions qui servent aussi officieusement les procédés de la musique que ceux de la peinture. A ce reproche on peut encore ajouter celui de n'avoir pas tiré plus de parti du principal ressort de l'action de ce poëme, l'intérêt que doivent inspirer l'amour malheureux d'Hypsipyle et la jalousie de Médée. Cet intérêt si mal établi, et aperçu plutôt que prononcé, est absolument détruit par la catastrophe qui termine le second acte; Hypsipyle morte, il importe peu au spectateur de savoir si Jason obtiendra ou n'obtiendra pas la toison. Il était difficile de rendre le rôle de ce prince intéressant, mais le poète pouvait se dispenser de l'avilir encore, de le rendre' quelquefois même ridicule. La manière dont l'auteur lui fait abandonner Médée à la fin du troisième acte contrarie trop l'opinion reçue et con sacrée au théâtre; cette espèce de dénouement, dont l'effet est presque nul, semble suspendre' l'action sans en offrir le complément. Corneille l'a terminé bien plus heureusement en présentant Médée montée sur son char, tenant en main la toison, et invitant Jason à la suivre, s'il veut l'ob-' tenir. Quant au style de cet ouvrage, il ne manque pas en général d'une sorte de chaleur, mais elle est souvent déparée par des incorrections et des négligences intolérables.

La musique de cet opéra avait été annoncée par les Gluckistes comme supérieure même à celle de leur auteur favori, conséquemment à toutes les musiques du monde; c'était au moins même le génie de Gluck qui l'avait inspirée. Cette dernière assertion a paru justifiée en quelque manière par l'opinion générale, car on a reconnu que non seulement M. Vogel a voulu imiter le style et la manière de ce compositeur, qu'aux accens d'un chant simple et mélodieux il s'est cru obligé de substituer sans cesse ces cris dont l'effet, à force de vouloir être dramatique, est aussi vague qu'il est étourdissant et pénible, mais on a retrouvé encore dans cette composition, prônée si fastueusement, des accompagnemens, des motifs d'airs, des chœurs entiers copiés fidèlement des deux Iphigénie, d'Alceste, d'Orphée, des Danaïdes.

Quoique, peu applaudi à la première représentation, il l'ait encore été moins aux suivantes, on ne peut nier que cet ouvrage n'ait eu jusqu'ici un succès très-décidé ; la recette au moins le prouve. Il est vrai que le comité de l'Opéra a fait toutes les conjurations capables de le faire réussir : on ne le donne que les beaux jours, on le soutient par des ballets, par des débuts, par tous les accessoires qui peuvent attirer l'affluence; et tous les journaux, qui prêtent habituellement leurs avis à tant de lecteurs qui n'en ont point, se sont accordés à prodiguer à cet ouvrage les louanges les plus propres à séduire la multitude et à réchauffer l'es

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