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ment. Trop de tiédeur pouvait brouiller le duc avec le roi d'Espagne. Dans cette hypothèse, les jésuites devenaient un obstacle qu'il écarta sans colère, sans passion, comme le voyageur pousse du pied le caillou qui embarrasse sa route. Il proposa donc la suppression par lassitude. Qu'on en juge sur un seul exemple. L'ambassadeur de France travaillait au renvoi du cardinal secrétaire-d'État. Il en écrivit au duc de Choiseul, dont voici la réponse officielle : « Vous êtes embarrassé, monsieur, du choix d'un Secrétaire-d'État si le cardinal Torrigiani venait à manquer, et moi, je suis excédé d'un sot nonce que vous m'avez envoyé, et qui certainement ne peut être bon dans aucun temps en France: unissons nos deux embarras, et travaillez là-bas pour que le nonce soit Secrétaire-d'État : il vaudra à coup sûr autant et aussi peu qu'un autre, et j'en serai débarrassé ici. (1). » Certes, ce n'est pas là le langage d'un persécuteur fanatique. Ce ne fut donc point par un sentiment profond dont les jésuites lui font honneur, que Choiseul sug. géra au roi d'Espagne la demande de la suppression de l'ordre; il céda à de nouvelles instances du Parlement de Paris dont il avait épousé les intérêts. « Qu'importe, disaient ces magistrats, que nous ayons chassé les jésuites de France, s'ils ne disparaissaient pas à jamais? Leur retour parmi nous reste toujours possible. Que faut

(1) Choiseul à d'Aubeterre, Versailles, décembre 1768.

il pour cela? un changement de règne ou de ministre, peut-être moins, le caprice d'une maîtresse, un áccès de dévotion dans un roi. dont l'âge décline. Louis XIV n'en a-t-il pas donné l'exemple? Et alors, que n'a-t-on pas à craindre du retour de prêtres ulcérés et triomphants? » Ainsi pensait le Parlement; Choiseul, indifférent, le laissa faire. Avec sa légèreté naturelle, il s'imagina rendre service aux jésuites en demandant l'abolition définitive de la Societé. Il les persécuta par pitié, et sollicita leur perte par humanité. Il vit avec peine le traitement infligé par des rois puissants à des vieillards désarmés. Leurs courses sur les mers, leur pénurie en Corse, l'affligeaient sincèrement. Selon lui, la mesure proposée était dans l'intérêt des jésuites euxmêmes. Délivrés de toute préoccupation, à l'abri de la haine des gouvernements, ils retrouveraient la paix dans l'intérieur de leurs familles; ils vivraient sans crainte, soumis aux lois de leur patrie, et seraient trop heureux de rentrer dans la vie commune.

Charles III et le duc de Choiseul tendaient au même résultat, mais par des moyens que leur caractère respectif rendait très - différents. Il y avait un singulier contraste entre ce ministre insouciant qui immolait une société religieuse à l'esprit du jour, et ce roi, franc catholique, persécuteur avec toute la partialité, tout le zèle, tout le sérieux d'un dominicain. On devait se préparer à voir la proposition du duc avidement accueillie à Madrid.

Il n'en fut pas ainsi : contre l'attente du ministre, Charles III recula devant la suppression systématique de l'ordre. Sa conscience lui représenta l'expulsion des jésuites d'Espagne comme une mesure de simple police, et l'abolition complète de la Compagnie comme un holocauste à la philosophie voltairienne. La proposition de Versailles fut donc reçue très-froidement à l'Escurial. Pour comble de surprise, Naples, Venise, le Portugal même, s'arrêtèrent tout court devant un projet si vaste et une résolution si tranchée. Ces cabinets objectèrent l'impossibilité d'obtenir un bref de sécularisation sous le règne de Clément XIII : ils prièrent Choiseul d'attendre au prochain conclave; mais tous ces délais irritaient sa pétulance. Le duc avait proposé de supprimer l'ordre uniquement pour ne plus en entendre parler. Il représenta avec force que laisser vivre une corporation si puissante et si offensée, c'était exposer l'existence de la maison de Bourbon. On croit entendre le langage exagéré de la haine; ce n'était que celui de l'impatience; les lettres confidentielles du duc de Choiseul nous l'attestent. Encore une fois, il ne haïssait pas les jésuites, mais il en était fort ennuyé.

Néanmoins, le moment favorable n'était pas encore venu; il fallait une occasion nouvelle pour décider cette grande affaire le saint-siége lui-même la fit naître. Clément XIII provoqua une explosion que Benoît XIV avait prévue, mais qu'il mit toute son industrie à éviter.

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Naples et Parme avaient suivi l'exemple de l'Espagne. N'osant frapper le roi de Naples, Clément XIII crut pouvoir tirer vengeance de l'infant de Parme, très-petit prince sans doute par l'étendue de ses États, mais puissant par son origine et ses alliances. Le pape ne sut voir qu'un Farnèse dans un petit-fils de France, infant d'Espagne; il crut n'attaquer qu'un ancien fief du saint-siège, et s'en prit à une des annexes de la grande monarchie bourbonnienne. La déchéance du duc de Parme fut promulguée par une bulle. Ni Charles III ni Louis XV ne s'étaient attendus à cet éclat. Ils en furent également éton→ nés, chacun dans le sens de son caractère. Livré à luimême, Louis n'aurait pris aucune part à ce débat ecclésiastique; ce n'était pas assez pour son apathie; c'était trop pour la vivacité de Choiseul. Indigné, hors de lui, le ministre courut chez le roi; il représenta toutes les conséquences de l'entreprise du pape et flétrit éloquemment cette résurrection des projets de Grégoire VII et de Sixte V. Louis XV montrait plus de chagrin que d'indignation. Élevé par les molinistes, il craignait Rome; il ne voulait pas se brouiller avec elle; il était flottant, irrésolu, et d'une faiblesse qui excluait tout sentiment, hors l'orgueil. Nous l'avons vu; jamais prince ne se crut plus que lui du sang des dieux. Choiseul l'attaqua par là; d'une main sûre il toucha cette corde: il montra un Rezzonico, le fils d'un marchand de Venise, insultant un petit-fils de saint Louis. Les rai

sons politiques n'étaient rien auprès d'un pareil tableau. Cependant le ministre ne crut pas devoir les négliger : « Si le pape avait quelques démêlés à régler avec l'infant, n'était-il pas de son devoir de s'adresser à la cour de France? Après une pareille injure. Louis XIV aurait fait venir le cardinal Torrigiani pour lui demander pardon au milieu de la galerie de Versailles; son successeur emploiera des moyens plus doux, mais non moins efficaces. il sommera Clément XIII de révoquer son monitoire, et si, après un délai de huit jours, le pape répond par un refus, les ambassadeurs des deux rois quitteront Rome, les nonces seront renvoyés de Versailles et d'Aranjuez (1). » C'est ainsi que Choiseul faisait parler l'honneur national dont il était l'interprète dévoué et sincère ; le Parlement de Paris lui prêta son appui accoutumé en supprimant le nouveau bref.

Charles III n'était ni moins ardent ni moins pressé que Choiseul. Tous deux se hâtèrent de se consulter. Leurs courriers se croisèrent en route. A peine le roi d'Espagne eut-il reçu les nouvelles de Parme qu'il se déclara personnellement offensé. Il réunit son conseil extraordinaire, composé de laïcs d'un caractère grave et de plusieurs évêques. Comme le ministre français, il opina au rappel des ambassadeurs accrédités près du saint-siége. Le comte d'Aranda s'opposa à cette mesure;

(1) Lettre du duc de Choiseul à MM. d'Ossun et Grimaldi. Lettres de Grimaldi au comte de Fuentes.

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