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faud de dix-huit pieds de haut avait été élevé sur la place de Bélem, en face du Tage. Dès le point du jour, cette place était encombrée de troupes, de peuple, et le fleuve même était chargé de spectateurs. Les domes. tiques du duc d'Aveiro parurent les premiers sur l'échafaud, et furent attachés à l'un des angles pour être brûlés vifs. La marquise de Tavora arriva ensuite la corde au cou, le crucifix à la main; quelques vêtements déchirés l'enveloppaient à peine, mais tout en elle était empreint de force et de dignité. Le bourreau, voulant lui lier les pieds, souleva un peu le bas de sa robe. « Arrête, lui dit-elle, n'oublie pas qui je suis, ne me touche que pour me tuer. » Le bourreau s'agenouilla devant dona Éléonor et lui demanda pardon. Elle tira une bague de son doigt et lui dit : « Tiens, je n'ai que cela au monde; prends, et fais ton devoir; » puis la courageuse femme se mit sur le billot et reçut le coup de la mort. Son mari, ses fils, dont le plus jeune n'avait pas vingt ans, son gendre et plusieurs serviteurs périrent après elle dans d'affreux tourments. Le duc d'Aveiro fut amené le dernier; on l'attacha sur la roue, le corps couvert de haillons, les bras nus, les cuisses découvertes; rompu vif, il n'expira qu'après de longues tortures, faisant retentir la place et le fleuve d'épouvantables hurlements. Ensuite on mit le feu à la machine; en un moment, roue, échafaud, cadavres, tout fut brûlé et jeté dans le Tage.

Les palais des condamnés furent rasés; on sema du sel sur la place où ils s'élevaient; leurs armes furent effacées de tous les lieux particuliers et publics, notamment de la salle des chevaliers au château de Cintra, où l'on voit encore leur écusson couvert d'un voile noir, comme le portrait de Faliéro au palais ducal de Venise. Enfin Pombal fit dresser, sur une des plac es de Lisbonne, un pilori que, par un privilége spécial, il consacra uniquement à la haute noblesse. Plus tard, à la fin de sa carrière ministérielle, il maria de force une Tavora, petite-fille de dona Éléonor, au comte d'Oeyras, son fils. Une postérité nombreuse est sortie de cet hymen tragique. Le sang du persécuteur et des victimes coule paisiblement aujourd'hui confondu dans les mêmes veines.

Les griefs de Pombal contre les fidalgues, malgré sa haine, malgré les injures qu'il avait subies, n'avaient été pour lui qu'un moyen. Il en voulait aux jésuites encore plus qu'à l'aristocratie; mais il était plus difficile de les atteindre. Leurs relations avec les conjurés n'avaient rien de douteux, ils étaient leurs conseillers et leurs amis; ils avaient pris une part certaine aux mécontentements, aux murmures, même à l'opposition des fidalgues; pouvaient-ils cependant être convaincus d'avoir trempé dans le complot régicide? Pombal n'hésita pas à les accuser. Le jour même de l'arrestation des Tavora, les maisons des jésuites furent

cernées par les troupes, on y consigna les pères, on jeta leurs chefs dans les prisons, et trois d'entre eux, Mattos, Alexandre et Malagrida restèrent sous l'accusation formelle d'avoir fomenté la conjuration.

Pombal remplit l'Europe de ses manifestes. On les lut avec avidité. La catastrophe et surtout l'événement qui l'avait amenée fixèrent l'attention de tous les cabinets. Ce régicide suivait immédiatement celui de Damiens. Un instinct secret faisait pressentir aux princes qu'un orage n'était pas loin. On pouvait croire que l'opinion en France, plus qu'ailleurs, serait disposée à bien accueillir les accusations du ministre portugais ; les encyclopédistes auraient dû lui servir d'auxiliaires zélés et fidèles; pourtant il n'en fut pas ainsi. Les pièces émanées de la cour de Lisbonne parurent ridicules dans la forme et maladroites au fond. Cet holocauste des chefs de la noblesse choqua les classes supérieures, jusqu'alors soigneusement ménagées par les philosophes. Tant de cruauté contrastait trop avec les mœurs d'une société déjà frondeuse, mais encore très-élégante. On eut pitié des victimes, on se moqua du bourreau; on rit de son appel aux idées du moyen-âge, de cette période de l'histoire que la mode réprouvait alors aussi vivement qu'elle l'a réhabilitée de nos jours. Ces titres arrachés des greffes, ces écussons effacés, ces anathèmes proclamés à son de trompe, semblèrent un sacrifice insensé à des préjugés barbares. Il y eut aussi une réprobation

générale contre les maximes despotiques répandues à profusion dans les manifestes (1). Enfin, ce qui révolta surtout les philosophes français, ce fut de voir que Pombal n'acceptait point leur patronage et ne songeait pas à se donner pour leur adepte. En poursuivant la Société, il n'accusait pas les jésuites d'appartenir à un institut coupable ni de professer des maximes immorales et mauvaises : il leur reprochait seulement d'être restés moins fidèles que leurs devanciers aux principes de saint Ignace. Lui-même rappelait son dévoûment à la religion catholique, égal, selon lui, au dévoûment de ses ancêtres, qui étaient pourtant juifs, s'il fallait en croire ses ennemis. « Après le tremblement de terre de 1755, n'avait-il pas donné des preuves d'un zèle infatigable pour l'Église ? Avant toutes choses, n'avait-il pas pourvu au rétablissement du culte dans la Patriarchale ? Avec quelle sollicitude n'avait-il pas ouvert un asile aux religieuses dispersées et errantes dans les rues, sur les places publiques, au milieu de ruines enflammées ? Dans ses palais de Lisbonne et d'Oyeras, n'avait-il pas toujours donné l'exemple d'une piété fervente? N'appartenait-il pas au tiers ordre de N.-D. de Jésus? N'était-il pas juge perpétuel de la Compagnie du TrèsSaint-Sacrement (2)? » Tel était le système de défense

(4) Correspondance du duc de Choiseul.

(2) Padroeiro e perpetuo juiz do irmandade do santissimo sacramento, -Voir l'Apologia sobre a calumnia de irreligiaô adressée

de Pombal, S'il avait rompu avec la cour de Rome, s'il avait chassé les jésuites, ce n'était pas au nom de la philosophie, Les reproches qu'il leur avait adressés dans ses manifestes ne reposaient point sur des idées générales, mais sur des faits particuliers, pour la plupart contestables et mal exposés. Non-seulement le ministre portugais ne s'était point appuyé sur l'élite des philosophes de la France, mais il avait semblé prendre soin de se dérober à toute solidarité avec eux ; il n'avait pas même osé s'élever jusqu'aux libertés de l'Église gallicane, courage bien facile alors, et qui pourtant lui avait manqué, ou qu'il avait dédaigné. La philosophie ne lui pardonna point de telles négligences; elle lui pardonna moins encore de s'être adressé au pape pour faire juger Malagrida et ses confrères. Voltaire s'en plaignit plus d'une fois avec quelque décence, dans le Siècle de Louis XV, et ailleurs très-indécemment (1).

Pombal avait consulté le saint-siége; la réponse se fit attendre. Rezzonico régnait alors sous le nom de Clément XIII, Il venait de succéder à l'aimable et prudent Benoît XIV, Entièrement dévoué aux jésuites, Clément n'avait pas compris que, dans cette circonstance,

par le marquis de Pombal, après sa disgrâce, à la reine Marie Ire, Manuscrit de la bibliothèque de M. S....., vicomte d'Az..... à Lisbonne.

(1) Siècle de Louis XV, t. XXIX, p. 38, édit. Delangle, Sermon du rabbin Akib, t, XLIII, p. 234,

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