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cour, éperdue, n'eut pas le temps de fuir; le peuple périssait dans les ruines, dans les flammes ou sous le couteau des assassins. Les courtisans voulaient emmener la famille royale à Porto. Pombal seul la retint. « La place du roi est au milieu de son peuple, dit-il à Joseph. Enterrons les morts et songeons aux vivants. » En pareille circonstance, l'ambition n'est pas au concours; le pouvoir est alors le monopole des âmes fortes. Pombal le prit de droit, il se déclara premier ministre, et le fut en effet. A cette époque, les fléaux s'étaient tous réunis contre ce malheureux Portugal. Seul, le ministre promit de les conjurer et de les vaincre. Il y avait dans ce courage quelque chose d'antique qui étonna le XVIIIe siècle. Les colonies nourrirent la métropole sans l'appui de l'étranger; des supplices terribles, mais nécessaires, épouvantèrent le brigandage, et trois cents potences firent raison des voleurs qui s'étaient répandus en plein jour et à main armée dans les décombres. Enfin, malgré les calamités de toute espèce, au milieu des soucis de deux procès politiques, Pombal ne perdit ni la tête ni le cœur. Des débris de l'ancienne capitale il fit sortir une Lisbonne nouvelle. Ce fut avec justice ou plutôt avec une sorte de modestie qu'en élevant la statue de Joseph Ier, Pombal plaça sa propre image sur le piédestal (1).

(1) Le médaillon du marquis de Pombal fut enlevé par dom Miguel et replacé par l'ordre de dom Pedro.

Arrivé à un crédit sans bornes, il ne songea plus qu'à exécuter ses deux grands projets l'abaissement de l'aristocratie et l'expulsion des jésuites. Le premier était hardi, mais Ximénès en Espagne, Richelieu en France avaient montré la voie au ministre portugais; en revanche, le second était sans exemple. Pombal n'en résolut pas moins de mener ces deux affaires de front.

De quelque manière qu'on envisage la résolution de détruire les jésuites, qu'on se range parmi les amis ou les ennemis de la Société, on doit convenir qu'ici le marquis de Pombal agit non en courtisan irrité ou vindicatif, mais en homme d'État; que si, pour atteindre ce but, il suivit une marche trop souvent tortueuse, du moins il fut conduit par des considérations d'une politique élevée, plus que par la froide inspiration de l'égoïsme. Il frappa les jésuites comme dangereux au bien public, et non comme dangereux à son crédit. Les jésuites n'étaient pas ses ennemis : c'étaient eux, au contraire, qui l'avaient élevé au pouvoir. Ils comptaient sur lui, et, par une dissimulation profonde, Pombal entretint en eux cette confiance jusqu'au moment même où il se déclara leur adversaire. A l'étonnement de l'ordre et de tout le Portugal, on bannit du palais les confesseurs jésuites du roi et de la famille royale; on les remplaça par des confesseurs réguliers. En même temps, les manifestes du ministre firent peser sur l'ordre des charges terribles, que nous discuterons bientôt avec calme et im

partialité. Pombal fit part de ces griefs au pape, lui demandant instamment l'appui de ses armes apostoliques. Benoît XIV n'avait jamais aimé les jésuites, qu'il connaissait à fond; il avait prédit leur chute; mais comme il était dans la destinée de ce sage et spirituel pontife d'éluder toutes les questions décisives, il n'eut que le temps d'ordonner la visite des maisons de l'ordre par le patriarche de Lisbonne, et, pour dernière fortune, il mourut sans avoir prononcé entre la Société de Jésus et la couronne de Portugal.

Deux familles puissantes, les Mascarenhas et les Tavora, se trouvaient alors à la tête de l'aristocratie portugaise. Pombal n'avait point de partì pris contre elles. Il s'était fait introduire par sa femme dans la société de dona Éléonor, épouse du marquis de Tavora, ancien gouverneur de l'Inde, et, à tous égards, la plus grande dame de Portugal. C'était une personne de mœurs respectables, mais d'une humeur altière; on remarquait dans ses yeux un trait fatal, présage de sa destinée (1). Pombal avait ose briguer pour son fils cette noble et inaccessible alliance. « Hélas! dit-il un jour à un religieux du sang des Tavora, le roi a beau me combler de grâces; mon bonheur ne serait complet que si l'héritier de ma fortune devenait le gendre de l'illustre dona

(1) Ce regard, qui m'a frappé dans le portrait de Mae de Tavora, se retrouve également dans celui de Strafford.

Éléonor. Votre Excellence, répondit le moine, lève

les yeux bien haut ! » Un refroidissement subit s'éleva dès-lors entre le ministre et la marquise; elle avait sollicité le titre de duc pour son mari, Pombal fit échouer ses demandes: enfin, de l'indifférence à la haine il n'y eut qu'un pas, et le sang bleu tout entier prit parti dans cette querelle. Joseph de Mascarenhas, duc d'Aveiro, accabla le ministre de ses mépris. Aveiro, homme orgueilleux et insolent, était revêtu des plus grandes charges et allié à la famille royale. Dès ce moment, l'échafaud des grands fut dressé dans l'esprit de Pombal. Entretenue dans ses ressentiments par les jésuites, cette noblesse de cour menaçait le pouvoir et même la vie du ministre, quand tout-à-coup, dans la nuit du 3 septembre 1758, les portes du palais se fermèrent; le roi cessa de se montrer pendant plusieurs jours; aucun bruit ne circula sur les causes de cette clôture; tous les efforts de Pombal tendirent à inspirer la plus grande sécurité à ceux qu'il avait désignés pour victimes. Enfin, après une longue attente, le duc d'Aveiro, les Tavora, leurs parents, leurs amis, furent arrêtés dans leur demeure; la fière dona Éléonor, arrachée de son lit, se vit traînée, à moitié nue, dans un couvent de Lisbonne, et le reste de sa famille fut enfermé dans la ménagerie de Bélem, restée vide depuis le tremblement de terre.

Qu'était-il donc arrivé dans cet intervalle? pourquoi

ces violences et ces tortures? qu'imputait le ministre à toute cette noblesse ? Voici les faits. Dona Teresa, femme du jeune marquis de Tavora, était la maîtresse du roi. En allant la voir la nuit, Joseph avait été atteint dans sa voiture de deux coups de pistolet. Blessé au bras, il s'était enfermé dans son palais, attendant l'arrestation des accusés; ces accusés étaient le duc d'Aveiro et le mari de la maîtresse du roi, regardés comme les instruments du crime, les vieux Tavora, désignés comme complices, et les jésuites, qui passaient pour instigateurs. De tous les membres de la famille incriminée, dona Teresa fut seule traitée avec indulgence; on ne sait pas encore si la découverte de la conspiration n'a pas été son ouvrage. Louis XV témoigna à son chargé d'affaires la plus grande curiosité sur le sort de cette jeune femme (1).

Pombal ne songea point à soumettre les grands à la juridiction de leurs pairs; peut-être l'état actuel de la noblesse rendait-il impossible le maintien de ce privilége; le ministre ne les déféra pas non plus aux tribunaux ordinaires : les accusés furent cités devant un tribunal d'exception dit de l'inconfidence, c'est-à-dire devant une commission. L'exécution suivit de près la sentence; dans la nuit du 12 au 13 janvier 1759, un écha

(1) Dépêches du duc de Choiseul à M. de Saint-Julien, chargé d'affaires de France à Lisbonne.

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