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AVANT-PROPOS.

DE

L'EDITION DE 1844.

Nous n'écrivons pas un livre dogmatique sur les doctrines des jésuites. Pascal a tout dit et l'on n'a plus rien à lui répondre. D'ailleurs, la Société de Jésus n'est plus telle que Pascal l'avait rencontrée, lorsque dans un accès de vive indignation et d'amère gaîté, il en fit son jouet et sa victime. Lui-même aurait peine à la reconnaître; il la reconnaîtrait d'autant moins que ce changement est son ouvrage. Les Provinciales ont retourné le jésuitisme. Après leur publication, il changea d'allure et de physionomie ; il ne fut point corrigé, mais transformé. Averti, sous Henri IV, par les défaites de la Ligue, contenu, sous Louis XIII, par la main de Richelieu, le jésuitisme avait pris, en France, ces formes cauteleuses et souples auxquelles les attentats désespérés de quelque enfant perdu de la faction donnaient de temps en temps un démenti terrible, mais passager. Depuis les petites lettres, il avait

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cessé de se montrer insinuant et facile. L'esprit de persécution remplaça les restrictions mentales. Une austérité fastueuse fut substituée aux capitulations de conscience. Il n'y eut plus de jésuite ennemi des rois ; tous, au contraire, se déclarèrent les défenseurs exagérés du pouvoir suprême. C'est alors que Port-Royal fut rasé, et qu'on vit les troupeaux brouter l'herbe dans ces Champs sacrés où fleurissaient naguère la vertu docte et la science pieuse; c'est alors qu'en matière d'enseignement la rivalité ne fut plus une lutte intelligente, mais une guerre à mort; si toutefois il y a guerre, là où la force est d'un seul côté. Le plus fier des hommes, le plus indépendant des rois ne connut d'autre joug que celui des jésuites, le porta par crainte, (1) et l'imposa à son peuple, à sa cour, à sa famille. Une jeune princesse, qu'il aimait, non pas comme son enfant, ce serait trop peu dire, mais comme luimême, osa refuser les derniers aveux à un confesseur jésuite, et n'échappa à la disgrâce que par la mort (2). Partout leur présence se fit rudement sentir. Un jésuite, la bulle Unigenitus à la main, devint l'arbitre de la France, et la remplit de

(1) Saint-Simon, Mémoires; Paris, Sautelet, 1829, t, VII, p. 24. (2) Saint-Simon, t. X, p. 221.

terreur (1). Des évêques dont il avait fait ses esclaves, veillaient au lit de mort du Grand Roi et lui défendaient la réconciliation et l'oubli (2); plus tard, ce moine rentra dans la poussière; mais son esprit lui survécut. Qui ne se rappelle les billets de confession? Des mourants, faute de s'associer aux haines des jésuites, succombèrent sans recevoir les consolations de l'Église. Enfin le succès rendit toutes ces violences désormais inutiles, la victoire succéda à la lutte, et dans cette période, la Société de Jésus jouit sans contestation de la conscience des grands et de l'éducation de la jeunesse. Elle obtint une exemption entière de toutes les taxes payées par le reste du clergé (3) et traversa cet âge d'or dans l'abondance de toutes choses, au milieu de l'impuissante inimitié de ses adversaires et de ses rivaux. Heureuse, si elle avait usé de tant d'avantages, non pas avec l'orgueil qu'on lui reproche souvent, et qui précipita sa chute, mais avec l'adresse et l'habileté qu'on lui accorde plus sou

vent encore.

Et pourtant, il n'est pas vrai que dans cette pé

(1) Saint-Simon, t. IX, p. 128; t. X, p. 434 ; t. XVII, p. 302 et

305.

(2) Saint-Simon, t. XII, p. 480.

(3) Saint-Simon, t. II, p. 460.

riode de leur existence, les jésuites aient eu toute l'habileté qu'amis et ennemis leur ont si bénévolement prêtée; ou plutôt, il y a dans leur institution un singulier mélange de force et de faiblesse. La force du jésuitisme est personnelle et isolée, sa faiblesse est relative; les jésuites sont forts comme ordre, faibles comme défenseurs de cette grande Église romaine. Semblables aux Chinois qu'ils ont tant pratiqués, et dont la vanité place Pékin au milieu du globe terrestre, les jésuites se croient situés au cœur et dans les entrailles du christianisme. Oubliant leur date récente, ils n'imaginent pas que la religion catholique puisse exister en leur absence. Rien n'égale la finesse de leur instinct individuel : ce qui est restreint à l'intérêt direct, immédiat de l'ordre, ce qui a provoqué, nourri, accompli sa puissance est un prodige de persévérance et de savoir-faire. Mais autant sa vue est perçante dans une direction courte et personnelle, autant elle est faible, indécise, lorsqu'elle essaie de se fixer sur les destinées générales du catholicisme. Ce spectacle l'éblouit et l'aveugle. Habile à calculer les chances d'une intrigue prolongée, mais étroite, le jésuitisme est incapable de se créer un large horizon. L'esprit de cette Société ne peut s'élever jusqu'à l'impartialité. C'est de très-bonne foi qu'elle a

toujours vu dans sa propre conservation le gage le plus certain, la condition indispensable et unique de la durée du symbole catholique. Préoccupée de cette pensée égoïste, elle n'a jamais su la dégager de tous les menus intérêts de couvent et de confessionnal: de là, le refus obstiné de se constituer un des rayons du centre commun, la prétention incorrigible d'être soi-même le centre de l'agrégation chrétienne, l'impossibilité radicale de subordonner les moindres avantages de l'ordre à l'intérêt général de l'Église. A l'exemple des parlementaires du temps de la Fronde qui violaient des lois pour sauver des réglements les jésuites sont moins disciplinés qu'on ne le pense, ou du moins ils ne s'astreignent qu'à une discipline locale, particulière; et, comme leur tendance est de former un État dans l'État, sans en excepter le saint-siége, ils imposent Rome à l'univers et s'imposent à Rome.

Dans ces grandes crises où l'Église, la foi, l'esprit religieux sont menacés, la misère de l'esprit jésuitique est extrême : c'est ainsi que faute de résolution, la Société de Jésus se perdit à cette période du xvu siècle dont nous avons esquissé l'histoire. On sera étonné peut-être de la médiocrité de quelques-uns des motifs, qui firent chasser les jésuites de tout l'univers catholique; on

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