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Nous avons

DU MÉCHANT.

us avons remarqué, dans la Notice sur Boissy, que les poëtes dramatiques du dix-huitieme siecle manquoient en général de cette justesse de pensée, de cette vérité d'expression, enfin de cette pureté de style, qui sont les fruits d'une instruction solide, d'une grande habitude de méditation, et d'un travail obstiné. Les chefs-d'oeuvre de Destouches et la Métromanie avoient fait renaître les beaux jours du théâtre françois ; mais dans les ouvrages de La Chaussée et dans ceux de Boissy, la décadence fut sensible. L'esprit romanesque de l'un, la négligence et le vague que l'on reproche à l'autre, n'avoient pas empêché leurs pieces de réussir: cependant les connoisseurs observoient avec peine que ces deux poëtes formoient chacun une école qui ne pourroit manquer d'être nombreuse par la grande facilité que leur genre présentoit aux talens médiocres. En effet tous les drames qui répandirent bientôt la tristesse et l'ennui sur la scene comique furent des imitations de La Chaussée; et ces comédies, vuides de conceptions et de vues morales, remplies d'un jargon insipide et vague, sortirent de l'école de Boissy. Il n'est pas nécessaire d'observer que les éleves enchérirent sur les défauts

de leurs maîtres: ceux-ci s'étoient fait estimer, même des bons juges, par des beautés réelles; ceux-là ne durent leurs succès passagers qu'au goût dépravé du siecle.

L'art de la comédie parut se relever lorsque Gresset donna le Méchant. Cet ouvrage, supérieur sous presque tous les rapports, donna l'idée du parti que l'on pouvoit tirer sur la scene des travers et des ridicules d'un siecle où la confusion des rangs, l'extension de l'esprit de société, avoient fait disparoître les nuances tranchantes qui se faisoient remarquer dans les mœurs du siecle précédent, et avoient ainsi privé la comédie de ses ressorts les plus puissans. Gresset surmonta cette difficulté, sans tomber dans l'écueil que ce nouveau genre présentoit, et que Boissy n'eut presque jamais l'art d'éviter. La comédie du Méchant n'offre point la peinture de ces travers légers qui se succédoient dans le monde avec une étonnante rapidité; elle ne se borne pas non plus à rappeler quelque anecdote fugitive, et à imiter le ton de telle ou telle société. Remplissant le but que l'art se prescrit, cet ouvrage embrasse l'ensemble des mœurs du dix-huitieme siecle les portraits n'échappent à aucun des spectateurs; la morale alors en usage est développée dans toutes ses applications; et les nuances fortes et prononcées sont parfaitement en rapport avec la perspective théâtrale.

Lorsque cet ouvrage parut il essuya un grand nombre de critiques. M. de La Harpe raconte que quelqu'un dit à un des censeurs les plus aveugles: Vous

:

serez peut-être vingt ans sans avoir le pendant de cette piece. Cette prédiction ne s'est que trop réalisée. Les principaux reproches tomberent sur le caractere de Cléon on prétendit que ce n'étoit pas là le Méchant, et que l'auteur avoit peint tout au plus un tracassier, personnage équivoque que l'on ne trouvoit pas propre à remplir le principal rôle dans une comédie. Il suffira de quelques réflexions pour démontrer la fausseté de cette critique. Quel homme désigne-t-on ordinairement dans le monde par l'épithete de méchant? ce n'est sûrement pas celui qui se seroit déshonoré par des bassesses, et qui auroit commis des crimes que les lois punissent: un tel homme ne seroit point admis dans la société, et y seroit appelé d'un autre nom. Le Méchant, tel qu'on se le figure, et tel que Gresset l'a peint, est l'homme qui se fait un jeu de troubler la tranquillité des familles, qui corrompt les jeunes gens ou par ses exemples ou par ses leçons, qui ne rend des soins aux femmes que pour les afficher et les perdre, et qui, n'ayant aucune retenue dans ses discours, se permet les calomnies les plus atroces quand elles lui fournissent la matiere d'un bon mot. Il faut convenir que l'indulgence du siecle a été grande pour ces sortes de personnages, lorsqu'on s'est borné à les nommer tracassiers. C'est un trait caractéristique qui ne doit pas échapper à l'observateur.

Les personnages qui entourent le Méchant sont très propres à faire ressortir son caractere. Géronte, riche propriétaire, a une bonhommie qui contraste

parfaitement avec la méchanceté de Cléon; son seul travers est de se croire un caractere prononcé; son seul défaut est d'avoir trop de goût pour l'esprit gai mais dangereux d'un faux ami. On sent quel ascendant le principal personnage doit avoir sur lui. Florise étoit un caractere absolument neuf: ayant perdu les moyens et non le desir de plaire, il est très naturel qu'elle se livre aux flatteries de Cléon ; elle a tous les travers et tous les ridicules d'une femme qui eroit inspirer de l'amour, quand elle n'a plus' que la faculté de le sentir: sa répugnance pour sa fille est un trait plein de vérité; on doit peu s'étonner qu'une amante aussi folle soit une mauvaise mere: elle est punie de la maniere la plus cruelle, et la méchanceté de Cléon révolteroit si elle s'exerçoit de la même maniere sur une autre femme. On voit que ce personnage étoit absolument nécessaire pour le développement du caractere principal. Le jeune Valere n'entre pas moins heureusement dans l'action; le séjour de Paris l'a gâté, mais il a un fonds de bonté qui se montrera s'il a le bonheur de trouver un ami vertueux. Livré à Cléon, il pousse plus loin que lui la médisance et les plaisanteries mordantes; comme cela devoit être, le maître plus circonspect est surpassé par son éleve. Chloé est tendre et réservée: on peut regretter que son caractere ne soit pas plus développé. Il semble que Gresset auroit pu faire réconcilier les amans en présence des spectateurs; ces scenes agréables, dont Moliere a donné plusieurs exemples, sont toujours en possession de plaire au

public. Jusqu'à présent on voit que Cléon n'a que des victimes autour de lui; aucun de ces caracteres foibles ne peut résister à son dangereux ascendant; l'auteur lui a opposé le sage Ariste : ce personnage, vertueux sans pédantisme, ne poussant pas trop loin la rigueur de ses principes, et dérobant ses amis aux embûches du Méchant, est neuf et théâtral; l'espoir du spectateur est fixé sur lui; c'est de lui qu'on attend le dénouement des intrigues de Cléon.

La contexture de cette piece est moins heureuse que la conception des caracteres. Pour que l'intrigue d'une comédie de caractere soit parfaite, il est nécessaire qu'elle ne puisse convenir qu'au sujet qu'on a voulu traiter. Celle du Tartuffe est dans ce genre un modele inimitable : les ressorts employés dans cet admirable ouvrage ne pourroient nullement servir dans une autre piece; la fable est conçue avec tant d'art pour l'objet que s'étoit proposé Moliere, que toutes les parties qui la composent se rapportent à cet objet unique, et qu'il seroit impossible d'en rien détacher sans que le plan général en souffrit. Nous avons remarqué que la fable du Glorieux approchoit, quoique de loin, de ce degré de perfection; il n'en est malheureusement pas ainsi de celle du Méchant. Les ressorts peuvent convenir à tout autre sujet; on en voit la preuve dans les imitations fréquentes qui en ont été faites. Dans cette partie de l'art dramatique, les conceptions les moins susceptibles d'être imitées' sont ordinairement les meilleures.

Ce léger défaut n'ôte presque rien au mérite de la

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