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SUR LA CHAUSSÉE.

:

PIERRE-CLAUDE Nivelle de La ChAUSSÉE naquit à Paris en 1692. Tenant à une famille enrichie dans la finance, il reçut une excellente éducation; cependant il n'eut pas assez de succès dans ses études pour faire présager qu'il deviendroit un poëte dramatique distingué. Sa timidité, sa douceur, et l'opulence de ses parens le firent admettre très jeune dans les meilleures sociétés de Paris il y puisa le ton noble et décent et l'élégance d'expression qui distinguent ses pieces de théâtre. Long-tems La Chaussée cacha le penchant qu'il avoit pour la poésie; il faisoit secrètement des vers, et ne confioit pas ses premiers essais à ses plus intimes amis: la crainte de ne pas réussir dans un art aussi difficile, le ridicule attaché à un goût qui n'est plus qu'une manie s'il n'est accompagné d'un grand talent, lui prescrivoient cette réserve si rare parmi les jeunes

gens. Enfin une circonstance remarquable dans l'histoire des lettres le tira de l'obscurité où sa timidité le retenoit encore.

La Mothe avoit publié ses paradoxes sur Homere, et cette traduction de l'Iliade où il s'étoit permis de tronquer et de défigurer le premier des poëmes épiques: irrité des critiques dont l'avoient accablé les défenseurs du bon goût, voyant que sa traduction ne trouvoit point de lecteurs, il s'étoit décidé à expliquer par des sophismes les causes de sa chûte, et à rejeter sur le modele qu'il avoit travesti et sur la poésie ellemême les reproches qu'il n'avoit que trop mérités. S'il parvenoit à prouver d'une maniere plausible que l'art des vers n'est qu'une vaine combinaison de syllabes qui ne sert qu'à affoiblir la justesse des pensées, il ne pouvoit pas à la vérité se justifier d'avoir consacré la plus grande partie de sa vie à cette occupation frivole: mais du moins il démontreroit qu'un homme d'esprit et de talent devoit échouer dans un ouvrage de longue haleine. Ce fut cette these singuliere que La Mothe chercha à soutenir par des écrits, où il déploya

tous les artifices du raisonnement, et souvent même les graces insinuantes d'un style agréable et facile. Il n'est pas besoin d'observer que les écrivains médiocres se rangerent du parti du sophiste; et comme c'est toujours le plus grand nombre, ce parti domina quelque tems dans la littérature. Le jeune La Chaussée, qui se sentoit un talent naturel, et dont le goût pour la poésie étoit d'autant plus vif qu'il l'avoit renfermé avec plus de soin, ne put résister au desir de combattre La Mothe. Le premier ouvrage qu'il fit paroître fut donc un poëme destiné à défendre les bons principes littéraires.

L'Épître de Clio fit le plus grand honneur au jeune poëte: on y trouva une grande correction de style, des fictions agréables, et des préceptes didactiques exprimés avec beaucoup de clarté et de précision. Cet ouvrage, peu connu aujourd'hui, mérite une mention particuliere. L'auteur parle ainsi de son adversaire:

Aux nouveautés toujours prostitué,
Et dans l'erreur sophiste habitué,
Quand il lui plaît, sa plume hétérodoxe

En axiôme érige un paradoxe;
Sa bouche exhale un aimable poison:
Le tort lui sert autant que la raison,
Et tout chemin le conduit à la gloire.

Ce fut ainsi qu'au temple de Mémoire
Il appela de la prescription

Dont jouissoit le chantre d'Ilion.

Ce portrait rappelle la maniere de J. B. Rousseau dans ses épîtres. Il contient des reproches un peu durs, mais vrais. Le style de La Chaussée est moins tendu dans la suite de l'ouvrage. Le poëte s'éleve contre ceux qui prétendent que tous les genres de poésie sont épuisés, et pense avec raison qu'une idée peut être rajeunie par l'art de l'écrivain:

Ainsi Racine amena sur la scene,
Après Corneille, une autre Melpomene
Qu'il rajeunit par de nouveaux atours.
L'invention n'est plus que dans les tours:
Tout devient neuf quand on sait bien le dire;
L'expression est l'ame de la lyre.

Le plus beau trait dans un vers mal rendu
Est

pour l'auteur presque autant de perdu;
Et sa pensée appartient au poëte

Qui saura mieux s'en rendre l'interprete.

La Chaussée recommande aux poëtes une grande soumission aux regles de la langue; il soutient que cette langue dont on exagéroit la stérilité, peut suffire à bien exprimer toutes les pensées et à bien rendre tous les tableaux poétiques. Il s'emporte ensuite contre ceux qui ne veulent s'asservir à aucune contrainte, en observant très bien que les plus grandes beautés de nos chefsd'œuvre naissent de la difficulté vaincue :

L'esprit veut être un peu mis à la gêne;
C'est l'aiguillon qui le tient en haleine,
Qui par l'obstacle irritant son ressort
Occasionne un plus heureux effort,
Et lui fait prendre un essor qui l'étonne;
C'est par effort que le salpêtre tonne;
S'il n'est contraint il reste sans vigueur,
Et ne produit qu'une vaine vapeur;
Plus on le presse et plus on le resserre,
Mieux on lui fait imiter le tonnerre :
Ainsi l'esprit, dans ses difficultés,
Semble augmenter encor ses facultés;
A son profit il tourne les obstacles,
Et la contrainte enfante des miracles.
Méprisez donc des projets surannés
Que le bon sens a deja condamnés.

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