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Malgré Voltaire et cette inquisition de contrebande, le Jésuite n'était pas plus insensé que parricide. Ses réponses devant le tribunal, le bâillon dont on couvrit sa bouche pendant le trajet funèbre, les paroles qu'il prononça sur le bûcher, tout atteste qu'il mourut comme il avait vécu, dans la plénitude de sa raison et de sa piété.

Afin de braver le Pape jusque sur la chaire apostolique et de lui prouver que ses prières étaient aussi inefficaces que ses injonctions, Pombal avait jugé à propos de lui renvoyer dans un dénuement complet la plupart des Jésuites dont il confisquait les biens. Il en avait assez réuni dans ses proscriptions générales pour essayer de fatiguer l'inépuisable charité du Pontife. Clément XIII se montra toujours plein de dévouement; Pombal, en face des prisonniers qu'il s'était réservés, ne transigea jamais avec ses cruautés. Le Pape et le ministre portugais restèrent dans le rôle qu'ils s'étaient tracé : l'un adoucissait des souffrances imméritées, l'autre cherchait à les aggraver. Il avait fait abandonner sur les côtes d'Italie le trop plein de ses prisons; mais ses captifs assumèrent sur eux seuls les tortures dont il aurait voulu aecabler la Compagnie. Il avait fait saisir dans les Missions plusieurs Pères français ou allemands; il conserva de préférence les Jésuites étrangers, car il espérait qu'aucune famille n'éleverait la voix pour les réclamer. Il les soumit aux misères de détail que la tyrannie la plus tracassière peut inventer. Il en avait retenu deux cent vingt-un dans ses chaînes : quatre-vingt-huit y périrent; d'autres furent arrachés à sa barbarie par dona Maria, l'héritière du trône de Portugal; par Marie-Thérèse d'Autriche et par la reine de France (1). Il reste encore un certain nombre de let

(1) La reine Marie Lecsinska, épouse de Louis XV, avait chargé le marquis de Saint-Priest, ambassadeur de France en Portugal, de réclamer les Jésuites français que Pombal retenait captifs. Ce fut ainsi que les Pères Du Gad, de Ranceau et le Frères Delsart se virent délivrés. Le comte de

tres écrites par les Jésuites prisonniers de Pombal; toutes retracent les mêmes douleurs et la même patience. Le protestant Christophe de Murr en a recueilli quelquesunes sur l'autographe latin pour les reproduire dans son journal (1). Nous lui empruntons celle que le P. Laurent Kaulen adressait de la tour de San-Juliano au Provincial du Bas-Rhin.

« Mon Révérend Père,

« La huitième année de ma captivité est prête à finir, et je trouve pour la première fois l'occasion de faire passer cette lettre. Cèlui qui m'en a donné le moyen est un de nos Pères français, compagnon de ma captivité, et à présent libre par les soins de la reine de France.

« Je suis prisonnier depuis 1759. Enlevé par des soldats qui, l'épée à la main, me conduisirent à un fort appelé Oloreïda, sur la frontière du Portugal, j'y fus jeté dans un cachot affreux, rempli de rats si importuns qu'ils infectaient mon lit et partageaient ma nourriture, sans que je pusse les écarter, à cause de l'obscurité du lieu. Nous étions vingt Jésuites renfermés chacun séparément. Les quatre premiers mois, on nous traita avec quelques égards; après cela, on commença à ne nous donner d'aliments que ce qu'il fallait pour nous empê cher de mourir de faim. On nous enleva avec violence nos bréviaires et ce que nous avions de médailles, d'i-. mages de saints et d'autres meubles de dévotion voulut même arracher à l'un de nous son crucifix; il fit une si forte résistance qu'on le lui laissa, et on ne chercha pas à exercer sur les autres une si indigne violence. Un

on

Lebzeltern, ambassadeur de l'Impératrice, reçut les mêmes ordres; il les remplit avec le même empressement. Les traditions du pays et de la Compagnie font encore foi de cette humanité.

(1) Journal de la Littérature et des Arts, t. iv, p. 306.

mois après, on nous rendit nos bréviaires: nous souffrîmes dans ces cachots obscurs la faim et beaucoup d'autres incommodités: on n'y donnait aucun secours aux malades. Nous y étions depuis trois ans, lorsque, à l'occasion de la guerre qui survint, on nous en retira au nombre de dix-neuf : un de nous était mort. Nous traversâmes le Portugal escortés par des escadrons de cavalerie, qui nous conduisirent aux prisons de Lisbonne. Il nous prit en route, à trois Allemands que nous étions, une grande défaillance; on nous fit passer la première nuit avec les prisonniers renfermés pour crimes. Le lendemain, nous fûmes amenés dans ce fort, qu'on appelle de Saint-Julien, sur le bord de la mer, où je suis avec les autres Jésuites. Au moment où je vous écris, notre prison est des plus horribles: c'est un cachot souterrain, obscur et infect, où il n'entre de jour que par une ouverture de trois palmes de haut sur trois doigts de large. On nous y donne un peu d'huile pour la lampe, une modique et mauvaise nourriture, de mauvaise eau, souvent corrompue et remplie de vers; nous avons une demi-livre de pain par jour; on donne aux malades la cinquième partie d'une poule; on ne nous accorde les sacrements qu'à la mort, et il faut que le danger soit attesté par le chirurgien qui fait l'office de médecin dans notre prison. Comme il demeure hors du fort et qu'il n'est permis à aucun autre de nous voir, il n'y a aucun secours spirituel ni corporel à espérer pendant la nuit. Les cachots sont remplis de quantité de vers et d'autres insectes et de petits animaux qui m'étaient inconnus. L'eau suinte sans cesse le long des murs, ce qui fait que les vêtements et autres choses y pourrissent en peu de temps; aussi le gouverneur du fort disait-il dernièrement à quelqu'un qui me l'a répété : « Chose admirable! tout se pourrit promptement: il n'y a ici que les Pères qui s'y conservent. » A la vérité, nous paraissons conservés par mi

racle, afin de souffrir pour Jésus-Christ. Le chirurgien s'étonne souvent comment plusieurs malades d'entre nous se guérissent et se rétablissent; il avoue que leurs guérisons ne sont pas l'effet des remèdes, mais d'une vertu divine. Quelques-uns recouvrent la santé après les vœux qu'ils ont faits; un de nous, prêt à mourir, fut subitement guéri après avoir pris de la farine miraculeuse de saint Louis de Gonzague; un autre tombé en délire, dans lequel il jetait les plus horribles cris, se rétablit tout d'un coup après quelques prières dites auprès de lui par un de ses compagnons; un autre, après avoir reçu la sainte Eucharistie, se trouva sur-le-champ soulagé et fortifié dans une maladie qui l'a réduit plusieurs fois à l'extrémité. Le chirurgien, qui a vu cela, dit ordinairement: « Je sais le remède de celui-ci donnez-lui le corps de notre Seigneur pour l'empêcher de mourir. » Il en est mort un. dont le visage a pris un éclat qu'il n'avait pas pendant sa vie, en sorte que les soldats et les autres qui le contemplaient ne pouvaient s'empêcher de dire « Voilà le visage d'un bienheureux. » Témoins de ces choses, et fortifié par le ciel en d'autres manières, nous nous réjouissons avec ceux d'entre nous qui meurent, et nous envions en quelque sorte leur destin, non parcequ'ils sont au bout de leurs travaux, mais parcequ'ils ont remporté la palme. Les voeux de la plupart sont de mourir sur le champ de bataille. Les trois Français qui ont été mis en liberté en ont été tristes, regardant notre position plus heureuse que la leur.. Nous sommes dans l'affliction, et cependant presque toujours dans la joie, quoique n'ayant pas un moment sans quelque souffrance et presque nus ; il y en a peu d'entre nous qui conservent quelques lambeaux de leurs soutanes. A peine pouvons-nous obtenir de quoi nous couvrir autant que la modestie l'exige. Un tissu de je ne sais quel poil à pointes aiguës nous sert de couverture, un peu de paille

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est tout notre lit; elle pourrit en peu de temps, ainsi que la couverture, et nous avons bien de la peine à en obtenir d'autre ; ce n'est souvent qu'après en avoir manqué longtemps..

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<< Il ne nous est permis de parler à personne, et personne ne peut parler et demander pour nous. Le geôlier est d'une dureté extrême, et s'étudie à nous faire souffrir; il nous dit rarement un mot de douceur, et paraît ne nous fournir qu'avec répugnance les choses dont nous avons besoin. On offre la liberté et toutes sortes de bons traitements à ceux qui voudront abjurer l'Institut. Nos Pères qui étaient à Macao, et dont quelques-uns ont déjà enduré avec courage, parmi les infidèles, les prisons, les. fers et les tourments souvent réitérés, ont été aussi amenés ici; et il a été, ce semble, plus agréable à Dieu de les voir souffrir en ce pays, sans l'avoir mérité, que de mourir pour la foi chez les idolâtres. Nous avons été dans ces cachots vingt-sept de la province de Goa, un de la province de Malabar, dix de celle de Portugal, neuf de celle du Brésil, vingt-trois de celle du Maranon, dix de celle du Japon, douze de la province de Chine. Dans ee nombre, il y avait un Italien, treize Allemands, trois Chinois, cinquante-quatre Portugais, trois Français et deux Espagnols. De ce nombre trois sont morts et trois ont été mis en liberté.

«Nous restons encore soixante-seize; il y en a d'autres enfermés dans les tours; mais je n'ai pu savoir qui ils sont, ni en quel nombre, ni de quel pays. Nous demandons aux Pères de votre province des prières pour nous, non pas comme des hommes à plaindre, puisque nous nous estimons heureux. Pour moi, quoique je souhaite la délivrance de mes compagnons de souffrances, je ne changerais pas mon état avec le vôtre. Nous souhaitons à nos Pères une bonne santé et le bonheur de travailler courageusement pour Dieu dans votre pays,

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