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A des époques diverses, d'Alembert et l'abbé Proyart, le comte de Villegas et Tosetti, de la Congrégation des Écoles Pies, Stark et le capucin Norbert, Christophe de Murr et Coxe, Lacretelle et Saint-Victor, Sismondi et Schoell, Ranke et Gioberti, le comte de Saint-Priest et M. Collombet sont venus les uns à la suite des autres, et avant ou après de nombreux écrivains pour ou contre, apporter leurs inductions soit pour accuser soit pour justifier les Rois et le Pape. Les Jésuites eux-mêmes, qui avaient un si puissant intérêt à chercher, à trouver, à proclamer la vérité, si elle devait leur être favorable, n'ont pas mieux réussi que les autres dans la manifestation de cet étrange mystère. Leurs ennemis s'efforçaient par tous les moyens possibles de faire un glorieux piédestal à Ganganelli. Ils lui prêtaient des vertus philosophiques, comme Carracioli ou M. de la Touche lui ont fabriqué une correspondance. Les jansénistes et les avocats, les incrédules et les indifférents, les révolutionnaires et les mauvais prêtres ont couvert son nom d'une auréole d'immortalité. On les a vus lui frapper des médailles et payer l'enthousiasme que son image leur inspirait. Il s'en est même rencontré qui, après l'avoir fait tuer par le poison des Jésuites, voulurent lui ériger des autels. Le bonheur de voir briller un pape au nombre de leurs complices aveugla leur intelligence; ils imposèrent silence à des rêves antichrétiens pour bénir la mémoire de Clément XIV. Il fut le pape de leur choix, et pendant cette ovation sans aucune intermittence, les catholiques n'osèrent qu'à peine produire leurs doutes, qu'ils enveloppaient de toutes les formules du respect. Ils ne savaient que ce que les autres surent avant eux; ils le disaient pour l'acquit de leur conscience; mais ils le disaient en tremblant, comme d'honnêtes écrivains qui craignent de calomnier en mettant leurs soupçons à la place de la vérité.

La vérité sur la destruction des Jésuites était hier encore un problème insoluble. Les adversaires de la Compagnie prenaient à tâche de faire l'apothéose du bref Dominus ac redemptor, tout en noyant leur récit dans des éloges imposteurs. Les amis de cette même Compagnie, retenus par la vénération due au Siége apostolique, reculaient d'effroi ou se cachaient derrière d'inoffensives réticences, lorsqu'il fallait juger celui qui sur la terre fut le successeur des Apôtres. Cette singulière position amena dans les esprits un désordre qui n'a jamais été favorable à l'équité. Les enfants de saint Ignace de Loyola avaient de justes sujets de plainte contre Ganganelli; mais leurs devoirs de religieux, leur charité de prêtre s'opposaient à des pensées, à des recherches, à des manifestations qui, en satisfaisant leur conscience de Jésuite, allaient porter atteinte à la dignité du suprême sacerdoce; ils se résignèrent au silence. Ceux qui, poussés par le désir de rappeler les vertus et les malheurs de leurs frères, racontèrent les événements de la suppression, ne sortirent jamais du cadre tracé; ils ne jetèrent point de nouvelles lumières sur la discussion.

Il nous est même démontré que, si des documents irréfragables constatant leur innocence fussent par hasard tombés entre leurs mains, les Jésuites les auraient anéantis ou tout au moins voués à l'oubli.

Par un sentiment de pieuse délicatesse, dont les hommes n'auront jamais. le secret, les disciples de saint Ignace se seraient crus dans l'obligation de faire ce que de moins louables motifs auraient inspiré à leurs adversaires. Pour ne pas susciter de tristes scandales, les uns, la main pleine de leur justification, auraient dérobé à la postérité ces documents vengeurs; les autres, redoutant de se trouver dans la nécessité d'être enfin équitables, les enfouiraient au plus profond de l'abîme,

car ce n'est pas un pape qu'ils aiment, qu'ils honorent dans Clément XIV, c'est l'ennemi de la Société de Jésus.

Par mes principes, par ma position, et surtout par mon caractère, je n'appartiens à aucune de ces deux catégories. Je suis un écrivain qui aime la justice; et la justice, c'est la seule charité permise à l'histoire.

Pendant un voyage que je viens de faire au nord et au midi de l'Europe,—voyage dont bientôt j'expliquerai les causes dans un livre entièrement politique, la Providence m'a mis à même de juger sur pièces inédites les trames occultes qui amenèrent la suppression des Jésuites. Au milieu d'une foule de documents appartenant à tous les âges et à tous les pays, documents que j'évoquais, que je trouvais ou que l'on s'empressait de m'offrir d'ici et de là pour d'autres travaux ébauchés, il s'en rencontrait quelques-uns ayant trait à la destruction de l'Ordre de Jésus. Comme historien de la Compagnie j'étais intéressé à approfondir ce qu'il y avait de réel ou de faux dans les accusations et dans la défense. J'ajournai les études que je faisais sur des points presque aussi brûlants de l'histoire passée et contemporaine, puis je voulus aller au fond du mystère qui concernait les Jésuites.

D'investigation en investigation, je glanai presque à la sueur de mon front les premières dépêches. Le reste me vint à souhait et de tous les côtés à la fois. Des correspondances cardinalices ou diplomatiques, des instructions royales ou ministérielles, des témoignages écrits, des lettres qui feraient ouvrir les yeux aux aveugles de naissance s'échappèrent des chancelleries, des archives et des portefeuilles où tout cela était enfoui depuis un demi-siècle. Le conclave de 1769, d'où le cordelier Laurent Ganganelli sortit pape, s'est déroulé devant moi avec toutes ses péripéties. J'ai pu en compter les gloires, je dois en dire les hontes.

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Le cardinal de Bernis, le marquis d'Aubeterre, ambassadeur de France à Rome, le duc de Choiseul, premier ministre de Louis XV, don Manuel de Roda, ministre de grâce et de justice en Espagne, le cardinal Orsini, ambassadeur de Naples près le Saint-Siége, tous ces hommes s'écrivaient chaque jour, afin de se tenir au courant de l'intrigue qu'en dehors ou qu'en dedans du conclave ils menaient en partie double. Pas une de ces pièces n'a fait fausse route, elles sont en ma possession depuis la première jusqu'à la dernière. Là se lisent, racontées heure par heure, les tentations, les promesses, les scènes d'embauchage cardinalice, et enfin la transaction occulte qui donna un chef à l'Église épouvantée de ces scandales inouis.

J'avais la clef de l'élection de Ganganelli ; j'eus bientôt le secret de son pontificat. Le cardinal Vincent Malvezzi, archevêque de Bologne, était l'agent le plus actif de la destruction des Jésuites. Il dictait à Clément XIV ce qu'il fallait faire pour arriver à ce résultat. Ses lettres, autographes.comme toutes les autres, ne laissent pas même à l'esprit le plus prévenu le droit d'incertitude. Autour de ces grands coupables viennent se grouper ceux qui ne purent que les seconder dans leur œuvre. Ici, c'est le cardinal André Corsini; là, Campomanès, le confident du comte d'Aranda; plus loin apparaissent Azpuru, Almada, le chevalier d'Azara, Monino, comte de Florida Blanca, Joachim d'Osma, confesseur de Charles III d'Espagne, Dufour, un intrigant français aux gages du Jansénisme, et Nicolas Pagliarini, ce libraire qui, après avoir été condamné aux galères à Rome, est admis en Portugal au rang des diplomates.

En étudiant avec l'attention la plus scrupuleuse tous les documents que ces hommes s'adressèrent, je suis arrivé à la connaissance des faits. J'avais, j'ai encore sous les yeux leurs lettres originales. Elles ont servi de

base à ce récit; elles le constituent. Il n'en est à proprement parler que l'expression affaiblie; car plus d'une fois j'ai dû, en rougissant, renoncer à les suivre dans les épanchements bouffons ou haineux, impiés ou immoraux de leur intrigue.

Et cependant lorsque mon travail fut achevé, je m'effrayai moi-même de mon œuvré, car au dessus de tant de noms qui se heurtent pour se déshonorer les uns par les autres, il en dominait un que la Chaire apostolique semblait couvrir de son inviolabilité. Des princes de l'Église, à qui depuis longtemps j'ai voué une respectueuse affection, me priaient de ne pas déchirer le voile qui cachait aux yeux du monde un pareil pontificat. Le général de la Compagnie de Jésus, qui devait, pour tant et de si puissants motifs, s'intéresser aux découvertes que je venais de faire, joignait ses instances à celles de quelques cardinaux. Au nom de son Ordre et de l'honneur du Saint-Siége, il me suppliait presque les larmes aux yeux de renoncer à la publication de cette histoire. On faisait même intervenir le vœu èt l'autorité du souverain Pontife Pie IX, dans les conseils, dans les représentations dont mon œuvre était l'objet.

D'autres éminents personnages au contraire, envisageant la question sous un aspect peut-être plus hardi; m'excitaient à divulguer le mystère d'iniquité. Ils affirmaient qu'au milieu des tempêtes qui ont battu et qui peuvent encore battre le Siége romain, il fallait nettement trancher les positions; car, disaient-ils, c'est l'inertie des bons qui fait la force des méchants. Ils prétendaient que la Providence n'avait pas inutilement sauvé ces manuscrits précieux de tant de mains ayant intérêt à les détruire, et que puisqu'elles m'en constituait le dépositaire, ce n'était pas pour tenir plus longtemps la vérité sous le boisseau. Afin de m'encourager à ne rien taire, ils s'appuyaient sur de vénérables autorités.

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