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même (1). C'était le vieux soldat qui ne veut pas se séparer de son drapeau. D'autres eurent le courage de leur position; ce courage apparaissait pour nous dans tout son éclat lorsque, d'un œil avide, nous parcourions les lettres autographes et inédites adressées en Europe par les Missionnaires de la Compagnie de Jésus. Il y en a d'admirables de pensée et de style; toutes sont aussi pleines d'éloquente émotion que celle du P. Bourgeois, Supérieur des Jésuites français à Péking. Le 15 mai 1775, il mandait au P. Duprez: « Cher ami, je n'ose aujourd'hui vous épancher mon cœur. Je crains d'augmenter la sensibilité du vôtre. Je me contente de gémir devant Dieu. Ce tendre père ne s'offensera pas de mes larmes, il sait qu'elles coulent de mes yeux malgré moi; la résignation la plus entière ne peut en tarir la source. Ah! și le monde savait ce que nous perdons, ce que la Religion perd en perdant la Compagnie, lui-même partagerait notre douleur, Je ne veux, cher ami, ni me plaindre ni être plaint. Que la terre fasse ce qu'elle voudra. J'attends l'Eternité, je l'appelle, elle n'est pas loin. Ces climats et la douleur abrègent des jours qui n'ont déjà que trop duré. Heureux ceux des nôtres qui se sont réunis aux Ignace, aux Xavier, aux Louis de Gonzague et à cette troupe innombrable de saints qui marchent avec eux à la suite de l'Agneau, sous l'étendard du glorieux nom de Jésus.

« Votre très humble serviteur et ami,

« FR. BOURGEOIS, Jésuite. »

A cette lettre est joint le post-scriptum suivant :

« Cher ami, c'est pour la dernière fois qu'il m'est permis de signer ainsi, le Bref est en chemin, il arrivera

(A) Histoire des mathématiques, par Montucla, 11 part., liv. Iy, p. 474.

bientôt; Dominus est. C'est quelque chose d'avoir été Jésuite une ou deux années de plus.

« A Péking, le 25 mai 1775. »

Dix-huit mois après, lorsque tout est consommé, une lettre du Frère coadjuteur Joseph Panzi révèle les résolutions que les Jésuites ont prises et le genre de vie qu'ils ont adopté, Ce Frère, qui est peintre, écrit le 6 et le 11 novembre 1776:

« Nous sommes encore réunis dans cette Mission: la Bulle de suppression a été notifiée aux Missionnaires, qui néanmoins n'ont qu'une seule maison, un même toit et une table commune. Ils prêchent, ils confessent, ils baptisent; ils ont l'administration de leurs biens, et ils romplissent tous les devoirs comme auparavant, aucun d'eux n'ayant été interdit, parcequ'on ne pouvait faire autrement dans un pays tel que celui-ci; et cependant il ne s'est rien fait sans la permission de Monseigneur notre Évêque, qui est celui de Nankin. Si on se fût conduit comme dans quelques endroits de l'Europe, c'en était fait de notre Mission, de notre Religion, et c'eût été un grand scandale pour les Chrétiens de la Chine, aux besoins desquels on n'avait pas pouryu, et qui auraient peut-être abandonné la Foi catholique.

«Notre sainte Mission, grâce à Dieu, va assez bien et est actuellement fort tranquille. Le nombre des Chré→ tiens augmente tous les jours. Les PP, Dollières et Cibot ont la réputation de saints, et le sont en effet. Le premier est celui qui maintient la dévotion du Sacré-Cœur de Jésus dans l'état le plus florissant et le plus édifiant. Ce même Missionnaire a converti presque toute une nation qui habite les montagnes à deux journées de Péking. Je m'y suis trouvé toutes les fois que ces bons Chinois sortaient d'auprès de ce Père, à qui ils avaient demandé le baptême. J'ai remarqué dans eux les mêmes attitudes et

les mêmes expressions de tête que nos meilleurs peintres ont su donner ou saisir si bien dans les tableaux de la prédication de notre sainte Foi par saint François-Xavier. C'est ici qu'on peut mieux connaître combien est grande la grâce que Dieu nous a faite en nous faisant naître dans un pays chrétien.

«< Autant que l'on peut humainement juger de notre digne Empereur, il paraît qu'il est encore bien éloigné d'embrasser notre sainte Religion catholique; il n'y a même aucune raison de l'espérer, quoiqu'il la protège dans ses États, et c'est ce qui peut se dire pareillement de tous les autres grands de l'empire. Hélas! qu'il y a de vastes contrées dans cet univers où le nom de Dieu n'est pas encore parvenu! Je fais toujours mon emploi de peintre, et je suis le peintre ou le serviteur de la Mission française pour l'amour de Dieu. Je me glorifie de l'être pour son pur amour, et je suis bien résolu de mourir dans cette sainte Mission quand Dieu le voudra. >>

Il n'avait pas été possible de proscrire les Jésuites de la Chine, on les sécularisa. Ils acceptèrent la dure loi qui leur était imposée, mais ils n'en continuèrent pas moins leurs travaux apostoliques ou scientifiques. Le P. Amiot, au dire de Langlès, savant académicien français (1), jetait une vive lumière sur la littérature des Chinois et des Tatars Mantchoux. Le P. Joseph d'Espinha exerçait au nom de l'Empereur les fonctions de prési

(4) Langlès suivit lord Macartney dans sa célèbre ambassade, et il traduisit le Voyage en Chine de Holmes. Il dédia, en 1805, cet ouvrage au Jésuite mort en 1794. La dédicace est conçue en ces termes : « Hommage de vénération, de regrets et de reconnaissance offert à la mémoire du Révérend Père Amiot, Missionnaire apostolique à Pékin, correspondant de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, savant infatigable, profondément versé dans l'histoire des sciences, des arts et la langue des Chinois, årdent promoteur de la langue et de la littérature tatare-mantchoue. »

dent du tribunal d'astronomie, et l'évêque de Macao le nommait administrateur de l'évêché de Péking. Félix de Rocha présidait le tribunal des mathématiques avec André Rodriguez. Le P. Sichelbarth remplaçait Castiglione dans la charge de premier peintre de l'Empereur. D'autres Jésuites étaient répandus dans les provinces; ils évangélisaient les peuples sous l'autorité de l'Ordinaire.

Cet état de choses subsista ainsi assez longtemps, et, le 15 novembre 1783, le P. Bourgeois écrivait au P. Duprez: « On a donné notre Mission à Messieurs de SaintLazare. Ils devaient venir l'an passé, viendront-ils cette année? Dieu le veuille; nous n'en savons encore rien. Ce sont de braves gens; ils peuvent s'assurer que je ferai tout mon possible pour les aider et les mettre en bon train. Nous avons un évêque portugais, il s'appelle Alexandre de Govea. C'est un religieux de Saint-François dont on dit beaucoup de bien. Il ne tiendra pas à moi certainement qu'il ne pacifie la Mission. »

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Cinq ans plus tard, le 7 novembre 1788, Bourgeois écrit au P. Beauregard, l'orateur chrétien de la fin du dix-huitième siècle. Dans sa lettre, le supérieur des Jésuites en Chine rend hommage aux Lazaristes, qui ont pris leur place au nom du gouvernement. Cette abnégation personnelle, en présence des vertus d'un rival, a quelque chose de vraiment religieux.

« Très cher et très ancien confrère, ainsi s'exprime Bourgeois, continuez toujours à faire connaître et aimer notre bon Maître, et à vous montrer toujours digne enfant de saint Ignace.

« Messieurs nos Missionnaires et successeurs sont des gens de mérite, pleins de vertus et de talents, de zèle et d'une très bonne société. Nous vivons en frères; le Seigneur a voulu nous consoler de la perte de notre bonne mère ; et nous le serions entièrement si un enfant

de la Compagnie pouvait oublier sa sainte et aimable mère. C'est un de ces traits qu'on ne peut arracher du cœur, et qui demande à tout moment des actes de résignation. »

Dans une autre lettre, Bourgeois parle du Missionnaire qui le remplace, et, en faisant l'éloge de ses vertus, il ajoute « On ne sait pas si c'est lui qui vit en Jésuite ou nous qui vivons en Lazaristes. »

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Ce n'est pas seulement la correspondance intime des Pères qui garde les traces de cette obéissance jusqu'à la mort; on en recueille partout des preuves, et lorsqu'en 1777 le Saint-Siege envoie d'autres Missionnaires pour prendre possession, chez les Hindoux, de l'œuvre des Jésuites, le même exemple se renouvelle. Les enfants de Loyola déposent en d'autres mains l'héritage de François-Xavier, multiplié par deux siècles de travaux et de martyres. « Ils avaient, dit un de ces nouveaux Missionnaires (1), pour supérieur le P. Mozac, vieillard octogénaire, qui avait blanchi sous le faix du ministère apostolique, qu'il avait exercé pendant quarante ans. Il abdiqua sa place avec la simplicité d'un enfant. »>

Le 15 novembre 1774, il se passa à Fribourg un trait plus étrange encore. Les Jésuites, proscrits par Clément XIV, voulurent prier pour lui. Ils réunirent dans l'église collégiale de Saint-Nicolas lés habitants de la cité, et le P. Mattzell, en prononçant l'oraison funèbre du Souverain Pontife, s'écria, au milieu de l'émotion générale Amis, chers amis de notre ancienne Compagnie, qui que vous soyez, et où que vous puissiez être, si jamais nous avons été assez heureux pour rendre des services dans les royaumes et dans les villes, si nous avons contribué en quelque chose au bien de la Chré

(1) Voyage dans l'Indostan, par M. Perrin, 11a part., chap. IV, p. 174.

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