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crétaire d'État, les estimait; mais le Pape avait pour conseiller intime un cardinal qui ne les aimait pas : c'était Dominique Passionei, esprit supérieur, quoique toujours disposé à la lutte et ne cédant jamais. Ce prince de l'Eglise s'était fait contre les Ordres religieux, et en particulier contre celui de saint Ignace (1), une théorie dont il ne se départit que le plus rarement possible. Jan- · séniste sous la pourpre, tenace dans ses convictions et les défendant avec un acharnement dont sa vive intelligence n'aurait pas eu besoin, Passionei jouissait auprès du souverain Pontife d'un ascendant incontesté. Il n'avait pas vu sans une joie secrète les manœuvres de Pombal, dont il ignorait sans aucun doute les desseins anticatholiques; il, l'avait plus d'une fois encouragé de ses vœux ; il allait, au moment où le Pape se débattait avec l'agonie, lui offrir un gage de cette alliance.

Dans le cours de ce beau pontificat, où Benoît XIV déploya tant d'aimables vertus, Passionei se posa toujours en contraste de son aménité. Comme pour mieux en faire ressortir l'éclat, il s'efforça de se montrer savamment opiniâtre, lorsque Lambertini apparaissait conciliant et modéré. Le Pape, dans ses rapports avec les princes et avec les grands écrivains, poussait quelquefois la condescendance jusqu'à la faiblesse; Passionei se révélait toujours acerbe, toujours guerroyant contre les Instituts religieux. Depuis longtemps les Jésuites avaient éprouvé ses mauvais vouloirs; Pombal, qui connaissait la situation, l'exploita au profit de ses calculs. En 1744, Passionei avait donné une preuve significative de sa répul

(1) D'Alembert, à la page 38 de son ouvrage sur la Destruction des Jésuites, s'exprime ainsi : « On assure que le feu cardinal Passionei poussait la haine contre les Jésuites jusqu'au point de n'admettre dans sa belle et nombreuse bibliothèque aucun écrivain de la Société. J'en suis fâché pour la bibliothèque et pour le maître; l'une y perdait beaucoup de bons livres, et l'autre, si philosophe d'ailleurs, à ce qu'on assure, ne l'était guère à cet égard. »

sion pour-la Compagnie de Jésus; le ministre portugais, en évoquant ce souvenir, était sûr que le cardinal s'empresserait d'accueillir ses projets. A cette époque, un capucin, connu sous le nom de Norbert, puis d'abbé Platel, avait publié en Italie un livre intitulé: Mémoires historiques sur les affaires des Jésuites. Norbert avait visité les Indes et l'Amérique ; il s'était affilié à toutes les sectes protestantes, il apportait sa gerbe à la moisson de haines qu'elles amassaient contre l'Institut. On déféra son œuvre au Saint-Office, et une commission fut nommée pour l'examiner. Dans cette congrégation figuraient Passionei et le cordelier Ganganelli, qui sera le pape Clément XIV. Passionei se prononça en faveur de Norbert, et il remit au souverain pontife un mémoire contre la censure infligée au livre du capucin. L'autorité que les fonctions et le talent du cardinal donnaient à ses avis était grande. Passionei justifiait Norbert, essayant de démontrer que les missionnaires de la Société se livraient à un commerce profane. Cé grief était sérieux; Passionei pouvait le soutenir en avocat ou en prêtre. Ministre tout puissant, il avait sous la main les éléments de l'accusation il aima mieux recourir à des subterfuges. Pour défendre son protégé, il s'efforça de prouver que Norbert ne reprochait pas aux Jésuites des faits de commerce. « Le capucin, ainsi s'exprime Passionei, cite sur ce point une lettre de M. Martin, gouverneur de Pondichery, et il cite cette lettre imprimée dans les Voyages de M. Duquesne. » Il parle donc sur le témoignage d'autrui, et non sur le sien; et, pour plus ample correctif de ce qu'il doit dire, il 'ajoute (tome Ier de ses Mémoires, p. 152) : « Nous ne voulons pas que le lecteur croie à ce gouverneur ni à tant d'autres qui attestent que ces Pères vendent et achètent les plus belles marchandises des Indes. Ils savent bien leurs devoirs; ils savent que les Papes et les Conciles défendent le commerce aux ecclésiastiques

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sous peine d'excommunication. Et tout cela, ainsi conclut Passionei, ne s'appelle pas, en bonne loi de discours, reprocher le délit de commerce. »

Cet artifice de langage ne trompa personne. Aux yeux du cardinal, Norbert ne mérite pas d'être censuré, non point parceque les Jésuites sont réellement coupables du commerce dont il les accuse, mais parcequ'il ne les en a pas accusés. C'est sur cet unique argument que Passionei basait la défense de Norbert. Si les Missionnaires étaient soupçonnés de cette infraction aux lois ecclésiastiques, le cardinal, dans l'intérêt de l'Église et de la morale publique, devait poursuivre à outrance et ne s'arrêter que lorsque justice aurait été faite. Avec son caractère et son animosité contre les Jésuites, il n'était pas homme à reculer, si ses espérances eussent répondu à son désir. Il avoue donc tacitement que, jusqu'en 1745, les Missionnaires de la Compagnie apparaissent purs de ce crime; nous verrons s'ils le furent toujours. (1)

(1) Un grand nombre d'assertions générales, vagues par conséquent, ont été portées contre les Jésuites, relativement au commerce. Ces assertions ne s'éfayaient sur aucune base, on ne pouvait que les démentir; mais aussitôt qu'elles se sont traduites en faits et qu'elles ont été particularisées, des témoignages authentiques et irrécusables les confondirent. Ainsi on a souvent imputé aux Missionnaires du Canada de trafiquer sur les pelleteries. En 1643, La Ferté, Bordier et les autres directeurs ou associés de la compagnie de la Nouvelle-France, dont les Jésuites se seraient établis les concurrents, attestèrent juridiquement que cette incrimination était sans aucun fondement. Ainsi on accusa à différentes reprises les Jésuites du Paraguay d'exploiter des mines d'or et d'argent au préjudice de la couronne d'Espagne. En septembre et octobre 1652, don Juan de Valverde et, le 28 décembre 1743, Philippe V déclarèrent qu'il n'y avait aucune trace de mines dans ces contrées. Si les monarques de la Péninsule avaient été trompés pendant deux siècles sur leurs intérêts, ces mines auraient été retrouvées depuis l'expulsion des Jésuites, à moins que l'on ne suppose qu'ils les aient emportées avec eux au moment où ils abandonnèrent les Réductions. Ainsi encore, l'auteur anonyme des Anecdotes sur la Chine imputa au P. de Goville d'exercer à Canton un négoce qui consistait à

Néanmoins Scholl, qui, du haut de sa probité historique, démasque ces calomnies, adresse à la Société de Jésus un reproche qui a quelque fondement. Benoît XIV avait, en 1740, publié une bulle contre les clercs se livrant à des négoces interdits par les canons. Les Jésuites n'y sont ni nommés ni désignés, aucune allusion directe ou indirecte n'est faite à leur Société; Scholl cependant, armé du décret pontifical, dit (1): « Les deux bulles de Benoît XIV ne pouvaient être exécutées dans les Missions des Jésuites, où les Indiens, dans leur heureuse simplicité, ne connaissaient de chefs, de maîtres, nous aurions presque dit de providence, que les Pères, et où tout commerce était entre les mains de ces derniers. >> Pour porter un jugement dans cette question il faut connaître et les lois de l'Église sur le commerce des clercs, et la position des Jésuites au Paraguay, ainsi que dans les autres chrétientés, où ils furent en même temps Missionnaires et administrateurs du temporel.

Le négoce que les canons interdisent aux clercs et aux religieux, celui que l'Institut de Loyola défend à ses disciples, consiste à acheter pour vendre; mais les lois ecclésiastiques ne se sont jamais étendues jusqu'au débit des denrées ou des fruits provenant de ses domaines. Les Jésuites étaient les tuteurs des chrétiens qu'ils avaient réunis en société au Paraguay. Vu l'incapacité de ces sauvages, que la religion civilisait, plusieurs rois d'Espagne, et Philippe V par son décret du 28 décem

changer les pièces d'or chinoises contre l'argent européen. Goville évoqua des témoins et des autorités compétentes. Le procureur général de la Propagande, à Canton, Joseph Céru, homme peu favorable aux Jésuites; La Bretesche, directeur de la Compagnie des Indes à Canton, et du Velaï, son successeur; du. Brossay et de l'Age, lieutenant et capitaine de vaisseau; Arson, négociant, certifièrent par acte authentique que jamais le P. de Goville ni aucun autre Jésuite n'avaient exercé ni pu exercer le change. (1) Cours d'histoire des États européens, t. xxxix, p. 51.

bre 1743, renouvelant et confirmant des édits antérieurs, accordèrent aux Missionnaires le droit d'aliéner les denrées des terres cultivées par les Néophytes, ainsi que le produit de leur industrie. Ce commerce s'était toujours fait publiquement. Les Papes, les Rois, tout l'univers en furent témoins pendant cent cinquante années, et il ne s'éleva aucune réclamation. Les pontifes et les monarques encouragèrent les Jésuites, tantôt par des brefs, tantôt par des lettres approbatives. Les évêques du Paraguay célébrèrent même à diverses époques le désintéressement des Pères; les autorités civiles, qui apuraient les comptes annuels, louèrent leur économie et leur fidèle administration (1). Un'tel négoce patent et néces

(1) Nous croyons devoir mettre sous les yeux du lecteur les deuxième et quatrième articles du décret de Philippe V, daté du 28 décembre 1743. Leur teneur fera mieux comprendre que toutes les explications la manière de gérer adoptée par les Jésuites au Paraguay.

Le second article indique quels fruits on recueille dans ces bourgades; où on les négocie; leur prix respectif; la quantité de l'herbe qu'on retire chaque année; où on la porte; l'usage qu'on en fait, et combien elle se vend.

Il résulte des informations qu'on a reçues de don Juan Vasquez, sur des recherches qu'il a faites, que le produit de l'herbe, du tabac et des autres fruits, est de cent mille écus par an; que ce sont les procureurs de ces Pères qui, à raison de l'incapacité des Indiens, ci-dessus remarquée, sont chargés de les vendre et d'en tirer l'argent.

Enfin, ayant devant les yeux la preuve que le produit de l'herbe, des autres fruits de la terre et de l'industrie de ces Indiens est de cent mille écus, ce qui s'accorde avec ce que disent les Pères, lesquels certifient qu'il ne reste rien de cette somme pour l'entretien des trente bourgades de mille habitants chacune, ce qui, à raison de cinq personnes pour chaque habitant, fait le nombre de cent cinquante mille personnes qui, sur la somme de cent mille écus, n'ont chacune que sept réales pour acheter leurs outils et pour entretenir leurs églises dans la décence où elles sont; ce qui, étant prouvé, fait voir que ces Indiens n'ont pas même de fonds pour le léger tribut qu'ils paient. Cela posé: « J'ai jugé à propos qu'on ne changeât << rien dans la manière dont les fruits qui se recueillent dans ces bourgades` « se négocient par les mains des Pères-procureurs, comme il s'est pratiqué ́« jusqu'à présent, et que les officiers de mon trésor royal de Santa-Fé et de

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