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chose, il passe pour être attaché aux Jésuites, et son confrère pour leur être contraire. J'ignore entièrement quels sont ceux qui ont sa confiance ni qui entre avec lui. »

Le plénipotentiaire français ne connaît pas Solis; le ministre espagnol va en quelques mots insultants tracer son portrait à Nicolas d'Azara: « Je me réjouis, luiécrit-il d'Aranjuez, le 16 mai, de savoir que nos deux Cardinaux sont enfin arrivés. J'espère qu'à part leur figure, ils ne seront pas des plus imbéciles. Car, eu égard aux hommes qui composent le Sacré Collége, ils peuvent se distinguer parmi plusieurs de leurs confrères. »

Bernis passait en Espagne pour un affilié des Jésuites, Solis était inculpé en France d'être leur ami. Ce dernier prouvera bientôt à d'Aubeterre qu'il est digne de s'associer à ses projets.

On remarquait au sein du Sacré Collège un homme qui se tenait à l'écart des intrigues et qui, placé entre les Zelanti et le parti des Couronnes, comme dans un juste milieu pacificateur, ne laissait rien transpirer de ses pensées ou de ses espérances. C'était le cardinal Ganganelli.

Quelques années avant la mort de Clément XIII, le Gouvernement français demanda à ses agents diplomatiques à Rome une Notice sur les cardinaux composant le Sacré Collège. Cette Biographie manuscrite, qui se trouve aux archives de France, est comme toutes ces sortes d'ouvrages une œuvre de mauvaise foi et de passion. Les Cardinaux y sont jugés par des bruits de ville ou de salon. Une anecdote plus ou moins apocryphe fait passer à pieds joints sur des vertus que les annotateurs ne prennent même pas la peine d'apprécier ou de consigner. La plupart de ces princes de l'Église sont accusés d'ignorance ou de despotisme, d'hypocrisie ou d'avidité parcequ'ils ne veulent pas exaucer les menaçantes prières

que font entendre les ministres et les ambassadeurs des Cours de la maison de Bourbon. Ganganelli, dont les opinions étaient encore incertaines, ne sera pas mieux traité que les autres, et il est curieux de voir avec quel sans façon l'ambassade française à Rome, devenue biographe cardinalice, peint le Pontife à qui elle remettra le soin des vengeances posthumes de la marquise de Pompadour.

Voici le portrait du futur Clément XIV. (Page 22 du manuscrit.)

« On dirait que ce moine Franciscain qui est parvenu au cardinalat par son adresse, marche sur les traces de Sixte V. On ne connaît son penchant ni pour la France ni pour les autres nations. Il se trouve toujours du côté le plus utile à ses vues, tantôt Zelante et tantôt antiZelante, selon le vent le plus favorable. Il ne dit jamais ce qu'il pense. Sa grande étude est de plaire à tout le monde et de faire voir qu'il est du parti de celui qui lui parle. Il n'ose pas s'opposer aux désirs des souverains; il craint les Cours et les ménage. Le Pape a pour lui beaucoup d'estime, et il obtient ce qu'il veut par mille manœuvres secrètes. Mais comme il s'est mêlé de trop d'affaires, ses intrigues ont diminué son crédit dans le Sacré Collége, qui, au premier Conclave, barrera vraisemblablement son ambition quelque masquée qu'elle soit sous le froc. Il est nécessaire de gagner ce Cardinal pour tous les objets qui ont rapport au Saint-Office, parceque son vœu attire la plupart des autres. Quant aux affaires ecclésiastiques qui concernent la France, on ne peut pas se fier entièrement à lui; mais la crainte du mécontentement du Roi peut seule le déterminer à seconder les vues toujours justes et pacifiques de Sa Majesté pour le maintien de la Religion. »>

A peine entré au Conclave, le cardinal de Bernis reprend en sous-œuvre le travail de ses complices, et à son

tour il adresse au Gouvernement français une Notice sur tous les Cardinaux. Bernis parle ainsi de Ganganelli: « Il affecte beaucoup d'égards pour les Français, et paraît être fort bien à la cour d'Espagne. Il a succédé au célè– bre Passionei dans l'office de rapporteur du procès de canonisation du vénérable Palafox. Tout le monde a admiré son courage d'accepter cette commission dans les temps présents. Il ne paraît point ami de la Société de Jésus. En général on le croit capable des démarches les plus hardies pour parvenir à ses fins. »

Renchérissant sur les imputations de ses maîtres à l'égard du cardinal Ganganelli, Dufour, qui dans chacune de ses lettres mendie d'une main pour diffamer de l'autre, ne s'arrête pas en aussi beau chemin. Ganganelli, dit-il dans sa correspondance secrète, est un véritable intrigant; mais il est connu pour tel, et dès lors on en fait le cas ordinaire que méritent ceux qui font un pareil métier. C'est encore un grand parleur, un très mauvais théologien, un homme avare, ambitieux, vain et présomptueux. Si son vote, au reste, vous était nécessaire, il y aurait moyen de l'avoir; mais il serait nécessaire de lui ôter auparavant la folie d'être Pape, et il serait facile de le guérir de cette maladie en lui parlant sincèrement. On doit toutefois se méfier sans cesse de sa duplicité, car il se livrera certainement au plus offrant et dernier enchérisseur. »>

Ganganelli n'était pas sorti de sa dignité sacerdotale, il n'avait pas encore donné aux ennemis de l'Église le droit de le flétrir par leurs louanges; et c'est en ces termes que parlent de lui les hommes qui vont l'élever à la Papauté. Le P. Jules de Cordarà, l'un des Jésuites qui travaillèrent toute leur vie aux Annales de la Compagnie, et dont le talent, comme historien, est apprécié des savants, à tracé, dans ses Commentaires inédits sur la suppression de la Société de Jésus, un portrait de ce

même Ganganelli. Le rapprochement sera aussi curieux qu'instructif. Nous avons publié ce que pensaient le cardinal de Bernis, Dufour et le marquis d'Aubeterre du Pape futur qui détruira l'Institut; voyons maintenant ce qu'en dit dans le silence de l'étude et de la réflexion un des Jésuites que Clément XIV proscrivit : (1)

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« Ganganelli mena dans son intérieur une vie telle qu'il fut toujours regardé comme un bon religieux et un homme rempli de la crainte du Seigneur. Il était naturellement jovial, ne se refusant pas à quelques jeux de mots dans le cours de la conversation; mais ses mœurs étaient pures. C'est le témoignage unanime que rendent de lui ses amis et ses confrères les Franciscains. Non seulement sa vie fut sans taché, mais son application aux études sérieuses avait été telle qu'il se distingua entre tous par l'éminence de son savoir. J'ajoute qu'il aima toujours beaucoup la Compagnie. C'est ce qu'avouaient naguère les Jésuites de Milan, de Bologne et de Rome, villes où Ganganelli enseigna la théologie aux siens et où il s'était fait connaître aux Pères de la Compagnie. C'est un fait constant que partout où Ganganelli rencontra des Jésuites, il se lia avec eux et tint à être regardé comme leur ami.

<< Lorsque le Pape Rezzonico l'appela aux honneurs de la pourpre, il déclara qu'il faisait cardinal un Jésuite revêtu de l'habit des Franciscains, et les Jésuites eux-mêmes en furent convaincus. Je ne nie pas qu'alors Ganganelli apparut contraire aux nôtres, et que la plupart l'acceptèrent comme mal disposé envers la Compagnie; car, dès ce jour, il rompit tout rapport avec nos Pères et prit à cœur le patronage de la cause de Palafox,

(1) Julii Cordaræ de suppressione Societatis Jesu commentarii ad franciscum fratrem comitem Calamandranæ.

Le manuscrit latin de cet ouvrage a été trouvé dans la bibliothèque du savant abbé Cancellieri.

et s'unit d'une étroite amitié avec Roda, ambassadeur du roi d'Espagne. Sous la pourpre, il commença à porter ses regards vers le suprême Pontificat. En homme perspicace, il comprit que celui qui se déclarerait publiquement favorable aux Jésuites serait difficilement choisi pour chef de l'Église. Aussi suivit-il une ligne de conduite diamétralement opposée. Toutefois ce changement ne fut qu'extérieur. Son cœur, sa volonté demeuraient inébranlables, et c'est avec raison que le cardinal Orsini ne cessait de l'appeler un Jésuite déguisé. »

Ganganelli, si diversement apprécié, était, jusqu'à l'heure décisive, resté dans ce caractère. Chaque fraction du Conclave l'avait entendu jeter quelques-uns de ces mots significatifs qui prêtent beaucoup à l'interprétation. « Leurs bras sont bien longs, disait-il en parlant des princes de la maison de Bourbon, ils passent par dessus les Alpes et les Pyrénées. » Aux cardinaux qui n'immolaient pas les Jésuites sous de chimériques accusations, il répétait avec un accent plein de sincérité: « Il ne faut pas plus songer à tuer la Compagnie de Jésus qu'à renverser le dôme de saint Pierre. »>

Ces paroles, cette attitude, dont l'art n'échappait point à la sagacité romaine, et qu' Azpuru comme d'Aubeterre avaient signalées depuis longtemps, firent comprendre aux Cardinaux espagnols que Ganganelli ambitionnait la tiare. C'était le seul moine dans le Conclave; ils crurent que des rivalités d'Institut pourraient être un nouvel élément de succès. Le caractère de Bernis, tout exubérant de présomption, n'avait rien de sympathique avec celui de Ganganelli. Bernis sonda le Cordelier; il le trouva calme et froid, ne promettant rien, ne s'engageant jamais; néanmoïns dans les finesses si déliées de la langue italienne, cherchant à ne rien refuser. Ganganelli lui parut peu sûr, et l'archevêque d'Alby se mit en quête d'un autre candidat.

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