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sonné. Ces dissidences d'opinions n'empêchaient pas Pombal et les écrivains du dix-huitième siècle de se prêter un mutuel appui pour renverser l'édifice social. Le Portugais s'arrêtait dans ses innovations religieuses au culte anglican; il espérait ressusciter sur les bords du Tage les sanglantes péripéties du règne de Henri VHI d'Angleterre les Philosophes le dépassaient dans ses rêves : ils allaient jusqu'à la consécration légale de l'athéisme. Néanmoins, pour eux ainsi que pour le Portugais, il existait un ennemi dont il fallait se défaire à tout prix : cet ennemi c'était la Compagnie de Jésus. Pombal avait isolé les Jésuites; il avait frappé de stupeur, d'exil ou de confiscation leurs protecteurs et leurs clients; ils restaient à peu près seuls sur la brèche en face de lui, qui concentrait, qui résumait tous les pouvoirs. Avant de marcher résolument à la destruction de l'Ordre, il voulut procéder par la calomnie. Afin que la preuve ne pût pas renverser trop vite son échafaudage d'imposture, il transporta en Amérique la première scène de son drame.

On a vu qu'à diverses reprises le bruit de mines d'or existant dans les réductions du Paraguay s'était répandu en Europe, et que ce bruit avait été démenti, d'abord par les faits, ensuite par les commissaires royaux envoyés sur les lieux. L'Espagne savait à quoi s'en tenir sur de pareilles rumeurs, lorsque Gomez d'Andrada, gouverneur de Rio-Janeiro, en 1740, pensa que les Jésuites ne faisaient si bonne garde autour des Réductions du Parana que pour dérober aux regards indiscrets la trace de cette chimérique fortune. Andrada conçut le projet d'un échange entre les deux couronnes, et, pour obtenir les sept Réductions de l'Uraguay, il imagina de céder à l'Espagne la belle colonie del San-Sacramento.. Il avait découvert un nouveau Pactole, il en fit part à la cour de Lisbonne, qui s'empressa de négocier avec le cabinet de

Madrid. L'échange était trop avantageux à ce dernier pour ne pas être accepté. Le Portugal abandonnait un pays fertile qui, par sa situation sur la Plata, ouvrait ou fermait la navigation du fleuve, et, pour compensation, il ne demandait qu'une terre condamnée à la stérilité. L'Espagne adhéra au traité; mais, comme si les diplomates des deux États eussent eu le pouvoir de dire à ces sauvages devenus hommes d'emporter leur patriẹ à la semelle de leurs souliers, il fut stipulé que les habitants des sept réductions cédées iraient défricher loin de là un sol aussi désert qu'inculte. Désirant exploiter tout à son aise les mines d'or'dont il avait leurré le conseil de Lisbonne, Gomez d'Andrada avait posé pour condition que trente mille âmes se trouveraient subitement sans patrie, sans famille, et qu'elles pourraient aller à la grâce de Dieu recommencer leur vie errante.

Les Jésuites étaient les pères, les maîtres, les amis de ces Néophytes; ils avaient une influence déterminante sur eux. Le 15 février 1750, ils furent chargés par les deux cours signataires du traité et par le chef de l'Institut de disposer le peuple à cette transmigration. François Retz, Général de la Compagnie, expédiait, pour plus de sûreté, quatre copies de son ordre. Après avoir pris toutes les précautions, il ajoutait qu'il se ferait luimême un devoir de vaincre les obstacles qui le retenaient à Rome, et d'accourir dans ces vastes contrées pour favoriser, par sa présence, la prompte exécution des volontés royales, tant il avait à cœur de satisfaire les deux puissances. Le P. Barreda, provincial du Paraguay, se met en route; il était vieux et cassé par l'âge : il nomme pour le remplacer Bernard Neydorffert, qui, depuis trente-cinq ans, résidait parmi les Néophytes et leur était cher à plus d'un titre. Le Jésuite communique cet étrange projet aux Caciques; de tous il reçut la même réponse. Tous déclarèrent qu'ils aimaient mieux

la mort sur le sol de la patrie qu'un exil sans terme, immérité et qui les arrachait au tombeau de leurs aïeux, au berceau de leurs enfants pour consommer leur ruine. Les Jésuites s'attendaient à ces naïves douleurs : ils s'y associèrent, et nous regrettons qu'ils n'aient pas eu le courage de s'opposer à de pareilles violences. Ils connaissaient les sourdes manœuvres auxquelles la Compagnie était en butte; ils n'ignoraient pas que des coalitions de préjugés ou de haines se formaient contre elle; ils crurent les conjurer en se faisant les auxiliaires des cabinets de Madrid et de Lisbonne, qui trafiquaient des Néophytes comme d'un bétail. Cette condescendance fut un tort qui, au lieu de les préserver, hâta leur chute. La soumission qu'on calomniait fut regardée par leurs ennemis comme un acte de faiblesse ; elle rendit Pombal plus exigeant. Le ministre les voyait tenter d'inutiles. efforts pour calmer l'irritation des Indiens, il accusa les Missionnaires d'entretenir sous main le mécontentement. Il opprimait les Néophytes afin de faire l'essai de ses forces; les pères, bien loin de résister, se prêtaient avec un douloureux abandon aux mesures que la cupidité et l'ambition lui suggéraient : Pombal sentit que de pareils adversaires étaient vaincus d'avance. Il se servit d'eux pour désórganiser les Réductions et pour les écraser, tout en peignant les Missionnaires comme des fauteurs de révolte.

Ils avaient la clef de l'échange immoral proposé par la cour de Lisbonne ; ils savaient que la dispersion des Néophytes n'était réclamée qu'afin de laisser aux agents portugais la faculté de tarir les fabuleuses mines d'or auxquelles les Jésuites puisaient d'une manière si discrète. La vérité et l'honneur de l'Institut étaient engagés dans la question, ils aimèrent mieux seconder leurs ennemis que de s'appuyer sur leurs amis. Ils entraient dans cette funeste voie des concessions qui n'a jamais

sauvé personne, et qui a perdu plus d'une juste cause, en jetant un vernis de déshonneur sur ses derniers moments. Les Jésuites s'effrayèrent des clameurs soulevées autour d'eux; ils crurent en amortir le coup en pactisant avec ceux qui le dirigeaient. Pour ne pas soulever une tempêté peut-être utile alors, ils se résignèrent au rôle d'hécatombes involontaires et de martyrs par concession, le seul chemin qui conduit à la mort sans profit et sans gloire. Les Indiens en appelaient à la force afin de paralyser l'arbitraire; l'arbitraire incrimina les Jésuites, et Pombal les dénonça à l'Europe comme excitant ouvertement les peuples à l'insurrection. Les Jésuites n'eurent pas l'heureuse pensée d'être aussi noblement coupables. Des intrigues de catholiques se coalisaient pour tourner à mal leurs actions, un écrivain protestant se montra plus équitable, et Scholl put dire (1): « Lorsque les Indiens de la colonie du Saint-Sacrement, attroupés au nombre de dix ou quatorze mille, exercés dans les armes et pourvus de canons, refusèrent de se soumettre à l'ordre d'expatriation, on ajouta difficilement foi aux assertions des Pères d'avoir employé tout leur pouvoir pour les engager à l'obéissance. Il est cependant prouvé que les Pères firent, extérieurement du moins, toutes les démarches nécessaires pour cela; mais on peut supposer que leurs exhortations, dictées par le devoir, mais répugnant à leur sentiment, n'avaient pas toute la chaleur qu'ils leur auraient donnée dans une autre occasion. Une pareille supposition ne suffit pas pour construire une accusation de révolte. Que deviendrait l'histoire, que deviendrait la justice, si, sur les assurances d'un ministre, destituées de preuve, il était loisible de flétrir la réputation d'un homme ou d'une corporation? Par amour de la paix, les Jésuites se plaçaient entre

(1) Cours d'histoire des États européens, t. xxxix, p. 51.

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deux écueils d'un côté, ils s'exposaient aux justes reproches des Indiens; de l'autre, ils se mettaient à la discrétion des adversaires de l'Institut. On allait calomnier jusqu'à leur incompréhensible abnégation, et ils se dépouillaient de leurs armes au moment même où on leur imputait de s'armer. Les Néophytes avaient en eux la confiance la plus illimitée; les Missionnaires pouvaient d'un mot soulever toutes les Réductions, et, par une guerre entre la métropole et les colonies, faire vibrer au cœur des Indiens ce sentiment d'indépendance qu'ils avaient eu tant de peine à refouler. Ils n'osèrent pas évoquer une pensée généreuse; ils prêchèrent l'obéissance à la loi, et ils se virent en butte aux traits des deux partis.

Les familles bannies attribuèrent à leur faiblesse les maux dont elles se voyaient les victimes; elles menacèrent, elles poursuivirent même quelques Jésuites, qui, comme le P. Altamirano, se croyaient forcés dans l'intérêt général d'accepter les fonctions de commissaires chargés de l'exécution du traité d'échange. A, la respectueuse affection jusqu'alors témoignée aux Missionnaires succédaient des soupçons que d'habiles agents avaient soin de fomenter dans l'âme des Néophytes. Il fallait les entraîner à une guerre partielle, afin de briser à tout jamais, par le sang versé, l'union existant entre les Indiens et les disciples de l'Institut. Ce résultat fut obtenù. On avait arraché les tribus chrétiennes du Maranon à la garde spirituelle des Jésuites, on youlait leur enlever leurs pieuses conquêtes de l'Uruguay. Dans ce tiraillement intérieur, les Catéchumènes ne purent agir avec ensemble: ils n'étaient habitués qu'à l'obéissance volontaire; tout à coup ils se trouvaient, sans chefs et sans Jésuites, obligés de lutter pour conserver leur patrie. L'action pacifique des Pères se faisait encore sentir sur quelques Réductions; ils les amenaient à subir en si

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