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c'est aussi le fondement de mon opinion. Je conviens encore que beaucoup de monde n'en convient pas ; mais je demande à Votre Eminence où se trouve l'unanimité ? Ne faut-il pas séparer ce qui est esprit de parti d'avec ce qui est esprit de raison. »>

L'esprit de raison et la théologie naturelle invoqués par d'Aubeterre, c'était aux yeux des ministres de la famille de Bourbon la simonie organisée, la corruption pénétrant dans le Conclave sous le manteau de la philosophie diplomatique. Bernis, dans un mémoire daté du 12 avril, et adressé au duc de Choiseul, avait dit : «< Demander au Pape futur la promesse, par écrit ou devant témoins, de la destruction des Jésuites, serait exposer visiblement l'honneur des Couronnes par la violation de toutes les règles canoniques. Si un Cardinal était capable de faire un tel marché, on devrait le croire encore plus capable d'y manquer. Un prêtre, un évêque instruit ne peuvent accepter ni proposer de pareilles conditions. >> Les Rois, celui d'Espagne surtout, tendaient à violenter la conscience de l'Église ; le 3 mai, Bernis écrivait : « On m'a dit aujourd'hui que les Cardinaux espagnols étaient dans le principe que cette démarche ordonnée par le Roi d'Espagne intéressait sa conscience seule si elle était mauvaise. En France, nous croyons qué, dans ce genre, c'est aux Évêques à éclairer les Rois sur les règles canoniques. >>

D'Aubeterre n'est pas de cet avis, qui froisse ses intérêts. Le mai, il se retranche derrière sa raison individuelle, et il écrit: « Si j'étais évêque, je ne penserais pas du tout que les Rois eussent besoin d'être éclairés sur cette matière, dans laquelle je ne reconnais pour juge que la droite raison. » Deux jours sont à peine écoulés qu'il a de nouveaux arguments à opposer au Cardinal : « La simonie et la confidence ne sont d'aucun état, lui mande-t-il, mais elles cessent pour tous là où parle la

droite raison. Peut-il y avoir une règle de l'Église qui empêche qu'on ne lui fasse du bien ? »

Afin de venir d'Alby à Rome représenter la France dans ce Conclave, et de se mettre aux ordres des adversaires de la Religion, Bernis a déjà touché cent trente mille livres (1); il a la promesse de l'ambassade viagère près du Saint-Siége; tout cela ne suffit pas à ses yeux pour le récompenser du service qu'il rend à l'incrédulité dominante. Le Cardinal s'est chargé d'intriguer contre la Société de Jésus; mais ce complot, dont il sera le chef nominal, ne l'empêche pas de songer aux malheureux détails de ses affaires. Il est au Vatican dans le but avoué

(1) Nous avons entre les mains tous les papiers du Cardinal jusqu'à ses passeports français, sarde et milanais pour le Conclave, jusqu'aux minutes même de ses dépêches les plus secrètes, et nous reproduisons la lettre que le banquier Laborde lui adressa de Paris, le 15 février 1769. « Monseigneur, je ne sais pas les dispositions qu'on prendra ici pour vous mettre en état de partir pour Rome; mais je préviens l'embarras où Votre Eminence pourrait se trouver en lui adressant deux lettres de crédit; l'une de trente mille livres pour Turin, et l'autre de cent mille pour Rome. Je prie Votre Eminence de vouloir bien me marquer si cela suffit. Je profite du courrier de M. le duc de Choiseul pour vous faire cet hommage ainsi que celui du profond respect avec lequel, etc. >>

Il paraît que le Cardinal trouva que le banquier agissait plus en Roi que Louis XV lui-même, car à peine est-il arrivé à Lyon que, le 4 mars, il transmet au duc de Choiseul la réclamation suivante : « M. de Laborde, en m'envoyant des lettres de crédit pour Turin et Rome, me dit que ne sachant pas quels seront les arrangements de la Cour pour mon voyage et ne voulant pas me laisser dans l'embarras, il m'adresse des lettres de crédit. Vous me faites l'honneur de m'envoyer ces mêmes lettres ouvertes en me disant que c'est pour pourvoir à mes besoins. Il est nécessaire que je sache si c'est le Roi qui a la bonté de fournir aux dépenses ruineuses d'un voyage fait par ses ordres et pour son service, ou une obligation nouvelle que je contracte envers M. de Laborde. Dans le premier cas, je dois de très humbles actions de grâces à Sa Majesté d'avoir bien voulu me donner les moyens de remplir ses vues. Le mémoire ci-joint de mes dettes, que je vous prie de mettre sous ses yeux, lui prouvera combien il m'était nécessaire d'être secouru. »

de conquérir des suffrages par la captation ou par les menaces; il n'entend parler autour de lui que de promesses et de transactions pécuniaires; Bernis se lance dans cette voie qu'il a ouverte. On croirait qu'il veut donner raison à Roda, qui, le 9 mai, dit de lui dans une lettre à Azara : « Il ne faut pas se fier au fameux Bernis, qui est dans le secret. C'est un négociateur et un intrigant de première force; c'est ainsi qu'il a fait fortune. S'il se réunit à Jean-François Albani, ils feront le Pape qu'il leur plaira de créer. » Le 28 avril, le Cardinal français ose, pour ainsi dire, mettre le marché à la main : « Je n'ai fait aucune demande injuste ni déraisonnable, écrit-il à d'Aubeterre. Ainsi il sera aisé de m'enrôler. Mais je demande de la sûreté pour mes dettes et un point qui touche à l'honneur. Si l'on satisfait à ces deux choses, je reste; sinon, je rejoindrai avec plaisir mes moutons. »> Les dettes dont Bernis, avant son départ pour Rome, a fait passer le chiffre à Louis XV, s'élèvent à la somme de deux cent sept mille livres, et ce n'est pas la dernière demande qu'il datera du Vatican.

Puis continuant son billet de ce jour-là, il discute l'affaire des Jésuites avec une impartialité théologique qui ne le cède en rien à la délicatesse des sentiments qu'il vient d'étaler: « Il n'est pas question, ajoute-t-il, d'examiner si, les choses étant où elles en sont, il faut supprimer un Ordre dangereux au moins s'il n'est pas coupable. Tout homme sans passions doit le penser, et je le pense très fort. Mais il s'agit de savoir si, pour y parvenir, des évêques peuvent agir contre les règles de l'Église? D'ailleurs cette dispute entre nous est de la chappe à l'évêque. Nous ne serons pas assez forts pour faire le Pape à notre choix. Il faut avoir de la foi pour être sûr que le cardinal Ganganelli est pour nous. Il s'enveloppe de mystères qui échappent à la raison. »

Rien n'avançait cependant. D'Aubeterre et Azpuru à

l'extérieur, Bernis et Orsini à l'intérieur accumulaient promesses sur promesses afin de capter quelques suffrages. Le cardinal de Luynes, qui, dans sa correspondance toute gastronomique, se tient à l'écart, est enfin entraîné par la fièvre de l'intrigue. Il sort du rôle passif qu'on lui a tracé, et tous ensemble livrent un nouvel assaut à la Compagnie de Jésus. Ils cherchaient dans les divers Colléges de la prélature romaine les caractères malléables ou susceptibles de se laisser corrompre. En les attachant à leur cause, ils espéraient déterminer les Cardinaux irrésolus, mais probes, à courber la tête sous le joug d'une terreur organisée.

La plupart des Prélats nés sur les terres du patrimoine ecclésiastique, et qu'on désigne sous le nom de Statistes, résistèrent aux séductions dont ils étaient entourés. Il n'en fut pas de même de ceux qui, de tous les coins du monde et de l'Italie principalement, viennent chercher fortune à Rome. Pour quelques-uns de ces derniers, la carrière cléricale est une profession comme une autre. Ils y entrent sans vocation déterminée, et, quand ils sont parvenus à poser le pied sur le premier degré de l'échelle, ils aspirent à les franchir tous le plus rapidement possible. Habiles à dissimuler leur ambition, concentrés dans la seule pensée d'écarter les obstacles, ils marchent, ils se croisent, ils rampent à travers mille imperceptibles détours, vers le but qu'ils se proposent. Les refus et les mécomptes ne lassent jamais leur persévérance. Ils ne froissent personne; mais ils s'estiment assez téméraires pour afficher un suprême dédain envers le pouvoir déchu. Ils ont été, ils sont, ils seront toujours la dernière pierre jetée à l'arbre qui est tombé. Le bien et le mal, la religion et la politique, les dehors de la piété ou une vie mondaine, l'art de flatter les puissants du jour et de se ménager des protecteurs dont le crédit commence à poindre, la reconnaissance et l'ingratitude,

la franchise et la duplicité, tout est pour eux un moyen. Ils ne s'occupent des autres qué pour les faire servir au triomphe de leur égoïsme.

A Rome, ce sera toujours sans aucun doute le plus petit nombre, l'exception, qui agira de cette sorte. Mais c'est ce petit nombre qui se répand dans les salons, qui s'insinue auprès des femmes, qui se constitue le courtiermarron de la diplomatie, qui assiège les antichambres du Pape, qui s'établit le commensal des serviteurs de tous les Cardinaux, et qui, aboutissant à chaque avenue, arrive peu à peu à intercepter toutes les voies. Cette influence délétère s'est plus d'une fois fait sentir à Rome. Lorsque les adversaires de l'Église sont audacieux et que le Souverain Pontife craint d'engager une lutte d'où la Chaire apostolique doit nécessairement sortir victorieuse, il vient des jours où l'on ne parle dans la cité d'Innocent III et de Sixte-Quint que de sacrifices à la paix. L'ambition individuelle agite au dessus de toutes les têtes le drapeau de la peur; l'on tremble devant les cauteleuses menaces d'un ambassadeur étranger comme sous les rancunes parlementaires d'un vieux Janséniste de bazoche.

D'Aubeterre et Azpuru, qui écrivait peu afin de garder sa liberté d'action, ne cachaient pas leurs sinistres projets contre l'indépendance de l'Église. Ils trouvèrent dans les rangs de la prélature des monsignori pour les seconder. Le système des concessions aux couronnes portait déjà ses fruits. Les Papes prédécesseurs immédiats de Clément XIII n'avaient pas cru pouvoir ou devoir maintenir la suprématie de l'autorité morale qui avait si souvent tourné au bonheur des peuples. Par un sentiment mal entendu de paix et de charité envers les Monarques, on avait vu ces Pontifes se départir peu à peu des prérogatives du Saint-Siége. Ils sacrifiaient ses droits à une vaîne apparence de concorde. De protecteurs qu'ils avaient été jusque là, ils se laissaient rabaisser au rôle

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