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Dans ces conflits ambitieux, l'affaire des Jésuites avait fait un pas immense. On la rattachait à la liberté même du Saint-Siége, et Azpuru, écrivant au comte d'Aranda, pouvait se permettre de lui dire le 21 avril : « Plus heureux que le gouvernement du Roi très chrétien, Votre Excellence n'a pas eu besoin de torturer les faits et la loi pour frapper la Compagnie de Loyola. Sa Majesté a prononcé, et l'arrêt a été exécuté sans appel. Le silence vaut mieux pour nous que toutes les procédures, car Bernis s'embarrasse pour les défendre, et moi je n'ai besoin que de me taire. L'accusation muette se traduit de toutes les manières. La France a eu tort de dire son dernier mot sans apporter de preuves. On les demande dans le Conclave; nous, nous pouvons empêcher toute discussion, et cela est préférable. En effet, nous n'avons pas à démontrer la culpabilité des Ignatiens sur tel ou tel point. Le secret du Roi répond à tout, et il pose la mort des Jésuites comme une condition sine qua non. Peu importe que le crime soit ou ne pas soit prouvé, si l'accusé est condamné. On résistera, mais enfin on arrivera à consommer le sacrifice. »

L'Église refusait de s'associer à l'iniquité préméditée des trois Cours. La corruption ne faisait faire aucun progrès à l'intrigue ; les ministres des puissances pensèrent qu'ils seraient plus heureux s'ils employaient les moyens de terreur. On ne parle plus de simonie pour le moment, Bernis et le cardinal Orsini prennent à tâche d'effrayer le Conclave. Les villes d'Avignon, de Bénévent, de Ponte-Corvo étaient militairement occupées par les troupes de la maison de Bourbon; elle menace de pousser plus loin les hostilités. Les monarques de France et d'Espagne jouissaient de deux voix d'exclusion dans le Sacré Collége. Une lettre du cardinal de Bernis, du 22 avril, va nous initier au scandale que ces princes laissèrent propager en leur nom. Il s'exprime en ces

termes: «Si M. Azpuru veut faire attention que les listes d'Espagne et de France réunies donnent l'exclusion à vingt-trois sujets et que le Conclave ne sera composé que de quarante-six après l'arrivée des Espagnols, et que de ces quarante-six il faut en retrancher neuf ou dix qui ne sont pas papables, où trouvera-t-on un Pape? M. Azpuru répondra qu'il restera Sersale, dont on ne veut pas ici; Stoppani, dont on ne veut pas davantage; Malvezzi, qu'on a en horreur depuis qu'il parle pour nous; les Napolitains, qui sont trop jeunes; Perelli et Pirelli, auxquels peu de voix se joindront; Ganganelli, qui est craint et pas assez considéré. M. Azpuru répondra que la lassitude forcera à en venir à Sersale; mais la lassitude, jointe aux bruits qu'on sème déjà contre la tyrannie des Cours, dérangera à la fin le système de notre exclusive; les Rois nous abandonneront, on fera un Pape malgré nous.... C'est pour l'honneur des Couronnes que je parle. Jamais elles n'ont voulu faire un Pape, en excluant plus de la moitié du Sacré Collége! Cela est sans exemple. Il faut être raisonnable, et ne pas mettre le Sacré Collége dans le cas de se séparer et de protester de la violence. Il est impossible de former un plan de conduite sur un plan d'exclusive si général qu'il ne comprend à peine que quatre ou cinq sujets, dont quelques-uns sont trop jeunes. En un mot, les bras tombent toutes les fois qu'il faut prendre la lune avec les dents ou pourrir en prison.

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D'Aubeterre ne concevait pas ces lenteurs et ces dé– licatesses de conscience. Les Rois parlaient; son égoïsme philosophique était d'accord avec eux; il fallait que l'Église cédât. « Je crois bien, mande-t-il à Bernis, que le Sacré Collège craint nos exclusions, mais ce n'est pas une raison pour nous priver de ce moyen. En excluant les vieillards, nous avons certainement, tant dans la classe des bons que dans celle des douteux et des indif

férents, au moins douze sujets pour lesquels nous irons. Ainsi, ce n'est pas de notre côté qu'est la tyrannie, mais bien de celui du parti opposé, qui voudrait nous faire la loi, et nous donner un Pape Jésuite ou dépendant des Albani, ce qui est tout un. Il est aisé de sentir les sujets qui peuvent convenir; il n'y a qu'à se concerter de bonne foi, et alors ils ne trouveront aucune opposition de notre part. Au reste, il n'y a point de mal qu'ils aient un peu de peur. L'expérience que j'ai de ce pays-ci m'a fait connaître que c'était le meilleur moyen pour déterminer les esprits. Il faut absolument leur en imposer, sans quoi ils nous foulent aux pieds. D'après ce principe, il n'y a pas de mal non plus qu'ils sachent que, si on élisait un Pape malgré les Couronnes, il ne serait pas reconnu par elles. Qu'on craigne les Cours, qu'on aime et estime Votre Éminence, voilà ce qu'il nous faut. »

Ce qu'il fallait à l'ambassadeur de Louis XV c'était l'abaissement du Siége apostolique au profit des novateurs du dix-huitième siècle. On y tendait par toutes les voies, et Bernis, trop évêque de cour, ne sut pas comprendre qu'il se déshonorait en acceptant, en suivant cette politique d'intimidation. On aurait encore rencontré dans le Sacré Collège plus d'un caractère indépendant qui, appréciant les devoirs du Pontificat à leur juste valeur, aurait répété à ces nouveaux Henri II d'Angleterre ce que le cardinal Gratien (1) disait au Roi qui fit tuer saint Thomas Beckett: « Seigneur, dispensez-vous de vos menaces; elles ne nous effraient point, car nous appartenons à un pouvoir qui est habitué à commander aux Empereurs et aux Princes.» Mais les Cardinaux des Couronnes ne signifiaient pas hautement la terreur; ils l'insinuaient. A Rome, c'est le meilleur moyen pour endormir la vigilance et pour paralyser les courages.

(4) Palatii fast, card., 1, 333.

Nous avons déjà dit que le duc de Choiseul avait, de concert avec les Jansénistes et les Philosophes, un agent, un espion, un calomniateur qui faisait tous les métiers pour avilir le Saint-Siége et le déshonorer aux yeux de la Chrétienté. Ce Dufour, que les Jésuites doivent s'honorer de compter au nombre de leurs ennemis, professait sur la dignité du Sacré Collége la même opinion que le marquis d'Aubeterre, à la différence près de l'esprit et de la forme. Avec cet instinct qui fait flairer la corruption aux corrompus, il avait pressenti que l'on ne reculerait devant aucune honte pour abattre les Jésuites. Il avait sondé leurs adversaires à Rome, ses complices par conséquent. Dès le 9 avril 1766, trois années avant la mort de Clément XIII, il prit ses précautions et traça un plan pour marchander, acheter et livrer une majorité dans le Sacré Collège.

« Sans que personne puisse soupçonner la moindre chose, écrit ce Dufour, on arrivera au point de se rendre maître du futur Conclave. Les Cardinaux français auront la liste des amis et ne feront que les observer. On pourrait ajouter au marché fait avec eux que l'argent ne sera délivré qu'après le Conclave, et que sur la parole du Cardinal chargé des intructions de la Cour; que, de plus, la somme de........ sera ajoutée à la somme principale pour chaque suffrage que l'ami aura procuré, mais avec cette condition que le Cardinal chargé des instructions de la Cour en sera convaincu et que celui qu'on aura procuré n'aura pas été auparavant assuré.

«< Ainsi, en gagnant cinq ou six Cardinaux, on peut les avoir presque tous, du moins parmi les Romains, car pour les étrangers on s'en peut assurer par le moyen de leurs Cours respectives. On doit en général comprendre parmi les Romains tous les Italiens.

<< Au moyen du projet ci-dessus, on pourrait se flatter de donner à l'État ecclésiastique un prince temporel di

gne de régner et de rendre ses sujets heureux, car ici le correspondant fait abstraction du Souverain Pontificat, et il serait au désespoir de se prêter à la moindre simonie. Le spirituel ne doit être regardé que comme une conséquence, laquelle ne doit entrer pour rien dans toute cette intrigue. Celui qui serait capable de régner le serait de gouverner l'Église, et on procurerait deux biens à la fois; mais l'achat des suffrages ne doit tomber que sur le Prince et non sur l'Évêque. >>

Cette théorie de l'achat des votes, qui aurait transformé le Conclave en un champ de foire parlementaire, avait été jugé impraticable par Choiseul lui-même. On récompensa l'auteur de sa bonne intention, et d'Aubeterre chercha des moyens moins honteux dans la forme, mais aussi coupables dans le fond.

Néanmoins le plan de Dufour allait si bien aux pensées secrètes des diplomates, qu' Azpuru et don Nicolas d'Azara, son rival, s'emparèrent de ce projet pour en extraire une ignominie. Ils le reprirent en sous-ordre, ils le soumirent à l'approbation du roi Charles III d'Espagne. Ce prince qui, dans le même temps, faisait construire des églises à Rome, comme pour cacher sous le marbre du parvis les iniquités dont il affligeait la Chaire de Pierre, autorisa ses plénipotentiaires à agir dans ce sens. Azpuru obéit; mais Azara, pour contrarier son ministre en titre ou par probité peut-être, fit prévenir le cardinal de Bernis du scandale qui allait être offert. Ce dernier comprit que l'indignation du Sacré Collége éclaterait au premier mot, et le 16 avril il mande à d'Aubeterre :

« A l'égard de l'idée abandonnée, vous avez assurément réfléchi qu'on ne confie ces sortes de mesures qu'à un seul homme (quand on sait déjà qu'il n'y répugne pas) et non à cinq ou six ministres différents, par conséquent à cinq ou six secrétaires; à cinq cardinaux dont plusieurs ont été ou sont encore amis des gens qu'on

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