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trait indifférent aux Jésuites comme à tout ce qui n'était pas sa personnalité; il ne les connaissait que par le P. de Neuville, et il soupçonnait ce Jésuite d'avoir indisposé contre lui le maréchal de Belle-Isle. C'était un grief, mais Choiseul avait trop de caprices ambitieux pour s'y arrêter. La pensée de toute sa vie était de gouverner la France, d'appliquer à ce pays malade les théories qu'il avait rêvées. Il ne pouvait y parvenir qu'en se créant des prôneurs parmi les écrivains qui alors disposaient de l'opinion publique. Il séduisit les Philosophes, il gagna le Parlement, il se fit l'admirateur des Jansénistes, il flatta madame de Pompadour, il amusa le Roi, le plus difficile de ses succès; puis, lorsqu'il eut entraîné tout le monde dans sa sphère, il se mit, pour ménager chaque parti, à la poursuite de la Compagnie de Jésus.

Plus tard, sous le règne suivant, le duc de Choiseul a, dans un mémoire à Louis XVI, essayé d'expliquer la position neutre qu'il croyait avoir prise, et il s'exprime ainsi :

« Je suis persuadé que l'on a dit au Roi que j'étais l'auteur de l'expulsion des Jésuites. Le hasard seul a commencé cette affaire, l'événement arrivé en Espagne l'a terminée. J'étais fort éloigné d'être contre eux au commencement; je ne m'en suis pas mêlé à la fin : voilà la vérité. Mais comme mes ennemis étaient amis des Jésuites, et que feu M. le Dauphin les protégeait, il leur a paru utile de publier que j'étais l'instigateur de la perte de cette Société; tandis que, à la fin d'une guerre malheureuse, accablé d'affaires, je ne voyais qu'avec indifférence subsister ou détruire une communauté de moines. Actuellement je ne suis plus indifférent sur les Jésuites; j'ai acquis des preuves combien cet Ordre et tous ceux qui y tenaient ou qui y tiennent sont dangereux à la cour et à l'État, soit par fanatisme, soit par ambition, soit pour favoriser leurs intrigues et leurs vices; et si j'étais

dans le ministère, je conseillerais au Roi avec instance de ne jamais se laisser entamer sur le rétablissement d'une Société aussi pernicieuse. »>

Les faits parlent plus haut que cette déclaration dénuée de preuves; et si le duc de Choiseul était, ainsi qu'il le dit, «< fort éloigné d'être contre eux au commencement, s'il ne s'en est pas mêlé à la fin, » il faut convenir que ses actes se trouvent peu d'accord avec ses paroles. Les uns et les autres s'expliqueront par le récit des événements; mais Simonde de Sismondi, dans son Histoire des Français, a déjà répondu à ces allégations.

Madame de Pompadour, dit l'historien protestant (1), aspirait surtout à se donner une réputation d'énergie dans le caractère, et elle croyait en avoir trouvé l'occasion en montrant qu'elle savait frapper un coup d'État. La même petitesse d'esprit avait aussi de l'influence sur le duc de Choiseul. De plus tous deux étaient bien aises de détourner l'attention publique des événements de la guerre. Ils espéraient acquérir de la popularité en flattant à la fois les Philosophes et les Jansénistes et couvrir les dépenses de la guerre par la confiscation des biens d'un Ordre fort riche, au lieu d'être réduits à des réformes qui attristeraient le Roi et aliéneraient la cour. » Tel est le récit de l'écrivain genevois. Il diffère des apprécia, tions de Choiseul; mais le témoignage de Sismondi est au moins désintéressé dans la question: il doit donc avoir plus de poids que celui d'un ministre essayant de justifier l'arbitraire par la calomnie.

Le parlement de Paris avait à prononcer sur une simple faillite, il l'éleva à la hauteur d'une question religieuse. Sous prétexte de vérifier les motifs allégués dans la sentence consulaire, il enjoignit aux Jésuites, le 17, avril 1761, d'avoir à déposer au greffe de la cour, un exem

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plaire des Constitutions de leur Ordre. Une année auparavant, le 18 avril 1760, un arrêt était intervenu pour supprimer leurs Congrégations (1). Il importait d'isoler les Jésuites, de leur retirer toute leur influence sur la jeunesse et de les présenter comme des hommes dont la justice suspectait les manœuvres clandestines. Au nom de la religion le Parlement fit fermer ces asiles de la piété, il rompit cette longue chaîne de prières et de devoirs réunissant dans une même pensée les chrétiens des deux hémisphères. Comme pour mettre le cachet de la mòquerie voltairienne à cet acte sans précédent, le ministère et la cour judiciaire laissèrent se multiplier en France les loges maçonniques. Elles y étaient presque inconnues; ce fut à partir de cette époque qu'elles acquirent partout droit de cité.

Le dépôt d'un exemplaire des Constitutions de l'Institut était un piége tendu aux disciples de saint Ignace. Ils avaient trois jours pour obtempérer. Le P. de Montigny s'empressa de se conformer à l'injonction. Le Parlement avait agi dans l'intérêt des créanciers; il les effaça du débat aussitôt qu'il put remonter plus haut. Le scandale de la banqueroute servait d'échelon à des passions qui avaient été trop comprimées pour ne pas éclater. Le Parlement oublia les créanciers de Lavalette, qui ne furent jamais payés, pas même après la confiscation des biens de la Société (2), et il s'attribua la mission de juger le fond de l'Institut. Trois conseillers, Chauvelin, Terray et Laverdy, sont désignés pour examiner ces formidables et mystérieuses Constitutions, que personne n'a jamais

(1) L'utilité des Congrégations était si bien démontrée que les Oratoriens en établirent dans tous leurs colléges.

(2) La Maison de la Martinique et les terres de la Dominique furent achetées, par les Anglais vainqueurs, au prix de quatre millions. Ces propriétés pouvaient donc et au-delà répondre d'une dette de deux millions quatre cent mille livres.

vues, assure-t-on, et dont chaque membre du Parlement, les Philosophes et les fauteurs du Jansénisme possèdent tous un exemplaire. Le 8 mai 1761 le Parlement rendit pourtant, sur les conclusions de Lepelletier de SaintFargeau, avocat général, un arrêt qui « condamne le Général et en sa personne le Corps et Société des Jésuites à acquitter, tant en principal qu'intérêts et frais, dans un an à compter du jour de la signification du présent arrêt, les lettres de change qui ne seront point acquittées; ordonne que, faute d'acquitter lesdites lettres de change dans ledit délai, ledit Supérieur-Général et So-. ciété.demeureront tenus, garants et responsables des intérêts tels que de droit et des frais de toutes poursuites; sinon, en vertu du présent arrêt, et sans qu'il en soit besoin d'autre, permet aux parties de se pourvoir, pour le paiement des condamnations ci-dessus,' sur les biens appartenant à la Société des Jésuites dans le Royaume. >>

Cet arrêt ne fut jamais exécuté en faveur des créanciers de Lavalette; on ne s'en servit que pour renverser la Compagnie de Jésus. Le passif du P. Lavalette s'élevait à deux millions quatre cent mille livres tournois. On acquittait les dettes exigibles, on se disposait à prendre des arrangements pour les autres, lorsque, par un arrêt de saisie, le Parlement rendit la Compagnie insolvable. : Alors le chiffre des créances s'enfla jusqu'à cinq millions. On renouvela avec plus de succès l'histoire d'Ambroise Guis. Il y eut de fausses lettres de change en émission, et le Parlement se garda bien de le constater. Louis XV sentit le coup que l'on portait au pouvoir royal; il tenta de l'amortir. Le Parlement avait nommé trois magistrats examinateurs de l'Institut; le Prince voulut qu'une commission du Conseil fût chargée du même soin. Il espérait annihiler l'une par l'autre ; mais le contraire arriva. Gilbert des Voisins, Feydeau de

Brou, d'Aguesseau de Fresne, Pontcarré de Viarme, de La Bourdonnaye et Flesselles furent délégués par le Conseil. Leur travail a plus de maturité que celui du Parlement, mais auprès du Roi il nuisit davantage aux Jésuites que l'œuvre de l'abbé de Chauvelin. La commission du Conseil demandait de modifier quelques articles substantiels des règles de saint Ignace, et les Jésuites s'opposaient à toute espèce d'innovation. Louis XV ne comprenait pas que, pour vivre de quelque vie que ce fût, on ne se résignât point aux derniers sacrifices. Il n'avait de sentiments religieux ou patriotiques que par accès, et son indolence habituelle lui faisait une loi des concessions. Afin de mettre son voluptueux repos à l'abri des prières de sa famille et des représentations du Pape, il désirait que les Jésuites acceptassent les conditions du rapport de Flesselles, et il s'engageait à les faire agréer par le Parlement. Les Pères, qui faiblissaient en face du danger, eurent le courage de ne pas transiger avec leurs Constitutions. Ils abandonnaient leur fortune à la merci des ennemis de la Société. Ils ne voulurent jamais les laisser arbitres de leur honneur et de leur conscience. Le Roi était irrésolu, eux demeurérent inébranlables dans leur foi de Jésuite, et, devant cette prostration morale, ils eurent néanmoins la force de résister à la tentation.

Dans son réquisitoire Lepelletier de Saint-Fargeau les accusait de révolte permanente contre le Souverain; il ressuscitait même les vieilles théories de régicide qu'à trente-deux ans d'intervalle son fils, le Conventionnel, devait appliquer sur Louis XVI. « Le duc de Choiseul et la marquise de Pompadour, selon Lacretelle (1), fomentaient la haine contre les Jésuites. La marquise, qui, en combattant le Roi de Prusse, n'avait pu justifier ses pré

(1) Hist. de France pendant le dix-huitième siècle, t. IV, p. 30.

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