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P. Claude Frey de Neuville (1) pouvait l'éviter en se prévalant du droit de committimus (2), accordé par lettres-patentes de Louis XIV. L'évocation au Parlement blessait le Grand-Conseil dans ses attributions; il jetait la Société de Jésus entre les mains de ses adversaires les plus déterminés. On avait manœuvré de toutes façons pour lui faire adopter ce parti, et, par aveuglement, elle s'offrait elle-même en holocauste. Le 29 mai 1760, le consulat de Marseille suivait la même jurisprudence que celui de Paris: il permettait aux Lioncy et à Gouffre de porter leurs exécutions sur tous les biens de la Compagnie.

Pendant ce temps, Louis Centurioni, Général de l'Ordre, avait pris des mesures pour arrêter le mal à sa source. Au mois de septembre, puis au mois de novembre 1756, les PP. de Montigny et d'Huberlant sont nommés visiteurs à la Martinique. Ils doivent rendre compte du véritable état de la situation, et suspendre le négoce de Lavalette. Des causes indépendantes de 'la volonté humaine empêchèrent ce voyage., Le temps s'écoula dans des correspondances qui de la Martinique devaient traverser la France pour aller à Rome. En 1759, après avoir passé trois ans à lutter contre les obstacles, un autre visiteur, le P. Fronteau, meurt en route. Le P. de Launay, procureur des Missions du Canada, lui succède; il se casse la jambe à Versailles au moment de son départ. Un troisième Jésuite reçoit ordre de s'embarquer il prend passage sur un bâtiment neutre. Nonobstant cette précaution, il est capturé par les cor

· (1) Le Jésuite Claude Frey de Neuville était frère de Charles de Neuville, le prédicateur.

(2) Louis XIV, voyant l'acharnement que la cour judiciaire ne cessait de déployer contre les Jésuites toutes les fois qu'ils avaient besoin de ses arrêts, leur avait accordé la faculté de porter leurs affaires au grand conseil. C'est cette faculté que l'on appelait le droit de committimus.

saires. Le mal était sans remède, lorsque le P. François de La Marche, muni d'un sauf-conduit du gouvernement britannique, àborde aux Antilles en 1762. Il instruit le procès de Lavalette, dont les Anglais, maîtres de l'île, se faisaient les protecteurs, et il rend ce jugement:

« Après avoir procédé, et même par écrit, aux informations convenables, tant auprès de nos Pères qu'auprès des étrangers, sur l'administration du P. Antoine de Lavalette, depuis qu'il a obtenu la gestion des affaires de la Mission de la Compagnie de Jésus à la Martinique ; après avoir interrogé ledit P. de Lavalette devant les principaux Pères de la Mission; après l'avoir entendų sur les griefs contre lui: attendu qu'il conste de ces informations: 1° qu'il s'est livré à des affaires de commerce, au moins quant au for extérieur, au mépris des lois canoniques et des lois particulières de l'Institut de la Société; 2° que le même a dérobé la connaissance de ce négoce à nos Pères dans l'île de la Martinique, et particulièrement aux supérieurs majeurs de la Société; 3o qu'il a été fait des réclamations ouvertes et vives contre ces affaires de négoce du susdit, tant par les Pères de la Mission, quand ils connurent ces affaires, que par les Supérieurs de la Société, aussitôt que le bruit, quoique encore incertain, de ce genre de négoce parvint à leurs oreilles, de manière que, sans aucun retard, ils pensèrent à y pourvoir et à. envoyer, pour établir une autre et bien différente administration, un visiteur extraordinaire, ce qui fut tenté par eux en vain pendant six ans, et ne put avoir son effet que dans les derniers temps, par suite d'obstacles qu'aucune faculté humaine ne pouvait prévoir; nous, après avoir délibéré dans un examen juste, et souvent et mûrement avec les Pèrés les plus expérimentés de la Mission de la Martinique; après avoir adressé à Dieu les plus vives prières; en vertu de l'autorité à nous commise, et de l'avis unanime de nos Pères :

1° nous voulons que le P, Antoine de Lavalette soit privé absolument de toute administration, tant spirituelle que temporelle; nous ordonnons que ledit P. Antoine de Lavalette soit le plus tôt possible envoyé en Europe; 3° nous interdisons ledit P. Antoine de Lavalette; nous le déclarons interdit à sacris, jusqu'à ce qu'il soit absous de cette interdiction par l'autorité du très révérend Père Général de la Compagnie de Jésus, auquel nous reconnaissons, comme il convient, tout droit sur notre jugement. Donné dans la principale résidence de la Compagnie de Jésus de la Martinique, le 25 avril 1762.

« Signé JEAN-FRANÇOIS DE LA MARCHE; de la Compagnie de Jésus. »

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Le jour même, la sentence fut adressée au P.. Lavalette, qui donna la déclaration suivante :

« Je, soussigné, atteste reconnaître sincèrement dans tous ses points l'équité de la sentence portée contre moi, bien que ce soit faute de connaissance ou de réflexion, ou par une sorte de hasard, qu'il m'est arrivé de faire un commerce profane, auquel même j'ai renoncé à l'instant où j'ai appris combien de trouble ce commerce avait causé dans la Compagnie et dans toute l'Europe. J'atteste encore avec serment que parmi les premiers supérieurs de la Compagnie il n'y en a pas un seul qui m'ait autorisé, ou conseillé, ou approuvé dans le commerce que j'avais entrepris, pas un seul qui y ait eu aucune sorte de participation, qui y soit de connivence. C'est pourquoi, plein de repentir et de confusion, je supplie les premiers supérieurs de la Compagnie d'ordonner que la sentence rendue contre moi soit publiée et promulguée, ainsi que ce témoignage de ma faute et de mes regrets. Enfin, je prends Dieu à témoin que je ne suis amené à une telle confession ni par force, ni par des menaces, ni par les caresses et autres artifices; mais que

je m'y prête de moi-même, avec une pleine liberté, afin de rendre hommage à la vérité et de repousser, démentir, anéantir, autant qu'il est en moi, les calomnies dont, à mon occasion, on a chargé toute la Compagnie. Donné dans la résidence principale de la Mission de la Martinique, les jour, mois et an que dessus (25 avril 1762.)

« Signé ANTOINE DE LAVALETTE, de la Compagnie de Jésus. »>

Ces pièces, que tant d'événements avaient fait oublier dans les archives du Gesu, ont, sans aucun doute, leur importance; elles peuvent modifier l'erreur des uns et le crime de l'autre; mais, à nos yeux, elles ne les atténueront que jusqu'à un certain point. Lavalette, expulsé de la Compagnie, vivant en Angleterre, et libre de ses actes, n'a jamais démenti les aveux qu'il avait faits. Ils sont acquis à l'histoire; car, à cette époque et avec son caractère, il a dû souvent être sollicité pour imputer aux Jésuites une partie de ses spéculations. Lavalette en a toujours seul assumé la responsabilité; il ne reste au Général et aux Provinciaux que le tort d'avoir oublié une seule fois la surveillance qu'ils devaient exercer. Elle entraîna pour l'Institut de désastreuses conséquences; mais, à la faute déjà commise, de perfides conseils, des amitiés plus cruelles que la haine en durent ajouter une autre plus déplorable.

De concert avec les Jésuites, les principaux créanciers de Lavalette cherchaient à réparer le mal. Plus de sept cent mille francs avaient été soldés; il était possible, en prenant des termes, d'arriver à une conclusion qui ne léserait aucun des intérêts mis en jeu, et qui seulement appauvrirait momentanément la Société. Elle avait souscrit à ce projet elle s'arrangeait pour le faire accepter, lorsque de funestes dissidences éclatent dans son sein.

Les uns refusent de se rendre solidaires pour le P. Lavalette, les autres croient qu'il faut étouffer à tout prix une occasion de scandale. Les imprudents l'emportèrent encore une fois sur les sages, et, lorsque le Parlement se saisit de l'affaire, il ne fut plus temps de signaler le péril. Les Jésuites s'étaient placés sous le coup de leurs ennemis il y avait à exercer contre eux des récriminations et des vengeances. Madame de Pompadour poussait à leur ruine; les Jansénistes et les Philosophes y applaudissaient; le Parlement allait la consommer. Le duc de Choiseul ne voulut pas seulement leur perte, il aspira à les détruire, mais par des moyens moins odieux que ceux dont Pombal s'était servi

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Tant que le maréchal de Belle-Isle avait vécu, les adversaires de la Compagnie s'étaient vus réduits à formuler des vœux contre elle. Principal ministre, il étudiait avec effroi les tendances de son siècle, et sa main essayait de les comprimer. Le 26 janvier 1761, son trépas leur laissait toute latitude. Le duc de Choiseul, qui lui succéda, avait d'autres desseins et un caractère qui offrait plus de prise à la flatterie. Choiseul était l'idéal des gentilshommes du dix-huitième siècle; il en avait l'incrédulité (1), les grâces, la vanité, la noblesse, le luxe, l'insolence, le courage et cette-légèreté qui aurait sacrifié le repos de l'Europe à une épigramme ou à une Touange. Homme tout en dehors, il effleurait les questions et les tranchait; il aimait à respirer l'encens que les Encyclopédistes lui prodiguaient, mais son orgueil se révoltait à l'idée qu'ils pouvaient devenir ses pédagogues: il ne voulait de maître ni sur le trône ni au dessous. Il se mon

(1) Dans sa jeunesse, Choiseul avait cédé au travers commun d'insulter à la religion. Puissant, il parut la respecter. Lorsqu'il eut à conduire la lente abolition des Jésuites, il s'observa, pour ne pas laisser croire qu'on immolait ces religieux à l'impiété dominante. » (Lacretele, Hist. de France pendant le dix-huitième siècle, t. iv, p. 52.)

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