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trouvent dans le nombre plus de cinq cent mille livres tournois sont englouties. Lavalette veut tenir tête à l'orage. La rapacité britannique a dérangé ses calculs, il en fait d'autres qu'il croit plus infaillibles. L'interruption des relations avec le continent européen rendait incertain, impossible peut-être, le paiement de ses lettres de change pour parer à ces obstacles, Lavalette tente des opérations commerciales encore plus harsardées. Sur ces entrefaites, les frères Lioncy, porteurs d'une partie des titres de créances, s'inquiètent de cet état de choses; l'alarme se répand parmi les autres correspondants du Père; mais rien ne transpire encore. Les Jésuites de Marseille sont enfin prévenus: ils font part à Leforestier, Provincial de France, alors à Rome, et au chef de l'Ordre, des malversations de Lavalette. Il fut décidé que l'on chercherait tous les moyens d'étouffer cette affaire. Le meilleur était de rembourser, on ne s'y arrêta qu'imparfaitement (1). On fit deux catégories de créanciers: les pauvres, dont les besoins étaient urgents; les riches, auxquels on garantissait les sommes dues. La maison de la Martinique et l'habitation de la Dominique devenaient leur gage; elles pouvaient et au-delà couvrir le passif. Le P. de Sacy, procureur de la Mission des îles du Vent, est autorisé à emprunter deux cent mille francs.: Sacy avait déjà opéré quelques remboursements. Cette nouvelle somme, répartie entre les créanciers les plus nécessiteux, lui laissait la faculté de s'entendre avec les autres; mais, à Paris, les Pères investis des pouvoirs du Provincial s'opposent à cet emprunt :

(1) Il est de tradition dans la famille Séguier que lorsqu'en 1760 l'avocat général de ce nom vit le danger que courait la Compagnie de Jésus, il alla trouver le P. de La Tour, son ancien maître: « Mon Père, lui dit l'avocat général, il vous faut faire tous les sacrifices, autrement vous êtes perdus. » Et le vieux Jésuite, en secouant la tête avec résignation, 'reprit : « L'argent ne nous sauvera pas; notre ruine est assurée. Venit summa dies et ineluctabile tempus. »

ils veulent, et c'est une version inédite que nous indiquons sans la discuter, ils veulent que Lavalette dépose son bilan, qu'il fasse banqueroute, afin que l'odieux de ces pirateries retombe sur le gouvernement anglais. La pensée avait quelque chose de national, et ceux qui l'avaient conçue espéraient que la cour appuierait cette démarche. Mais ce parti, pris dans les circonstances où la Compagnie se trouvait, fournissait contre elle des armes terribles; il soulevait l'opinion publique, il appelait les tribunaux séculiers à connaître d'une cause qui ne pouvait qu'être préjudiciable aux Jésuites. On consulta des banquiers tous furent d'avis qu'il fallait renoncer à ce projet déshonorant sans aucun avantage. Le temps s'écoulait ainsi en pourparlers et en correspondance. La veuve Grou et son fils, négociants de Nantes, intentent un procès au tribunal consulaire de Paris; les frères Lioncy, de Marseille, suivent la même marche. Le 30 janvier 1760, les Jésuites sont condamnés à payer solidairement les trente mille francs dus par Lavallette à la veuve Grou.. La sentence était injuste (1); mais son

(4) La jurisprudence sur ces matières a disparu en France avec les ordres religieux; nous croyons opportun de la rappeler dans une affaire qui a excité un si long retentissement. A part les constitutions des diverses sociétés religieuses, constitutions supposant ou établissant la non-solidarité entre les maisons du même Ordre, cet état de choses se trouvait appuyé sur d'autres fondements incontestés. Il avait pour lui les Lettres-Patentes, qui, en autorisant chaque établissement religieux, collége, monastère, communauté, lui donnaient une existence civile propre et distincte. Ces LettresPatentes lui assuraient la propriété séparée et ináttaquable de son patrimoine et de ses domaines. En vertu de pareils actes royaux, chaque maison religieuse jouissait de la faculté particulière dè contracter par son administrateur; celle d'ester en justice, d'acquérir, de recevoir des dons ou des legs d'une manière indéfinie ou avec restrictions lui était aussi concédée. Ainsi il existait autant d'êtres civils qu'il y avait de maisons régulièrement autorisées, et les biens de l'une ne se confondaient jamais avec les biens de l'autre.

Ces Lettres-Patentés formaient la base du droit de non-solidarité; l'in

iniquité devait dessiller les yeux des Pères qui s'opposaient à une transaction, il n'en fut rien.. Les légistes

tention des fondateurs n'était pas moins spéciale. Ces fondateurs, qu'ils fussent corps municipaux, villes ou particuliers, en bâtissant, en dotant une maison religieuse, se proposaient pour but le culte de Dieu, les divers ministères ecclésiastiques, l'éducation de la jeunesse, le soulagement des pauvres ou d'autres fins utiles. La loi laïque, venant confirmer le contrat d'établissement, assurait à chaque maison la propriété de sa dotation ou de ses biens, selon le désir du fondateur et pour l'acquit de la fondation. Les maisons religieuses du même ordre étaient sœurs; néanmoins, dans les intérêts pécuniaires, dans les pertes ou dans les acquêts, il n'y avait rien de commun entre elles. L'amitié et la charité pouvaient, en certaines circonstances, faire naître des devoirs de famille; il n'existait aucune obligation de justice rigoureuse, aucun lien de solidarité.

Saint Ignace de Loyola trouva cè droit commun en vigueur; il l'adopta pour son Institut. Les maisons professes, qui ne peuvent avoir de revenus, ne possèdent que le domicile des profès. Les colléges, noviciats, résidences transatlantiques jouissent de biens-fonds et de revenus, mais ces biens n'appartiennent qu'à chaque collége, mission ou noviciat déterminé. Le Général, qui a la charge d'administrer par lui ou par d'autres les propriétés, ne peut passer de contrats que pour l'utilité et l'avantage de ces maisons, in eorumdem utilitatem et bonum. (Constitut., part. Ix, c. Iv; Exam. gener., c. I, no 4 ; Bulla Gregorii XIII, 1582.) Si les revenus annuels des Colléges destinés, par l'intention du fondateur et par le dispositif de l'Institut, à l'entretien et à la nourriture des Jésuites qui y habitent excèdent ces dépenses, l'excédant doit être tout entier consacré dans chaque maison, non pas à augmenter les bâtiments, mais à éteindre ses dettes ou à accroître ses revenus. (Inst, pro admin. lit. pro rect., no 6.) L'Eglise et l'état ayaient reconnu ce droit de non-solidarité chez les Jésuites par l'union de bénéfices en faveur des maisons non suffisamment dotées. Quand un collége, un séminaire, un noviciat était trop pauvre, on ne s'enquérait pas si les autres établissements du royaume ou de la province avaient une fortune surabonbante; on vérifiait uniquement le chiffre des revenus et des charges de la maison à laquelle l'union était projetée. Les revenus étant jugés insuffisants, les deux puissances décrétaient et opéraient l'union du bénéfice à l'établissement. La loi ecclésiastique ou civile admettait donc que les maisons d'un même Ordre, attachées entre elles par le lien moral d'une règle commune .et de l'obéissance au même supérieur, fussent parfaitement distinctes et séparées en tout ce qui regardait les intérêts purement temporels.

Jusqu'en 1760, personne n'avait contesté aux Jésuites ce droit de non

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leur disaient que le droit commun et la loi étaient pour eux; les Jésuites eurent le tort impardonnable de

solidarité, qui leur était commun avec tous les Ordres religieux. On ne le contesta jamais aux autres Instituts, on ne l'attaqua que dans celui de saint Ignace.. Voici sous quels prétextès. On allégua que le Général de la Compagnie régnait en despote, qu'il était maître absolu des personnes et des choses, par conséquent propriétaire universel des biens de l'Ordre. Aux termes des constitutions, eette assertion était sans force, mais, sous l'influence de certaines inimitiés passionnées, elle fut érigée en principe.

La législation de l'Institut est cependant bien claire sur ce point. Le Général se place dans la même catégorie que ses confrères; il fait vœu de pauvreté, et ne peut disposer d'aucun bien. Dans les Sociétés religieuses, ce ne sont pas les personnes ou les supérieurs qui possèdent, mais les établissements, espèces d'êtres fictifs reconnus légalement par le droit ecclésiastique et civil, Le texte des constitutions de saint Ignace montre partout le Général administrateur et non propriétaire des biens de la Société. Dans son administration, que les Constitutions (part. rv, chap. 1) appellent ·surintendance, parceque c'est lui qui nomme les autres supérieurs ou administrateurs tenus de lui rendre compte de leur gestion, le Général est soumis, pour tous les points essentiels, au contrôle des congrégations géné– rales. Sans leur assentiment il ne peut aliéner, dissoudre un collége ou un autre établissement, et la violation de cette loi serait pour lui un cas de déposition ou même d'exclusion de la Compagnie, prévu par les Constitutions (part 1x, chap. iv). Il peut recevoir les propriétés ou les dons offerts à la Compagnie; il peut, quand l'intention du fondateur n'a pas été formulée, les appliquer à telle maison ou collége; mais l'application une fois faite, il ne lui est pas permis d'en détourner le fruit, de prélever sur les revenus, soit pour son usage, soit pour donner à des étrangers, notamment à sa famille. Par lui ou par d'autres, le Général a le droit de passer toute sorte de contrats de vente, d'achat de biens temporels mobiliers, de quelque espèce que ce soit, tant des colléges que des maisons de la Société ; il peut constituer ou racheter des rentes sur les biens fixes (stabilia) des colléges, mais seulement pour l'utilité et dans l'intérêt des Maisons.

Le Général n'est donc que l'administrateur, le tuteur de la Compagnie; partont et toujours domine le même système de séparation et de non-solidarité. «Mais, objectaient les parlements de 1760, il n'en est pas de la Compagnie de Jésus comme des autres Ordres où les religieux vivent et meurent dans la même maison; où le supérieur est élu par les membres de la maison, et où les affaires principales sont traitées et décidées par la communauté réunie en chapitre. Avec cette législation, il est évident, ajoutaient

croire à de pareilles assertions (1). Individus, ils auraient peut-être trouvé de l'équité devant les tribunaux ; Ordre religieux et membres surtout d'un Institut qui portait ombrage à tant d'espérances, ils ne devaient s'attendre qu'à des injustices réfléchies. On les entraîna à faire appel au Parlement : c'était une faute irréparable; le

les cours judiciaires, que chaque couvent est séparé pour le temporel des autres couvents du même Ordre. »

Ces variétés de jurisprudence parmi les Instituts ne sont que des dispositions accidentelles: elles ne peuvent influer essentiellement sur les questions de solidarité et de non-solidarité des établissements du même Ordre. Il existait d'autres Sociétés, la congrégation de Saint-Maur, par exemple, où les religieux changeaient de maison à la volonté de leur supérieur, ainsi que cela se pratique chez les Jésuites, où les chefs de chaque monastère n'étaient point élus par la communauté, mais par le chapitre général de l'Ordre. Enfin dans celui de Fontrevault, qui avait une femme pour supérieur général des couvents d'hommes et de femmes de la congrégation, cette abbesse exerçait, comme le Général de la Société de Jésus, la surintendance ou l'administration universelle des biens, et l'on n'a jamais prétendu que, dans l'Ordre de Fontevrault ou dans la Congrégation de SaintMaur, les diverses maisons fussent exclues du droit de non-solidarité.

Le principe était en faveur des Jésuites; mais, dans la position où le P. Lavalette plaçait la Compagnie, il fallait faire fléchir ce principe et désintéresser les créanciers. Ce n'était pas d'équité stricte, mais à coup sûr c'était de bonne politique. La Société de Jésus aurait été attaquée sur d'autres points; elle n'eût pas offert un côté vulnérable, et ses ennemis n'en eussent pas profité pour confondre à plaisir toutes les notions de justice.

(1) Huit des plus célèbres avocats de Paris délibérèrent la consultation suivante :

« Le conseil estime, d'après les faits et les moyens détaillés dans le mémoire, que la maison de la Martinique est seule obligée; que non seu¬ lement il n'y a point lieu à la solidarité, qui ne peut naître que d'une loi ou d'une convention expresse, mais qu'il n'y a aucune sorte d'action contre les maisons de France ou autres maisons de l'Ordre, et que les Jésuites ne doivent point s'attacher à l'incompétence, leur défense au fond ne souffrant point de difficulté.

-« Délibéré à Paris, le 6 mars 1761. Signé : L'HERMINIER, GILLET, MAILLARD, JABOUÉ, de LA MONNOIE, BABILE, THÉVENOT, d'EPAULE. >>

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