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plan que lui et les siens avaient conçu. Ils voulaient écraser l'infâme, mot d'ordre épouvantable qui retentit si souvent au dix-huitième siècle. Les Jésuites seuls s'opposaient à la réalisation de leur pensée : les Jésuites se virent en butte à toutes les attaques. D'Alembert les poursuivit avec le raisonnement, Voltaire avec l'artillerie de ses sarcasmes, les Jansénistes avec leur infatigable inimitié. On mina le terrain sous leurs pieds, on les représenta sous les traits les plus disparates: ici on leur accorda une fabuleuse. omnipotence, là on les fit plus faibles qu'ils n'étaient en réalité. Les ennemis de l'Église se portèrent les avocats des priviléges épiscopaux. On enrégimenta dans cette croisade contre la Société toutes les passions et tous les intérêts. Buffon dédaignait de s'y associer. Montesquieu, en 1755, mourait chrétien entre les bras du P. Bernard Routh; mais ces deux écrivains, isolés dans leur gloire, ne se mê¬ laient que de loin au tumulte des idées. On respecta leur neutralité. Il n'en fut pas de même pour Jean-Jacques Rousseau. Le philosophe de Genève était à l'apogée de son génie. Du fond de sa solitude, cet homme, pour qui la pauvreté fut un luxe et un besoin, s'était créé une immense réputation. Les adversaires de la Société cherchèrent à l'attirer sous leur bannière. Jean-Jacques, comme beaucoup d'esprits éclairés, se prononçait toujours en faveur des opprimés. « On a sévi contre moi, dit-il dans sa lettre à Christophe de Beaumont, pour avoir refusé d'embrasser le parti des Jansénistes et pour n'avoir pas voulu prendre la plume contre les Jésuites, que je n'aime pas, mais dont je n'ai pas à me plaindre, et que je vois persécutés. »

Ces exceptions ne modifiaient pas le plan tracé, elles n'empêchaient point d'Alembert de mander à Voltaire (1):

(A) OEuvres complètes de Voltaire, t. XLVIII, p. 200, Lettre du 4 mai 1762.

« Je ne sais ce que deviendra la Religion de Jésus; mais, en attendant, sa Compagnie est dans de mauvais draps.»> Et, lorsque la coalition a triomphé, d'Alembert laisse échapper le cri de la philosophie, le dernier vœu qu'il a contenu jusqu'au jour de la chute de l'Ordre de saint Ignace. Les Encyclopédistes ont terrassé le plus ferme appui de l'Église, voilà le plan qui se déroule sous leur plume. D'Alembert écrit au patriarche : « Pour moi, qui vois tout en ce moment couleur de rose, je vois d'ici les Jansénistes mourant l'année prochaine de leur belle mort, après avoir fait périr cette année-ci les Jésuites de mort violente, la tolérance s'établir, les Protestants rappelés, les prêtres mariés, la confession abolie et le fanatisme écrasé sans qu'on s'en aperçoive. >>

S'il eût été donné à l'homme de prévaloir ainsi contre la Religion catholique, jamais il n'aurait pu trouver de circonstances plus favorables à ses desseins, et cependant l'Église a survécu à cette longue tourmente qui, née au souffle de Voltaire, tombera d'épuisement sur l'échafaud de la Révolution.

En 1757 l'on n'apercevait que le beau côté du rêve antichrétien: Les Encyclopédistes le poursuivaient en tuant l'Ordre de Jésus, les cours judiciaires, en sapant l'autorité royale sur un autre point; mais faisant cause commune avec ces passions nouvelles, il s'élevait une secte qui prétendait se vouer au bonheur de l'humanité. Cette secte marchait sous l'étendard de l'économie politique, indéfinissable science qui ne part d'aucun prin-cipe certain et qui arrive forcément à toutes les conséquences les plus disparates. Derrière le manteau de l'économie politique, on réunissait les utopistes, les amants du progrès, les visionnaires toujours en quête d'un mieux impossible. On s'attendrissait sur les misères du peuple, misères auxquelles on ne trouvait jamais de remède efficace; on créait des théories inapplicables,

on discutait les lois qui régissent le pays; on les attaquait dans leur essence, on apprenait aux masses à les mépriser; puis, lorsque ces premiers jalons furent placés, les professeurs d'économie politique, les Quesnay ou les Turgot de tous les temps s'effacèrent pour laisser à de plus audacieux le soin de recueillir la moisson de tempêtes qu'ils avaient fait germer. C'est en effet par les vagues enseignements de l'économie politique que commencent toutes les révolutions. Au dix-huitième siècle il en fut ainsi, et cette science élastique qui ne dira jamais son dernier mot propageait ses doctrines décevantes sous le couvert des ministres et de madame de Pompadour. Tout ce qui était hostile à la foi catholique ou contraire aux principes d'un sage gouvernement rencontrait dans les sommités du pouvoir une tolérance allant jusqu'à l'encouragement. Le royaume de saint Louis était égaré par des sophistes avant d'être gouverné par des bourreaux.

Les questions religieuses se confondaient avec les questions politiques. Le Parlement de Paris s'était vu exilé en 1753; et, pour offrir à sa vengeance une victime que personne ne lui disputerait, il accusa les Jésuites de ce coup de vigueur. Les Jésuites inspiraient à la Reine et au Dauphin des sentiments de répulsion contre la magistrature; ils gouvernaient l'Archevêque de Paris, ce Christophe de Beaumont qui poussa la vertu jusqu'à l'audace; ils disposaient de Boyer, ancien évêque de Mirepoix, chargé de la feuille des bénéfices. (1)

(1) Le P. Pérusseau, confesseur du roi, étant mort en 1753, on forma une ligue pour enlever ces fonctions aux Jésuites. L'ancien évêque de Mirepoix s'y opposa; et, dans les archives du Gésu, à Rome, il existe une lettre de ce prélat au général de l'Institut, dans laquelle on lit : « Je n'ai pas grand mérite dans ce que je viens de faire pour votre Compagnie, écrit Boyer le 16 juillet 1753. Il fallait ou abandonner la religion, déjà trop ébranlée dans ces temps fâcheux, ou placer un Jésuite dans le poste en

Ils nourrissaient chez le comte d'Argenson des préventions que les Parlements ne songeaient pas à justifier; ils régentaient le maréchal de Belle-Isle, vaillant capitaine, habile diplomate et ministre qui ne transigea jamais avec son devoir; ils dominaient Machault et Paúlmy; ils 'inquiétaient la conscience du Roi; ils tenaient la marquise de Pompadour en échec au pied de leur confessionnal. Tout puissants à la cour et dans les provinces, ils enrayaient le mouvement que, par des motifs divers, les tribunaux, les Jansénistes et les Philosophes cherchaient à imprimer. Quelques-unes de ces allégations n'étaient pas sans fondement. Louis XV, vieux avant l'âge, dégoûté de tout, aspirant au repos, et, afin de se le procurer, fermant l'oreille à tout bruit sinistre; Louis XV n'avait plus même assez d'énergie pour imposer sa volonté. Esprit lucide au milieu de la voluptueuse apathie à laquelle il s'était laissé condamner, il voyait le mal, il indiquait le remède; mais il ne se sentait pas la force de l'appliquer. La monarchie de

question. J'ai suivi mes inclinations, je l'avoue; mais ici le devoir parlait bien aussi haut que l'inclination. C'est votre gloire et en même temps votre consolation qu'au moins, dans les circonstances présentes, l'apparence seule d'une disgrâce pour la Compagnie en eût été pour ainsi dire une véritable pour la religion. Les Jésuites exclus de la place, le Jansénisme triomphait, et avec le Jansénisme une troupe de mécréants, qui n'est aujourd'hui que trop nombreuse. »

Le P. Onuphre Desmarets succéda au P. Pérusseau. D'après ces dates, relevées sur les archives de la Compagnie de Jésus, d'après cette lettre de l'évêque de Mirepoix, qui les confirmerait au besoin, il devient bien difficile d'expliquer le mot qu'au tome iv, p. 32 de son Histoire de France pendant le dix-huitième siècle, M. Lacretelle attribue à Louis XV. En parlant de la sécularisation des Jésuites, ordonnée par le parlement, il raconte : « On croyait le roi fort agité; il affecta de montrer l'indifférence la plus apathique. «Il sera plaisant, disait-il, de voir en abbé le P. Pérusseau. » Or, l'arrêt du parlement est de 1762, neuf ans après la mort de ce Jésuite. Le comte de Saint-Priest, qui, à la page 52 de sa Chute des Jésuites, reproduit le même mot, tombe dans la même erreur,

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vait durer autant que lui, son égoïsme royal n'allait pas au-delà. Il vivait entre la débauche et le remords, quand, autour de lui, sa famille et tous les cœurs généreux ne cessaient d'exposer le tableau des misères matérielles et morales qui accablaient la France.

Le Parlement était disgrâcié lorsque, le 5 janvier 1757, un homme frappe le Roi d'un coup de poignard. Cet homme a servi comme domestique chez les Jésuites d'abord, chez plusieurs parlementaires ensuite. Il est Janséniste ardent les Jansénistes s'empressent de porter l'attentat au compte des disciples de saint Ignace. L'occasion de remettre en lumière les doctrines de régicide attribuées à la Société de Jésus se présentait tout naturellement personne ne s'en fit faute. Voltaire seul recula devant cette calomnie, et, en écrivant à Damilaville un de ses proxénètes d'impiété, il disait (1): « Mes frères, vous devez vous apercevoir que je n'ai point ménagé les Jésuites; mais je souleverais la postérité en leur faveur si je les accusais d'un crime dont l'Europe et Damiens les ont justifiés. Je ne serais qu'un vil écho des Jansénistes si je parlais autrement. » Les Jansénistes m'eurent pas cette loyauté. La blessure de Louis XV l'avait disposé au repentir; à peine guéri, il rentra sous le joug de la marquise de Pompadour..

Cette femme n'avait jamais eu qu'une seule passion : elle aspirait à gouverner la France comme elle régentait le Roi. Les Philosophes et les Jansénistes s'étaient fait d'elle un bouclier. A l'abri des adulations dont ils l'enivraient, on les voyait obtenir partout droit d'impunité et propager leurs principes dans toutes les classes. Le vice s'étalant au pied du trône, ruinant la France par des prodigalités insensées et la déshonorant par de coupables négociations, le vice n'effrayait point ces grands

[1] OEuvres de Voltaire, Lettre du 3 mars 1763.

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