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Le 3 avril, nouvelle lettre à Dupont, et nouveau plaidoyer en faveur des serfs : « Je crois bien, Monsieur, que le fruit de l'arbre de la liberté n'est pas assez mûr pour être mangé par les habitants de Chézery, et qu'ils auront la consolation d'aller au ciel en mourant de faim dans l'esclavage des moines Bernardins. Vous savez qu'ils ne sont pas seuls, et que nous avons encore en France plus de 80,000 esclaves de moines; mais il existe un homme amoureux de la justice, qui sera assez mauvais chrétien pour briser ces fers, si pesants et si infâmes, quand il en sera temps. » Puis, un mot sur le sel et les 30,000 fr.: « Tout le monde a gagné au marché que M. le contrôleur général a daigné faire. La Ferme générale y a gagné plus que nous, puisque la recette de son bureau nommé Longerey, sur la frontière, a triplé. Si nous avons les 2,800 minots de sel de Peccais qu'on dit nous être promis (c'est Voltaire qui le dit), nous serons aussi contents que la Ferme générale doit l'être... »

La Ferme générale n'était pas aussi contente que Voltaire l'affirmait, et c'est de Voltaire justement et des siens qu'elle ne l'était pas. Le 13 avril, dans sa lettre à de Vaines, il était forcé d'en convenir: « J'ai quelques petites discussions avec MM. les fermiers généraux. Un particulier n'a pas beau jeu contre soixante souverains. Je me garde bien d'interrompre M. Turgot, et de l'importuner de mes affaires particulières avec ces Messieurs. Je frémis quand je songe au prodigieux fardeau dont ce ministre est chargé; mais je frémis bien davantage en voyant l'obstination de ceux qui veulent avoir l'honneur d'être ses ennemis, et qui abjurent leurs propres sentiments pour combattre le bien qu'il veut faire (1). »

Il avait, en effet, cessé depuis quelque temps de s'adresser directement à Turgot pour le règlement des affaires de sa colonie. Depuis plus longtemps encore il n'avait pas réclamé l'intercession de Mme de Saint-Julien. Celle-ci s'en plaignit, et le 17, il dut la rassurer, implorer son pardon. « Je ne vous avais point importunée, lui dit-il, pour de nouvelles grâces, parce qu'il ne s'agissait plus que de petits détails... J'ai écrit, à la vérité, à M. Fargès, mais c'était pour des marchands de cuirs, pour des tanneurs, pour des papetiers. Il est intendant de commerce, et il faut bien qu'il entre dans ces minuties, qui sont de son département, tout indignes qu'elles sont de l'occuper... » Il accordait pourtant à ces minuties plus d'importance qu'il ne voulait bien l'avouer (*).

Turgot, qui, de son côté, ne dédaignait aucun détail, écrivit à Voltaire, quinze jours au plus avant sa chute, pour lui promettre qu'il réglerait très prochainement l'affaire du sel. Celui-ci l'en remercia << Quant à notre sel, Monseigneur, je ne vous en importunerai plus,

(1) Volt. à de Vaines, 13 avril 1776.

(2) Volt. à Mme de Saint-Julien, 17 avril 1776.

:

puisque je vois que vous n'oubliez rien. » Ce fut la dernière fois, en effet, qu'il entretint le contrôleur général des affaires de sa colonie. On était au commencement de mai. Trudaine, Mme Trudaine, Mme d'Invau étaient venus rendre visite au patriarche de Ferney. Voltaire semblait avoir rajeuni. Il construisait une salle de théâtre; il obtenait de Trudaine que son hameau, devenu ville, serait pavé; il recommençait devant ses hôtes le plaidoyer de toutes les causes dont il s'était constitué le défenseur; il leur parlait des serfs du mont Jura, de cette main-morte qu'il qualifiait de « gothe, wisigothe et vandale », de tous les abus que les deux grands ministres Turgot et Malesherbes devaient certainement abolir. Tout à coup, tandis que Trudaine avait fait à Lyon un petit voyage << pour y consommer l'affaire des jurandes et des corvées », un courrier extraordinaire arriva : Turgot et Malesherbes n'étaient plus ministres. On verra quelle douleur cette nouvelle causa à Voltaire; toutefois, dans le malheur de la France, qu'il ressentit plus que personne, il ne pouvait s'empêcher de considérer le malheur particulier de sa chère colonie, qui venait de perdre ses plus puissants et ses meilleurs protecteurs (1).

(1) Volt., Corr. Gén., mai-juin 1776.

«

CHAPITRE XIII

Décroissance de l'Épizootie (1).

1

Mesures diverses concernant

la Médecine.

Les mois succédaient aux mois, et l'épizootie durait encore. Dans le Midi elle continuait ses ravages, dans le Nord elle n'avait pas disparu.

Turgot apprit que dans l'Ardrésis une patrouille de dragons avait surpris des << particuliers » écorchant des vaches mortes de maladie, qu'ils avaient déterrées. « Il faut nécessairement, pour l'exemple, les en punir, écrivit Turgot à l'intendant Dagay. L'amende est cependant la seule peine qu'on puisse leur faire subir, et j'approuve que vous rendiez une ordonnance pour les y condamner, en les faisant garder en prison jusqu'à ce qu'ils aient payé (*). »

En Flandre maritime, la maladie un instant repoussée avait reparu; en Calaisis, elle continuait (); aux environs de Guise, elle avait cessé (*).

En Guienne, la répression du fléau était fort lente. Un atelier de salaisons avait été établi à Grenade, c'était le seul; l'autre ne fonctionnait point encore (5).

Pour couper toute communication à l'épizootie, des rives de la Garonne vers les pays de l'intérieur situés au nord de ce fleuve, l'intendant de Montauban Terray proposa d'interdire la navigation et de saisir tous les bateaux sur le Tarn et sur l'Aveyron. Mais ces bateaux appartenaient à des pêcheurs, et beaucoup de ces pauvres gens n'avaient pas d'autres moyens de subsistance; il demanda que le gouvernement consentit à leur accorder une indemnité de 15 à 12 sous par jour. Turgot approuva cette précaution, avec des réserves toutefois. « Prenez cette mesure, dit-il à l'intendant, si elle est absolument nécessaire. » Quant à l'indemnité, il ordonna de ne l'accorder qu'aux pêcheurs ayant véritablement besoin de secours ("). Il était justement effrayé des dépenses qu'entraînait l'épizootie. La mauvaise administration de l'intendant d'Auch Journet avait naguère grandement contribué à les accroître. Il écrivait à ce sujet

(1) De janvier à mai 1776. ment. liv. II, ch. xv, p. 316,

Voir précédem

(2) Arch. nat., F. 12, 152; 14 janv. 1776.
(3) Id.; Turg. à Caumartin, 17 janv. 1776.

(4) Id.; Turg. à Le Peletier, 17 janv. 1776. (5) Id.; Turgot à Clugny et Saint-Priest, 17 janv. 1776.

(6) Id.; 20janv. 1776.

à Clugny le 27 janvier: « Je vois, Monsieur... quel est l'excès des abus qui ont été commis dans les procès-verbaux d'assommement... des bestiaux; le tableau que vous me présentez de la dépense à faire excède de beaucoup tout ce que j'avais pu me figurer, et ce qu'il y a de plus affligeant, c'est que rien de cette dépense n'ait été utile au pays dans lequel elle a été faite, c'est la négligence employée dans l'exécution des ordres du roi... Je suis bien éloigné d'attaquer la mémoire de M. Journet. Je crois, comme tout le monde, que sa probité est intacte; mais ce fait prouve qu'une administration négligente et incapable peut faire autant et plus de mal que celui qui serait capable de se livrer aux excès les plus condamnables. » Il ordonnait donc une nouvelle vérification des dépenses par une commission; il priait Clugny de la composer « de juges intègres, les plus intelligents et les plus actifs qu'il serait possible de trouver ». Il n'ignorait pas que cette vérification retarderait encore l'acquittement des indemnités. Il autorisait l'intendant à avancer d'office aux paysans les plus pauvres les sommes qui leur étaient dues. C'était à ses yeux une question d'humanité (1).

Dans le Languedoc proprement dit, la maladie paraissait devoir cesser (2). Mais en Guienne, et surtout en Gascogne, elle tenait bon, et Clugny employait pour la réduire les moyens les plus énergiques. Il obtint de Turgot la permission d'assommer partout dans les étables infectés les animaux sains aussi bien que les animaux malades (3).

A l'Est, le fléau menaçait de s'introduire par l'Alsace; il sévissait dans le Palatinat et inspirait de ce côté à Turgot de sérieuses inquiétudes (). Il commençait à régner aussi dans les environs de Bayard (près de Joinville) (5). Bien qu'il eût été banni des Pays-Bas autrichiens, de la Picardie et du Hainaut, il subsistait encore en Flandre ().

Une des principales causes de sa durée dans le Midi était la violation continuelle des règlements. Le commerce frauduleux des cuirs avait lieu presque au grand jour. On achetait en secret des cuirs infectés: on les revendait ensuite publiquement. La contagion se propageait ainsi partout, en dépit de toutes les précautions (7). L'intendant Clugny proposa au ministre de punir les contrevenants de peines afflictives ordonnées par simple arrêt du Conseil. Turgot, à cette proposition, se trouva embarrassé, et demanda le temps de réfléchir. Il ne connaissait pas d'exemple, disait-il, d'arrêts du Conseil ordonnant des peines afflictives, telles que celles des galères; il craignait, en autorisant cette innovation, de donner plus de poids.

(1) Pièc. just. no 62.

(2) Arch. nat.. F. 12, 152; Turgot à SaintPriest, 27 janv. 1776.

(3) Id.; 6 fév. 1776. Il fallait en venir ainsi à ce que Vicq d'Azyr réclamait dès le début.

(4) Arch. nat., F. 12, 152; Turgot à Blair., 22 janv. 1776.

(5) Id.; T. à Bouillé d'Orfeuil, 14 fév. 1776.

(6) Id.; T. à Caumartin, 4 fév. 1776.

(7) Id.; T. au baron de Cadignan, 4 fév. 1776.

aux réclamations des cours, qui ne cessaient de protester contre les attributions des intendants (1). On est heureux de voir ainsi Turgot résister à l'entraînement et modérer l'ardeur exagérée de Clugny. Il eût été malaisé de justifier un empiètement aussi grave du Conseil sur l'autorité judiciaire, et cette considération agit assurément sur l'esprit du ministre; mais nous ne croyons pas nous tromper en affirmant qu'il fut retenu surtout par les sentiments de justice et d'humanité qu'il professa toujours. Combien peu de ministres avaient alors les scrupules de Turgot, et qu'il était facile d'abuser, contre les simples particuliers, de ce Conseil omnipotent dont le véritable roi était d'ordinaire le contrôleur général!

Tout-puissant pour faire le mal, s'il l'eût voulu, Turgot dut sentir amèrement parfois son impuissance à faire le bien. Il s'ingéniait à guérir l'épizootie, et l'épizootie durait encore, résistait à tout. Il résolut du moins de soulager les provinces éprouvées en leur accordant une liberté de plus. On se rappelle que l'arrêt du 13 septembre 1774 n'avait permis la circulation des blés que dans l'intérieur du royaume. Cependant un arrêt antérieur, de 1764, en avait autorisé pendant quelque temps la libre exportation. Les États de Languedoc, le Parlement de Toulouse et le Conseil supérieur de Roussillon réclamaient cette liberté, espérant que l'exportation d'une quantité notable de blé élèverait les prix, les rendrait plus rémunérateurs pour les cultivateurs du Midi, et viendrait ainsi indirectement en aide à leur misère. La Guienne sollicitait la même faveur. Turgot, par une déclaration du 10 février 1776, n'osa l'accorder qu'aux provinces de Languedoc et de Roussillon. Encore n'était-ce pas une mesure nouvelle qu'il prenait. « A cause des pertes énormes de l'épizootie... vu la demande des États, etc..., l'édit de juillet 1764 sera exécuté... » Telle était la forme de cette déclaration. Le ministre avait grand soin de montrer qu'il n'innovait pas, qu'il se contentait de remettre en vigueur un édit ancien. Ne fallait-il pas prévenir les plaintes des colbertistes?

En enregistrant cette déclaration, le Parlement de Toulouse se plaignit au contraire de la réserve de Turgot; il supplia le roi d'ôter les restrictions et les gênes que l'édit de juillet 1764 avait imposées au commerce, d'ordonner que la sortie des grains fût permise par les ports d'Agde et de La Nouvelle, d'autoriser l'exportation par navires étrangers, de décider enfin que si cette exportation était prohibée, toutes les fois que le prix du blé serait de 12 livres 10 sous le quintal pendant trois marchés consécutifs, elle serait de nouveau libre de plein droit, lorsque le blé n'aurait cessé de diminuer pendant le même laps de temps ().

(1) Turgot à Clugny, 6 fév. 1776.

(2) Anc. l.fr., XXIII, 355.

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